Ils ont donc osé. Les nationalistes hindous, au pouvoir en Inde depuis 2014, ont attendu leur réélection triomphale aux législatives du printemps 2019 pour s’attaquer au tabou des tabous : le statut administratif et juridique de l’État du Jammu-et-Cachemire. Le Premier ministre, Narendra Modi, a confié cette tâche explosive au fidèle d’entre les fidèles, le président de son parti (le BJP), nommé récemment ministre de l’Intérieur : Amit Shah. Lundi 5 août, à 11 heures précises, celui-ci a annoncé à la chambre haute du Parlement, à Delhi, que l’article 370 de la Constitution allait être supprimé.
Instauré “à titre provisoire” après l’indépendance de l’Inde, au début des années 1950, ce texte donnait jusqu’ici des droits particuliers au Jammu-et-Cachemire, rappelle l’Indian Express, “en limitant les domaines réservés” de l’État fédéral indien dans la région “à la défense, aux affaires étrangères et aux communications”.
Pour tenter d’éviter les réactions violentes de la population sur place, le gouvernement Modi avait ordonné dès vendredi 2 août l’évacuation des touristes et l’interruption du traditionnel pèlerinage de la saison, l’Amarnath Yatra, soulevant “panique et confusion”. Par ailleurs, “l’armée a renforcé ses effectifs” dans une région pourtant connue pour être déjà l’une des plus militarisées au monde, avec l’envoi de 25 000 paramilitaires jeudi 1er août, et 8 000 hommes supplémentaires lundi 5 août, tandis que “les réseaux de téléphonie mobile, de télévision par câble et d’internet ont été coupés” pour une durée indéterminée.
D’après le Hindustan Times, “M. Modi devrait s’adresser à la nation de manière solennelle” dans les heures qui viennent. En plus de la suppression de l’article 370, Amit Shah a en effet annoncé que le Jammu-et-Cachemire allait perdre son statut d’État fédéré et être amputé de la province bouddhiste du Ladakh. Les provinces du Jammu (à majorité hindoue, capitale : Jammu) et du Cachemire (à majorité musulmane, capitale : Srinagar) d’un côté, la province du Ladakh (à majorité bouddhiste, capitale : Leh) de l’autre, vont devenir deux nouveaux territoires de l’Union, un régime ne leur octroyant pas, ou peu, de pouvoir législatif, comme c’est le cas à Delhi, à Pondichéry ou aux îles Andaman.
“Journée la plus sombre” pour la démocratie indienne
“Alors qu’un État est dirigé par un gouvernement élu, un territoire de l’Union est une entité administrative contrôlée par le gouvernement fédéral” depuis Delhi, rappelle Business Today. En juin 2018, au prétexte que la sécurité n’était plus assurée dans la région, le gouvernement Modi avait dissous le gouvernement du Jammu-et-Cachemire, reprenant d’autorité le contrôle du territoire.
“La région était de facto sous tutelle depuis lors”, note The Wire, qui fait remarquer que la reprise en main autoritaire du Jammu-et-Cachemire n’a rien résolu pour ce qui est de la violence : “En 2014 [année d’arrivée au pouvoir du BJP], 222 attentats avaient été à déplorer ; en 2018, il y en a eu 614.” Selon la dernière chef de l’exécutif local, Mahbooba Mufti, “la démocratie indienne est en train de vivre la journée la plus sombre de son histoire”. À Delhi, le parti du Congrès, principale formation d’opposition, dénonce “l’assassinat de la Constitution” indienne.
Au Pakistan enfin, où l’on revendique depuis sept décennies la souveraineté sur le Cachemire, le gouvernement Khan “condamne fermement” la suppression de l’article 370, relève le Daily Times. “Aucune mesure unilatérale prise par le gouvernement indien ne peut changer ce statut, tel qu’il est consacré dans les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies” passées à l’issue de la guerre de 1947 ayant opposé l’Inde et le Pakistan après leur Partition, estime Islamabad, qui affirme que l’initiative de Delhi “ne sera jamais acceptable, ni pour les habitants du Jammu-et-Cachemire, ni pour ceux du Pakistan”.
Guillaume Delacroix
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