Les manifestations contre la mainmise de Pékin ont pris une autre tournure dans le territoire semi-autonome : métro, entreprises et restaurants chinois sont mis à sac. Pour les identifier, les protestataires utilisent un code couleur.
« Si nous brûlons, vous brûlez avec nous », avaient prévenu les protestataires. La menace a été mise à exécution à grande échelle ce week-end. De nombreuses boutiques du territoire chinois semi-autonome ont été vandalisées par des manifestants.
Mais la mise à sac est ciblée : seuls les entreprises chinoises, les restaurants et magasins connectés avec Pékin, la police ou le gouvernement de Hongkong ont été vandalisés, à commencer par le métro, incarnation suprême d’un régime communiste à « abattre ». MTR (pour Mass Transit Railway) : « Ordure », « compagnie communiste », accusent encore de larges tags sur les murs de la station de Tseung Kwan O, dans les nouveaux territoires, traces des scènes d’apocalypse de vendredi soir. Trois heures durant, seuls dans le grand hall déserté et sans l’ombre d’un uniforme policier, ni la désapprobation de riverains, une dizaine de manifestants masqués ont éventré les portiques, pulvérisé les vitres et tenté d’incendier la station de ce quartier résidentiel. La quasi-totalité des 94 stations du réseau ont connu le même sort.
« On sait qui est notre ennemi »
Rutilant de propreté, le métropolitain hongkongais était jusqu’à cet été l’un des fleurons de l’ex-colonie britannique, plébiscité par 5,8 millions de passagers chaque jour. Son efficacité offrait aux manifestants la possibilité d’appliquer leur tactique du hit and run et de se déplacer comme l’eau.
Jusqu’à la disgrâce, fin août, quand la compagnie détenue à 75 % par le gouvernement hongkongais s’est attiré les foudres de la presse d’Etat chinoise pour sa complaisance supposée à l’égard des manifestants. Depuis, l’opérateur ferme des stations lors de manifestations, et sa fréquentation a baissé de 7,5 % en août.
Le métro s’est surtout mis les manifestants à dos le 31 août au soir. Cette nuit-là, dans la station Prince Edwards à Kowloon, la police antiémeute descendait sur les quais, slalomant entre les passagers pour interpeller dans le sang des manifestants. La police comptera dix blessés, puis sept, alimentant les rumeurs sur cette nuit d’interpellations dont MTR Corporation se serait montrée complice.
Depuis, des tags « V 831 », pour « vendetta 31 août », sont apparus sur les murs des stations. « On sait qui est notre ennemi. Ce ne sont pas les commerçants, c’est le gouvernement et ses alliés. Donc, on ne va pas casser pour casser, on cible », prévenait, début juin, Baggio Leung, jeune opposant au régime communiste. Dimanche par exemple, des manifestants ont laissé un mot d’excuse sur une porte d’une succursale de la banque HSBC, victime collatérale d’un feu qui visait un distributeur attenant de la Bank of China.
Cibles rouges
Quand la révolte déclenchée par le projet de loi sur l’extradition a éclaté il y a quatre mois, Baggio Leung, comme d’autres, militaient « pour frapper le porte-monnaie et fragiliser l’économie de Hongkong ». Ils appelaient à boycotter les capitaux rouges et à une consommation militante : troquer son téléphone Huawei contre un Samsung, résilier son abonnement à China Mobile pour un opérateur local et boire du thé plutôt que des cafés de Pacific Coffee ou de McDonald’s (respectivement opéré à Hongkong par China Resources Enterprise et par un groupe majoritairement détenu par le conglomérat public chinois Citic).
Les entreprises de Hongkong, base asiatique de plus de 1 500 multinationales, se sont rapidement retrouvées sur une corde raide entre les manifestants et le Parti communiste. Celles qui - sous la pression de Pékin et du marché chinois avec ses 1,2 milliard de clients potentiels - ont apporté leur soutien au gouvernement de Hongkong ont été immédiatement ciblées par les manifestants.
Et les actions symboliques sont devenues directes et assorties d’un code couleur. Les lieux jaunes sont prodémocratie. Les restaurants bleus, pro-Pékin, sont boycottés par les manifestants. Les cibles rouges sont recouvertes d’autocollants et de tags.
Les centres commerciaux dont les patrons ont soutenu Pékin sont ainsi régulièrement le lieu de flashmobs militantes, comme au chic Pacific Place à Admiralty, propriété de Swire. Ce conglomérat hongkongais est dans le collimateur des manifestants pour avoir obtenu la démission de personnels prodémocratie de la compagnie aérienne Cathay Pacific dont il est le principal actionnaire.
Les restaurants Jade Garden et les Starbucks, propriétés du groupe Maxim’s Caterers cristallisent, eux, l’ire de militants, depuis qu’Annie Wu, fille du fondateur de cette entreprise hongkongaise, a vilipendé les « émeutiers » au Conseil des droits de l’homme des Nations unies à Genève.
Puis il y a les actions plus violentes contre les points noirs : les entreprises chinoises ou gouvernementales que certains s’attellent à détruire et brûler.
La colère a donc désormais basculé dans une autre dimension.
– Cette politique de la terre brûlée, si elle contribue à mettre l’économie de Hongkong à terre, ne fait pas pour autant plier les autorités.
– Mais elle ne semble pas non plus être désavouée par la plupart des manifestants qui, selon un sondage publié fin septembre par plusieurs universités, soutenaient ces méthodes radicales.
Anne-Sophie Labadie correspondante à Hongkong