Les inégalités sociales restent énormes en Chine et une crise économique ou écologique pourrait ébranler la popularité du régime.
La route de la république populaire de Chine, depuis sa création il y a soixante-dix ans, a été à la fois rectiligne et chaotique.
– Le Parti communiste chinois (PCC) règne désormais sur un géant de 1,4 milliard d’habitants, et le pays ne cache plus sa volonté de devenir la première puissance mondiale.
– Mais les progrès économiques et la stabilité politique ont été obtenus au prix de dizaines de millions de morts et d’une dictature impitoyable. Et la Chine, dirigée par un système anachronique et dictatorial, affronte des contradictions dangereuses.
Un idéal socialiste dévoyé
Dès la fondation de la république populaire de Chine par Mao Zedong, le 1er octobre 1949, après des années de dictature et de guerre civile, l’idéal socialiste et les promesses démocratiques sont enterrés.
A peine arrivé au pouvoir, le Parti communiste
– supprime toute organisation sociale qui lui ferait concurrence,
– exécute deux millions de propriétaires fonciers, de paysans désignés comme riches et de « contre-révolutionnaires ».
Des pans entiers de la population sont discriminés.
En 1966, pour écarter toute velléité de rébellion, le Grand Timonier mise sur la jeunesse et lance la Révolution culturelle. Des milices lycéennes, les « Gardes rouges », sont envoyées pour brûler les livres et terroriser les intellectuels. Les rivaux politiques sont éliminés. Les morts se comptent par centaines de milliers.
A la disparition de Mao, en 1976, son successeur, Deng Xiaoping, desserre l’étau. « Au début, on a pu croire que la Chine allait trouver une forme de socialisme démocratique », rappelle le directeur d’études à l’EHESS Michel Bonnin.
Deux ans plus tard, les Pékinois affichent leur envie de changement sur un « mur de la démocratie ». Le Parti communiste choisit la répression.
« Deng Xiaoping a eu peur d’une évolution démocratique trop forte qui aurait mis en danger le Parti », explique l’historien.
Et lorsqu’au printemps 1989, les étudiants, soutenus par la population, occupent la place Tiananmen pour réclamer des réformes, Deng écrase le mouvement dans le sang. Désormais, toute rébellion sera tuée dans l’œuf, les dissidents emprisonnés.
Traumatisés par le massacre de Tiananmen, manipulés par la propagande et la censure, les Chinois ont mis sous le boisseau leurs espérances démocratiques. Tout mouvement (féministe, religieux, associatif, culturel, syndical, LGBT…) qui pourrait fédérer des citoyens et faire naître une force sociale est surveillé ou interdit.
La réussite économique…
Les premières initiatives du Parti communiste en matière d’économie ont été un immense désastre. En 1958, pour rattraper le retard industriel de la Chine sur le Royaume-Uni, Mao met en place la doctrine du « Grand Bond en avant ». Tous les paysans sont appelés à produire de l’acier. La famine fera 35 millions de victimes en quatre ans.
Quand Deng Xiaoping arrive au pouvoir, le niveau de vie des Chinois est équivalent à celui de 1949. Il abandonne l’économie socialiste, ouvre le pays sur le monde et le convertit au capitalisme.
Commencent alors trente ans de croissance spectaculaire. Sous la férule du Parti-Etat, les doctrines sont implacables, les résistances écrasées. Mais l’argent rentre.
– Selon les chiffres officiels, le nombre d’habitants dans les campagnes vivant en dessous du seuil de pauvreté est passé de 770 millions en 1978 (97,5 %) à 30,46 millions à la fin 2017 (3,1 %).
– Une classe moyenne émerge, elle compte désormais plus de 400 millions de personnes, et profite de la hausse des salaires, de l’accès au travail, à l’éducation, à la santé et de libertés individuelles inédites.
…avant l’essoufflement
Lorsque Xi Jinping est désigné secrétaire général du Parti communiste chinois en 2012, puis président en 2013, la croissance marque le pas pour la première fois depuis vingt-cinq ans. Il a l’idée de construire des infrastructures ferroviaires vers l’Europe pour écouler plus facilement les marchandises. Mais les autorités ont conscience que la croissance de la demande intérieure n’est pas éternelle, et les « Nouvelles Routes de la soie » dépassent rapidement ce cadre.
Xi Jinping se fait alors le chantre du libéralisme. Les salaires augmentant, la Chine délocalise une partie de sa production dans le reste de l’Asie, s’achète des alliés politiques à coups de prêts faramineux, capte les marchés et les ressources de pays en développement, construit des ports à travers le monde.
Mais la croissance continue de ralentir. Officiellement à 6 %, elle pourrait en réalité être bien plus basse. « Le risque de crise économique grandit. Il y a de plus en plus de dettes, en particulier dans le système privé, et le capital est moins productif », décrit le spécialiste de la Chine François Godement.
Et surtout, les conséquences de la guerre commerciale avec les Etats-Unis commencent à toucher le pays. Les exportations baissent, tout comme les importations de produits intermédiaires pour les exportations futures.
« Le conflit commercial a mis au jour les vulnérabilités dans la chaîne de valeur, en particulier dans les industries numériques, si importantes pour eux en ce moment. Huawei, par exemple, n’est rien sans les composants logiciels et matériels des Etats-Unis, du Japon, de Taiwan, de la Corée, pointe le chercheur. Il y a des mouvements de sortie des capitaux, surtout dans le tourisme. Pour autant, il y a toujours un surplus dans la balance des comptes et on ne voit pas de crise imminente s’approcher. »
Un système politique anachronique
Les célébrations des 70 ans montrent qu’une partie de la population, nourrie de propagande et de censure développées à un niveau inouï, partage l’exaltation patriotique et soutient le régime. « Le nationalisme est la seule chose qui reste avec la légitimité matérielle », constate le spécialiste Michel Bonnin. « Si le développement économique ralentit ou s’arrête, le roi sera nu. Tout est basé sur le mensonge et l’occultation de l’histoire réelle du PCC. Depuis Deng Xiaoping, c’est « le Parti ou le chaos ». Nous sommes face à une légitimité négative. »
Pour conserver le pouvoir à tout prix, Xi Jinping a opéré un virage totalitaire et sécuritaire, aidé par les technologies de pointe.
Mais les vieilles techniques, confessions publiques, torture ou lavage de cerveau, ont toujours cours. Depuis deux ans, au Xinjiang, une région à majorité musulmane de l’ouest de la Chine, plus d’un million de personnes sont détenues dans des « camps de rééducation » pour leur faire renier leur culture et leur religion.
Une alternance impossible
Pour le professeur à Sciences-Po Rennes Florent Villard, « la réussite de la Chine cache une très grande fragilité. Les inégalités sociales sont majeures, et on ne mesure pas encore l’ampleur du coût environnemental de la modernisation.
Or à part le renforcement de la puissance de la nation, le régime n’a pas de projet politique positif et émancipateur à proposer. Il est à la merci d’une crise économique ou écologique à moyen terme ».
Chaque année, des dizaines de milliers de révoltes, de grèves, de manifestations ont lieu dans le pays, aussitôt étouffées avant que leurs leaders ne soient punis.
La lutte anticorruption, qui a envoyé en prison 1,5 million de cadres du Parti, a permis à Xi d’éliminer tous ses rivaux.
Sous son joug, aucune force sociale ou alternance politique ne peut se dessiner. « Certes, les crises périphériques, Hongkong, Taiwan et le Xinjiang, pourraient créer dans le futur une crise à grande échelle. Car à force de se raidir, le système pourrait finir par casser. Le moment est délicat, il y a des fragilités. Mais pour l’instant, tout est sous contrôle » , relativise malgré tout François Godement. « Et quoi qu’on en dise, ces célébrations sont une démonstration de force. »