Peux-tu nous présenter Sébastien Bedouret, et nous dire ce qui s’est passé le 5 janvier ?
Manu Hiriart - Sébastien Bedouret est français. Il a 27 ans, est marié, et son épouse est enceinte de huit mois. Il est président de Radio Pays, et il est l’animateur principal d’une émission très importante pour les prisonniers basques, « Txalaparta Irratia ». Cette émission est divisée en deux : une première partie, dans laquelle il commentait l’actualité, notamment celle du Pays Bas¬que, et une se¬conde partie destinée aux familles de prisonniers incarcérés dans les différentes prisons françaises. Séba anime un site, Solidaires du peuple basque en lutte ().
À ce titre, il a été invité à des rencontres initiées par le Mouvement pour l’amnistie, le week-end des 5 et 6 janvier, à San Sebastian, rejoignant des Irlandais, des Écossais, des Étatsuniens qui militent pour la libération de Léonard Pelletier, des Vénézuéliens, des militants de l’État espagnol, des indépendantistes galiciens, catalans. Le meeting a été annulé par l’Audiencia nacional [tribunal national, NDLR].
À Hernani, la Guardia civil a effectué un contrôle routier et a arrêté notre car, demandant l’ensemble des identités des gens de la délégation qui étaient à l’intérieur. Au bout de dix minutes, ils nous ont demandé de laisser tous nos bagages et de descendre, chose que l’on a faite après avoir protesté. On a compris que c’était une manière pour eux, dans le meilleur des cas, de nous empêcher d’aller au meeting, ou de mettre en place les pièces d’un montage policier. Ils ont donc effectué une perquisition sans aucun témoin. De cette perquisition, est très vite ressorti le fait qu’ils auraient trouvé, je parle bien au conditionnel, un exemplaire du magazine Zutabe, qui est un bulletin externe édité par l’organisation militaire ETA. Au bout de 45 minutes, ils nous ont rendu nos pièces d’identité, en nous disant que l’on pouvait remonter dans le car, ce que l’on a fait. À l’entrée du car, se tenait un garde civil avec un sac rouge, qui était celui de Séba. Séba a fini par récupérer sa pièce d’identité, a reconnu qu’il s’agissait de son sac et, de là, ils l’ont empêché de monter dans le car. Ils lui ont reproché un lien avec Zutabe : ils auraient trouvé le magazine au-dessus de la place où il y avait le sac rouge de Séba, et auraient fait un lien direct entre la soute et le sac, le sac et son propriétaire. Finalement, ils ont signifié à Séba qu’ils allaient le mettre en garde à vue. Il a juste eu le temps de nous dire qu’il ne savait pas pourquoi il était arrêté.
Que savez-vous du sort de Séba ?
M. Hiriart - Il a été amené à la caserne de Itxaurrondo, où il aurait été interrogé par la Guardia civil. Il nous dit aujourd’hui qu’il a été torturé, malmené, roué de coups, les différentes tortures qu’il a subies sont physiques et morales. Il a été obligé de maintenir des positions humiliantes ou fatigantes, de réaliser des flexions. Il aurait même perdu connaissance à plusieurs reprises, placé dans ce que l’on appelle l’incommunication, la mise au secret, et il n’a pas eu le droit de voir un médecin ou un avocat de son choix. Les policiers disaient : « Ta compagne vit à Paris avec toi, et un jour elle va s’inquiéter, et elle va revenir, pour te voir, et on la tabassera aussi, et on sait qu’elle est enceinte », etc. Il a subi des sévices sexuels, des attouchements et des coups. Ils l’ont menacé de subir le supplice du sac en plastique. Il a été obligé d’apprendre par cœur, à sept reprises, une déclaration mensongère, dans laquelle la Guardia civil lui faisait dire qu’il était responsable de la distribution et du maquettage de Zutabe à Paris. Il a donc avoué sous la contrainte physique et morale qu’il en était le responsable.
Le juge l’a incarcéré à Madrid, à Soto del Real, non pas au titre de membre de l’organisation, mais pour collaboration - la distribution dans Paris de Zutabe. C’est tout ce que l’on sait aujourd’hui : bien sûr, devant le juge, il a dénoncé la torture et le fait qu’on lui avait fait faire des aveux sous la contrainte. Le juge n’a pas voulu noter quoi que ce soit. Je précise qu’il n’avait pas accès à son avocat devant la Audiencia nacional. C’était un avocat commis d’office, madrilène, qui l’assistait, sans avoir accès au dossier, ce dernier n’étant donné qu’après aux avocats qui suivent l’affaire.
Que peut-on dire de cette affaire ?
M. Hiriart - D’abord, on ne sait pas si c’est la Guardia civil qui a amené le Zutabe, ou si c’était à quelqu’un d’autre. En tout cas, il est impossible que cela ait été la propriété de Séba. Séba est innocent des charges qui lui sont reprochées aujourd’hui. Nous tenons à rappeler le cadre de cette caserne, à Itxaurrondo : il y a déjà eu des morts et des cas de torture évidents. L’État espagnol a peut-être voulu marquer le coup en criminalisant les solidaires du peuple basque, après l’avoir fait avec un parti politique, Batasuna, des associations, des mouvements de soutien et des familles de prisonniers. En tant que membres de la délégation, on a écrit une déclaration demandant sa libération immédiate : il s’agit d’un montage policier, Séba a subi la torture et des conditions de détention qui sont impropres à toute forme de justice et de démocratie. Et d’ailleurs, c’est assez révélateur de la situation au Pays Basque, du non-droit de s’organiser, du non-droit de manifester, du non-droit d’expression.
Quelle est la position des autorités françaises ?
M. Hiriart - La France joue un double jeu. Elle rassure la famille, mais elle effectue une perquisition, sur demande de l’État espagnol, de plus de dix heures au domicile de Séba et de sa compagne, enceinte de huit mois. Ils n’ont rien trouvé, sinon des articles et des archives, celles d’un journaliste. La France mène une collaboration main dans la main avec l’État espagnol.