La lutte contre la déforestation figure en bonne place des déclarations d’intention de l’Europe. Pourtant, 50% des produits forestiers tropicaux importés dans l’Union (grumes, pâte à papier, papier, panneaux, contreplaqué) proviennent d’activités illégales, notamment d’abattages illégaux (1). Face à cette réalité choquante, la Commission envisage une initiative censée mettre les actes en accord avec les paroles. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres…
La mode étant plus que jamais aux mécanismes de marché sur base volontaire, la Commission a élaboré un projet de Règlement qui prévoit la mise en place d’accords de partenariat donnant aux pays signataires qui le désirent le droit d’exporter dans l’Union Européenne des produits forestiers dont la légalité serait garantie par les producteurs.
Ce projet est une passoire. Il ne tient pas compte du fait que la seule interdiction d’importation efficace est celle qui frappe tous les produits du bois, y compris le papier et la pâte à papier. Il n’empêche pas un producteur d’un pays soumis à accord d’acheter ailleurs des grumes illégales afin de les transformer pour les vendre en Europe. Il ne prévoit pas le contrôle de la procédure par une instance indépendante. Enfin, au lieu de lier l’abattage légal à la nécessité d’une exploitation soutenable et respectueuse des peuples indigènes, le texte se contente d’une vague référence aux « législations nationales pertinentes » des pays producteurs… Or, ces législations sont souvent taillées sur mesure pour les exploitants, sans égards pour l’environnement et pour les droits sociaux.
Exemple typique : l’Indonésie. Troisième foyer mondial de la forêt tropicale humide après l’Amazonie et l’Afrique centrale, cet archipel est soumis à une déforestation féroce (2). Tandis que les droits des peuples indigènes vivant de la forêt (miel, bois, rattan) ne sont pas reconnus, le gouvernement a encouragé les exportations forestières, source de devises pour payer la dette extérieure. Résultat : le secteur souffre aujourd’hui d’une grave surcapacité de production en matière de sciage, de contreplacage et de fabrication de pâte. Pour approvisionner leurs installations en matière première, les entrepreneurs recourent donc aux abattages illégaux : 40% des produits exportés par l’Indonésie reposeraient sur de telles pratiques. (3)
Soumis à diverses pressions, le gouvernement indonésien a sorti un projet de définition des normes de légalité dans l’exploitation forestière (4). Ce texte comporte quelques avancées par rapport à la situation actuelle. Mais il n’est pas adopté… Or, au même moment, au nom de l’urgence, les autorités ont annoncé une campagne de répression, avec peine de mort ou emprisonnement à vie pour abattage illégal (et des peines nettement plus légères pour les commanditaires et les fonctionnaires corrompus). Il y a peu de chance que cette « législation nationale pertinente » suffise à démanteler le puissant trafic du bois, qui dispose de nombreux appuis dans l’appareil d’Etat. Par contre, elle risque de frapper surtout des exécutants… et les peuples indigènes, dont les droits coutumiers n’ont pas de base légale. Le Ponce Pilate européen s’en lavera-t-il les mains ?
La lutte contre la déforestation ne se limite certes pas à la lutte contre les pratiques illégales. Mais on est au moins en droit d’attendre que celle-ci soit menée selon des méthodes de régulation simples et efficaces : l’importation des produits forestiers illégaux doit être interdite, donc pénalisée, et les mécanismes (notamment européens) de blanchîment de l’argent de ce trafic doivent être démantelés.
Notes
(1) 20% pour les bois et produits dérivés provenant de forêts boréales.
(2) 3,8 millions d’hectares par an et le taux de déforestation le plus élevé du monde.
(3) Celles-ci n’épargnent nullement les parcs naturels, notamment le Tanjung Puting National Park (un des derniers refuges pour les orang-outangs de Bornéo).
(4) Down to Earth, N° 62, août 2004.