Les points saillants de l’initiative ReCommonsEurope
ReCommonsEurope émane de la volonté de collaboration entre deux réseaux européens, le CADTM et EReNSEP, et le principal syndicat au Pays basque, ELA. Les deux réseaux CADTM et EReNSEP ont été directement impliqués dans l’expérience grecque de 2015 et en ont tiré une série de leçons convergentes. Depuis plus de quinze ans, ELA et le CADTM se sont engagés systématiquement dans différentes initiatives internationalistes, du Forum social mondial lancé en 2001 à l’Altersummit en passant par l’expérience de Forum social européen. Les militants et militantes de ELA, du CADTM et d’EReNSEP sont aussi directement impliqués dans les combats qui se déroulent dans leurs pays respectifs. De plus, ils ont participé activement aux discussions et aux réunions du Plan B entre 2015 et aujourd’hui.
Le texte du Manifeste a été élaboré au cours de trois réunions tenues en 2018, et rédigé de manière collective en 2019. Il prolonge notamment l’appel intitulé « Les défis pour la gauche dans la zone euro », texte collectif présenté par plus de 70 co-signataires en février 2017.
L’objectif de ReCommonsEurope est à la fois modeste et ambitieux : démontrer qu’il est possible et nécessaire de mettre en œuvre un ensemble de mesures radicales en Europe.
Le Manifeste résulte de ce constat : une très grande partie des organisations politiques de gauche et des mouvements sociaux a peur de proposer des mesures réellement anticapitalistes, anti-patriarcales, antiracistes et écosocialistes. Certaines organisations pratiquent cyniquement le « social-libéralisme », ce qui les met clairement hors du champ de la gauche.
À la différence d’une gauche qui a peur de son ombre ou qui se compromet totalement avec l’ordre établi, ReCommonsEurope propose des mesures radicalement écosocialistes, féministes, antiracistes, des mesures clairement en faveur de l’internationalisme des peuples, et visant à favoriser une révolution sociale et politique.
L’expérience grecque de 2015 est souvent utilisée comme un épouvantail. Ce serait la démonstration de l’impossibilité de mettre en pratique un programme radical. Or les membres de ReCommonsEurope tirent un tout autre enseignement de l’expérience grecque – et heureusement, ils et elles ne sont pas les seuls. Pour les membres de ReCommonsEurope, le gouvernement du premier ministre Alexis Tsipras a renoncé dès le début à véritablement appliquer les engagements radicaux qui avaient été pris à l’égard du peuple grec et cela a conduit au désastre que l’on connaît.
Pour ReCommonsEurope, il s’agit d’affirmer la nécessité d’appliquer un programme radical et d’adopter en pratique une stratégie faite de mobilisation, de désobéissance, d’auto-organisation populaire.
« La crise climatique, les violentes politiques, le danger d’une extrême droite raciste et xénophobe rendent urgente la définition d’une stratégie associant auto-organisation populaire, mouvements sociaux et organisations politiques »
Les rédacteurs et rédactrices du Manifeste ont des points de vue différents sur certaines questions qu’il faut trancher : faut-il ou non quitter la zone euro ? Est-il possible et utile de créer une monnaie complémentaire ? Faut-il exproprier l’entièreté des banques et des assurances pour en faire un service public ou bien s’agit-il de créer un pôle bancaire public qui sera en compétition avec les banques privées capitalistes ? ReCommonsEurope se veut un lieu de confrontation de points de vue, un lieu de débats sur les mesures à prendre. Le Manifeste n’est pas un document à prendre ou à laisser. C’est une invitation à la discussion.
Les militants et militantes qui se retrouvent autour de ReCommonsEurope sont parfaitement conscients qu’il ne suffit pas de mettre en avant un programme, aussi bon soit-il. Il est clair que ce sont les luttes qui seront déterminantes pour changer profondément les rapports de force et permettre la mise en pratique d’une série cohérente de mesures économiques, politiques, sociales, culturelles, etc. Mais ceux et celles qui se réunissent dans le cadre de ReCommonsEurope sont convaincu-e-s que pour que les luttes débouchent sur des changements profonds, il est fondamental de s’engager sur un ensemble de mesures à réaliser par un gouvernement populaire.
La crise climatique, les violentes politiques d’austérité, le danger représenté par une extrême droite raciste et xénophobe ne rendent que plus urgente la définition d’une stratégie associant auto-organisation populaire, mouvements sociaux et organisations politiques, afin de mettre la politique au service du plus grand nombre.
Depuis dix ans, de très nombreuses mobilisations populaires ont remis en cause l’ordre en place. Le Manifeste s’inscrit au sein de ces mouvements et met en avant la lutte contre l’exploitation et toutes les formes d’oppression.
« Urgence sociale, urgence écologique, urgence démocratique, urgence féministe, urgence de solidarité »
Comme le constate le texte introductif du Manifeste, les mouvements de lutte des dix dernières années sont indissociables des urgences sociale, écologique, démocratique, féministe et de solidarité. Urgence sociale parce que les conditions de vie et de travail des classes populaires en Europe n’ont cessé de se dégrader ces trente dernières années, et notamment depuis la crise qui a touché le continent à partir de 2008-2009. Urgence écologique parce que la consommation exponentielle d’énergies fossiles, et plus généralement la destruction des écosystèmes, consubstantielle au système capitalisme, a conduit le changement climatique planétaire à un point de non-retour qui menace l’existence même de l’humanité. Urgence démocratique parce que, face aux défis qui se sont posés aux classes dominantes au cours des trente dernières années, celles-ci n’ont pas hésité à adopter des méthodes de domination de moins en moins soucieuses des apparences démocratiques et de plus en plus coercitives. Urgence féministe car l’oppression patriarcale sous ses différentes formes provoque de plus en plus de réactions massives de rejet clamées haut et fort par des millions de femmes et d’hommes. Urgence de solidarité, enfin, parce que la fermeture des frontières et l’érection de murs apportées en réponses aux millions de migrant-e-s à travers le monde, qui fuient la guerre, la misère, les désastres environnementaux ou les régimes autoritaires, ne constituent rien d’autre qu’un déni d’humanité. Chacune de ces urgences conduit, en réaction, à des mobilisations de désobéissance, d’auto-organisation et de construction d’alternatives, qui constituent autant de foyers possibles d’alternatives démocratiques en Europe.
L’Union européenne constitue aujourd’hui non seulement l’une des avant-gardes mondiales du néolibéralisme et de l’impérialisme mais aussi un ensemble irréformable d’institutions au service du grand capital. C’est pourquoi une gauche de transformation sociale ne peut plus être crédible et réaliste sans mettre au cœur de sa stratégie la rupture avec les traités et les institutions de l’Union européenne.
En faisant ces propositions de désobéissance et de rupture avec les institutions européennes, il ne s’agit pas de chercher une issue nationaliste à la crise et à la protestation sociale. Tout autant que par le passé, il est nécessaire d’adopter une stratégie internationaliste et de prôner une fédération européenne des peuples opposée à la poursuite de la forme actuelle d’intégration totalement dominée par les intérêts du grand capital. Il s’agit également de chercher constamment à développer des campagnes et des action coordonnées au niveau continental (et au-delà) dans les domaines de la dette, de l’écologie, du droit au logement, de l’accueil des migrant-e-s et des réfugié-e-s, de la santé publique, de l’éducation publique et des autres services publics, du droit au travail, dans la lutte pour la fermeture des centrales nucléaires, dans la réduction radicale du recours aux énergies fossiles, dans la lutte contre le dumping fiscal et les paradis fiscaux, dans le combat pour la socialisation des banques, des assurances et du secteur de l’énergie, dans la réappropriation des communs, dans l’action contre l’évolution de plus en plus autoritaire des gouvernements et pour la démocratie dans tous secteurs de la vie sociale, dans la lutte pour la défense et l’extension des droits des femmes et des LGBTI, dans la promotion des biens et des services publics, dans le lancement de processus constituants.
Un travail collectif à poursuivre
Les membres de ReCommonsEurope se sont réunis à Bruxelles les 21 et 22 mars 2019. Les personnes présentes provenaient d’Allemagne, de Belgique, de Bosnie, de Chypre, de Croatie, de France, de Grande-Bretagne, de l’État espagnol, du Danemark, de Grèce, d’Italie et de Serbie. Ils ont discuté de la version définitive actuelle du Manifeste et des initiatives qui seront prises pour le faire connaître dans toute l’Europe. Le Manifeste est actuellement disponible en français, en espagnol, en anglais et en catalan. Il est encore possible de rejoindre les signataires du Manifeste.
La récente réunion des 21 et 22 mars 2019 constituait la quatrième rencontre des membres de ReCommonsEurope. Les deux premières réunions s’étaient déroulées à Bruxelles, respectivement en février et en juin 2018. La troisième avait eu lieu à Londres en septembre 2018. Aux cours de ces réunions des groupes de rédaction avaient été constitué par thématique et ils ont produit entre fin 2018 et mars 2019, le Manifeste pour un nouvel internationalisme des peuples en Europe qui a été rendu public le 21 mars 2019 en trois langues.
Lors de la réunion des 21 et 22 mars, les membres de ReCommonsEurope ont convenu que le document était perfectible, que le travail devait être poursuivi. Par ailleurs, on a également constaté qu’il était nécessaire d’en faire une version nettement plus accessible et très fortement réduite. Aussi deux processus sont en cours : un travail d’amélioration du Manifeste qui fait 100 pages et la rédaction d’une version synthétique avec pour objectif de ne pas dépasser un volume de 20 pages.
Il est également très important de reconnaître que les débats sur le programme de mesures à prendre n’ont pas encore été suffisamment approfondis. Plusieurs questions méritent d’être mieux définies : la possibilité et le rôle d’une monnaie complémentaire, la mise en pratique d’une sortie de l’euro pour une série de pays, les mesures pratiques à prendre au niveau des banques, les mesures immédiates en matière de participation à la lutte face à la crise écologique, etc.
Pourquoi le travail de ReCommonsEurope est important et utile
Les évènements qui ont suivi le désastre grec de 2015 montrent que la gauche populaire doit d’urgence débattre et adopter des propositions cohérentes pour donner une issue à gauche aux crises en cours. Le Brexit a été largement dominé par le combat entre différentes fractions du grand capital en Grande-Bretagne, le camp populaire n’a pas réussi à définir son projet et sa réponse à la question posée de sortie de l’Union européenne. Dans le cas de la lutte du peuple catalan pour l’indépendance, c’est largement la droite indépendantiste catalane qui a dominé le processus. Il n’y a pas eu une intervention autonome suffisamment forte de la gauche indépendantiste et internationaliste catalane. La lutte en ce qui concerne les droits sociaux et la contradiction Capital/Travail a été fortement marginalisée. Dans le cas de l’Italie, c’est aussi des forces réactionnaires de droite qui donnent fondamentalement le ton, avec une forte présence dans le gouvernement. Plus généralement, dans l’approfondissement de la crise de l’Union européenne, il est essentiel que le camp populaire intervienne de manière autonome.
ReCommonsEurope essaye, certes avec des forces modestes, de convaincre qu’il faut sortir du cadre national dans lequel une grande partie des forces du camp populaire est restée cantonnée. Sortir du cadre national ne veut évidemment pas dire qu’il ne faut pas se préoccuper des combats politiques et sociaux locaux, mais il faut connecter ces combats à la dimension internationale tant au niveau des propositions que des pratiques. Il faut aussi favoriser une sortie de l’immobilisme de la majorité des grandes organisations syndicales. La Confédération européenne des syndicats qui regroupe des dizaines de millions de salariés et de salariées s’est montrée incapable d’agir à l’échelle européenne pour défendre les conquêtes sociales face l’offensive brutale du grand capital secondé par les institutions de l’Union européenne.
Les luttes en cours des femmes (notamment à l’occasion du 8 mars) et de la jeunesse (avec notamment les mobilisations pour le climat) nous montrent l’exemple. Dans plusieurs pays européens, ces mobilisations sont en mesure d’articuler des formes d’auto-organisation, de l’auto-formation, des initiatives publiques et la recherche de solutions concrètes, avec une portée globale. Il est urgent que tou-te-s les militant-e-s anticapitalistes, écosocialistes, féministes, antiracistes, débattent de ces solutions, et interpellent les organisations sociales et politiques pour leur dire : ensemble, soyons à la hauteur des défis du temps présent, et construisons un nouvel internationalisme des peuples en Europe et ailleurs.
Eric Toussaint
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