AUREL
L’ancien procureur de Paris, François Molins, qui espérait l’ouverture de ce procès bien plus tôt, s’était mordu les doigts, au moment de son départ, d’avoir à plusieurs reprises avancé une date d’audience sans cesse repoussée. C’est finalement près de dix ans après l’ouverture d’une information judiciaire, et après de multiples rebondissements que le dossier du Mediator arrive devant le tribunal.
Cette affaire emblématique de santé publique, qui a mis en cause le deuxième groupe pharmaceutique français, a montré l’échec des autorités sanitaires et a révélé les liens incestueux que peut entretenir l’industrie du médicament avec certains experts scientifiques et hauts dirigeants français, doit être jugée lors d’un procès-fleuve qui doit s’ouvrir lundi 23 septembre devant le tribunal correctionnel de Paris pour ne s’achever qu’au printemps.
Quatorze personnes physiques et onze personnes morales, dont les laboratoires Servier et l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), sont appelées à la barre. Les premiers comparaissent pour « tromperie aggravée » ; la seconde pour « homicides et blessures involontaires ». L’audience s’ouvrira en revanche sans Jacques Servier. Le fondateur des laboratoires est mort en 2014, à 92 ans.
Tout s’annonce déjà démesuré dans cette audience. Le nombre de parties civiles d’abord (près de 4 500), sa durée (six mois programmés, l’équivalent du procès de Maurice Papon en 1997 et 1998), le nombre de personnes concernées (le Mediator a été consommé par 5 millions de personnes depuis le milieu des années 1970, dont 3 millions pendant plus de trois mois), et celui du nombre de morts dont la liste n’est pas définitivement arrêtée et risque encore de s’allonger.
« Risques connus »
Le Mediator, c’est l’histoire d’un médicament antidiabétique, en réalité largement prescrit comme coupe-faim, dont les effets secondaires étaient connus mais ont été sciemment dissimulés par son fabricant par peur de perdre sa poule aux œufs d’or.
Les responsabilités dans ce scandale sont donc doubles ont estimé les magistrats Emmanuelle Robinson et Claire Thépaut qui, dans un document de 677 pages, résument l’affaire et ont ordonné le renvoi des responsables des laboratoires et de l’Afssaps (l’Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé, désormais Agence nationale de sécurité du médicament) à la barre. Toutefois, « les fautes reprochées à la firme », comme ils appellent les laboratoires Servier, et aux autorités sanitaires « ne sont (…) pas de nature comparable ».
Les comportements du groupe Servier et de ses dirigeants étaient délibérément « fautifs, attentatoires à la santé de la population », affirment les magistrates. Au cours de l’instruction, le juge Pascal Gand, celui qui a mené l’enquête, est remonté jusqu’aux origines du médicament. Le Mediator arrive sur le marché en 1976. Mais « dès le début des années 1970 », dans le dossier de demande d’autorisation de mise sur le marché, les laboratoires ont « sciemment caché les propriétés pharmacologiques réelles du médicament Mediator qui s’inscrivait, pourtant, sans conteste (…) dans la lignée des anorexigènes », est-il expliqué dans l’ordonnance. Puis ont maintenu « coûte que coûte » ce positionnement, « malgré les risques connus à partir de 1995 d’hypertension artérielle pulmonaire et d’atteinte » des valves cardiaques liés aux anorexigènes, progressivement interdits à la vente.
Face aux agissements de l’industrie, « la réponse des autorités (…) va se révéler insuffisante », assènent les magistrats. « La passivité de l’Afssaps », rebaptisée ANSM après le scandale, « et son incapacité à assurer un contrôle effectif réel du médicament la conduisent à une responsabilité notable dans la survenue des homicides et blessures involontaires ».
Toutefois, les « négligences » de l’agence sanitaire, « la longue inertie de l’administration » ne sauraient être considérées comme des fautes intentionnelles, contrairement à celles imputables au fabricant, précisent les juges. La nuance est de taille. Les laboratoires Servier la contestent. Depuis des années, ses avocats dénoncent une enquête « tronquée », « menée exclusivement à charge » qui minimiserait les responsabilités de l’Etat. Les politiques sont en effet les grands absents de l’instruction. Ce procès, écrivaient les conseils du laboratoire dans une tribune avant l’été, « sera un moment de vérité, qui fera la lumière sur la réalité des responsabilités de l’ensemble des acteurs concernés ».
Culte du secret
La révélation de ce scandale n’aurait jamais eu lieu sans l’acharnement d’une pneumologue de Brest, Irène Frachon, qui, grâce à une plongée minutieuse dans les dossiers de patients archivés à l’hôpital, a fait le lien entre des maladies cardiaques, pulmonaires, et la prise de cet antidiabétique star des laboratoires Servier. L’affaire éclate à la fin des années 2000. A l’automne 2009, le médicament est suspendu, puis retiré du marché six mois plus tard.
Le nombre de victimes est encore difficile à évaluer. Les experts judiciaires évoquent de 1 500 à 2 100 morts, mais c’est compter sans le nombre de personnes atteintes d’hypertension artérielle pulmonaire, cette maladie incurable dont l’espérance de survie excède rarement quatre ans après la pose du diagnostic. Selon l’agence du médicament, près de cinq millions de personnes ont consommé du Mediator depuis 1976, dont quelque trois millions pendant plus de trois mois.
Les victimes sont majoritairement des femmes qui, pour la plupart, ne souffraient ni de diabète ni de cholestérol. Elles se faisaient prescrire cet antidiabétique aux propriétés amaigrissantes pour gommer quelques kilos avant l’été. A en croire une note rédigée en 1969 par le laboratoire, ces « femmes soucieuses de ne pas s’arrondir » et ces « hommes qui (…) ont le désir de ne pas se laisser grossir » étaient précisément la cible du produit.
Ce procès sera aussi l’occasion de revenir sur la culture de ce groupe industriel français où le culte du secret fut poussé à l’extrême, et dont les méthodes furent parfois très discutables. Pendant les trente-trois années de vie du Mediator, les laboratoires Servier ont berné les autorités sanitaires et le corps médical « en délivrant des informations scientifiques trompeuses », rappellent les juges. Dans les couloirs de l’entreprise, tout fut mis en œuvre pour nier les risques du benfluorex, le principe actif du Mediator. « En interne, des consignes extrêmement fermes destinées à verrouiller le discours extérieur du groupe » étaient diffusées.
Lobbying minutieux
Un médecin osait-il émettre des doutes sur le médicament, voire signaler des effets secondaires ? Le groupe envoyait un praticien ami de la maison « remonter les bretelles » à son confrère. Le docteur Georges Chiche, cardiologue à l’hôpital de la Timone, à Marseille, le premier en France à suspecter une valvulopathie liée au Mediator, en a fait l’expérience en 1999.
Ce dossier ne raconte pas seulement une histoire de tromperie, de « désinformation » et d’un groupe prêt à tout pour maintenir son produit sur le marché. Il dit aussi des liens que noue l’industrie pharmaceutique avec les experts dans le seul intérêt de voir prospérer ses affaires. Servier excellait dans ce domaine.
Le « vaste réseau de contacts tissé auprès de nombreux responsables, agents et experts des autorités de santé » décrit par les juges était érigé en système. Le lobbying minutieusement orchestré. Jacques Servier recevait régulièrement au Cercle Hippocrate, un restaurant privé qui jouxtait son hôtel particulier, à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), et se faisait rédiger des fiches sur les politiques, personnalités du monde du médicament et agents de l’Afssaps à suivre.
Ainsi l’intervention de ce professeur de pédiatrie, Claude Griscelli, consultant pour les laboratoires, venu suggérer, en 2011, en pleine affaire, à la sénatrice (UMP) Marie-Thérèse Hermange de nuancer les responsabilités de l’industriel dans son rapport sur le Mediator… Le professeur devra répondre sur ces faits de trafic d’influence. Et l’ex-sénatrice, pour complicité de ce délit.
Au plus fort de l’affaire, le ministre de la santé Xavier Bertrand avait mis sur pied, avec les représentants des laboratoires, un processus spécifique d’indemnisation des victimes. Les débats furent parfois âpres entre les parties et les experts, mais nombreuses sont celles qui ont déjà été indemnisées. Selon un décompte publié le 30 août, le groupe pharmaceutique annonce avoir fait une offre d’indemnisation à 3 732 patients, « pour un montant total de 164,4 millions d’euros dont 131,8 millions ont déjà été versés » (en additionnant les procédures amiables et les accords transactionnels conclus à l’issue d’une procédure judiciaire). Ces chiffres n’enlèvent en rien l’utilité et l’importance d’un procès pénal – si long soit-il – afin que les responsabilités de chacun puissent enfin être établies.
Emeline Cazi
• Le Monde. Publié le 21 septembre 2019 à 09h26 - Mis à jour le 23 septembre 2019 à 15h19 :
https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/09/21/le-scandale-du-mediator-en-proces_6012535_3224.html
Mediator : pourquoi les laboratoires Servier et l’Agence du médicament sont renvoyés devant le tribunal
Dans l’ordonnance de renvoi, les juges d’instruction décrivent un scandale né des comportements « fautifs » du groupe Servier et de la « passivité » de l’ANSM.
Le premier acte de l’affaire du Mediator est désormais clos. Ce dossier emblématique de santé publique, qui a mis en cause ces dernières années le deuxième groupe pharmaceutique français, montré l’échec des autorités sanitaires et révélé les liens incestueux que peut entretenir l’industrie du médicament avec certains experts scientifiques et hauts dirigeants français, donnera bien lieu à un procès-fleuve. Les juges d’instruction du pôle de santé publique de Paris ont rendu leur ordonnance de renvoi.
Au terme d’un document de 677 pages signé le 30 août, et dont Le Monde a pris connaissance, Emmanuelle Robinson et Claire Thépaut, conformément aux réquisitions du parquet, ordonnent que soient renvoyées devant le tribunal correctionnel 14 personnes physiques et 11 personnes morales, dont les laboratoires Servier et l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), les premiers pour « tromperie aggravée » et la seconde pour « homicides et blessures involontaires ».
C’est l’histoire d’un médicament antidiabétique, en réalité largement prescrit comme coupe-faim, dont les effets secondaires étaient connus mais ont été sciemment dissimulés par son fabricant par peur de perdre sa poule aux œufs d’or. Les responsabilités dans ce scandale sont donc doubles, estiment les magistrates instructrices. Toutefois, « les fautes reprochées à la firme », comme les magistrates appellent les laboratoires Servier, et aux autorités sanitaires « ne sont (…) pas de nature comparable », précisent-elles dans leur ordonnance.
Une instruction « tronquée », selon Servier
Les comportements du groupe Servier et de ses dirigeants étaient délibérément « fautifs, attentatoires à la santé de la population », estiment-elles. Les laboratoires ont, « dès le début des années 1970, sciemment caché les propriétés pharmacologiques réelles du médicament Mediator qui s’inscrivait, pourtant, sans conteste (…) dans la lignée des anorexigènes ». Puis ont maintenu « coûte que coûte » ce positionnement, « malgré les risques connus à partir de 1995 d’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) et d’atteinte » des valves cardiaques liés aux anorexigènes, progressivement interdites à la vente.
Face aux agissements de l’industrie, « la réponse des autorités (…) va se révéler insuffisante », poursuivent les magistrates. « La passivité de l’Afssaps », rebaptisée ANSM après le scandale, « et son incapacité à assurer un contrôle effectif réel du médicament la conduisent à une responsabilité notable dans la survenue des homicides et blessures involontaires ». Toutefois, les « négligences » de l’Agence sanitaire, « la longue inertie de l’administration » ne sauraient être considérées comme des fautes intentionnelles, contrairement à celles imputables au fabricant, précisent les juges. La nuance est de taille. Evidemment, les laboratoires Servier la contestent. Depuis des années, ils dénoncent une instruction « tronquée », qui minimiserait les responsabilités de l’Etat. Ils n’ont pas manqué de le redire à l’annonce de leur renvoi devant le tribunal.
1 500 à 2 100 morts
Le scandale du Mediator a éclaté à la fin des années 2000 à la suite des révélations par une pneumologue de Brest, Irène Frachon, des liens entre des maladies cardiaques, pulmonaires et la prise de cet antidiabétique star des laboratoires Servier. A l’automne 2009, l’autorisation de commercialisation du médicament est suspendue, avant qu’il soit retiré du marché six mois plus tard.
Le nombre de victimes est encore difficile à évaluer. Les experts judiciaires évoquent 1 500 à 2 100 morts, mais c’est compter sans le nombre de HTAP, cette maladie incurable dont l’espérance de survie excède rarement quatre ans après la pause du diagnostic. Selon l’Agence du médicament, près de 5 millions de personnes ont pris du Mediator depuis 1976, dont quelque trois millions de personnes pendant plus de trois mois. Les victimes sont majoritairement des femmes.
La plupart ne souffraient ni de diabète ni de cholestérol, mais se faisaient prescrire cet antidiabétique aux propriétés amaigrissantes pour gommer quelques kilos avant l’été. A en croire une note rédigée en 1969 par le laboratoire, ces « femmes soucieuses de ne pas s’arrondir » et ces « hommes qui (…) ont le désir de ne pas se laisser grossir » étaient précisément la cible phare pour ce produit.
Article réservé à nos abonnés Lire aussi Irène Frachon, vigie de la santé
Pendant les trente-trois années de vie du Mediator, les laboratoires Servier ont trompé les autorités sanitaires et le corps médical « en délivrant des informations scientifiques trompeuses » et « en remettant en cause les cas de pharmacovigilance », poursuivent les juges. La première alerte européenne de 1998 et les suivantes en France en 1999 ont toutes été ignorées. Plus exactement, tout fut mis en œuvre pour nier les risques du benfluorex, le principe actif du Mediator. « En interne, des consignes extrêmement fermes destinées à verrouiller le discours extérieur du groupe » étaient diffusées.
Un lobbying minutieusement orchestré
Un médecin osait-il émettre des doutes sur le médicament, voire signaler des effets secondaires ? Le groupe envoyait un praticien ami de la maison « remonter les bretelles » de son confrère. Le docteur Georges Chiche, cardiologue à l’hôpital de la Timone, à Marseille, le premier en France à suspecter un cas de valvulopathie lié au Mediator, en a fait les frais en 1999.
Ce dossier ne retrace pas seulement une histoire de tromperie, de « désinformation » et d’un groupe prêt à tout pour le maintien de son produit sur le marché. Il dit aussi beaucoup des liens d’intérêt que noue l’industrie pharmaceutique avec les experts pour placer au mieux ses produits. Servier était un maître en la matière. Le « vaste réseau de contacts tissé auprès de nombreux responsables, agents et experts des autorités de santé », décrit par les juges était érigé en système. Le lobbying minutieusement orchestré. Jacques Servier, le fondateur du groupe, recevait régulièrement au Cercle Hippocrate, un restaurant privé qui jouxtait son hôtel particulier, à Neuilly, et se faisait rédiger des fiches sur les politiques, les personnalités du monde du médicament et les agents de l’Afssaps à suivre.
Et que dire aussi de l’intervention de ce professeur de pédiatrie, Claude Griscelli, consultant pour les laboratoires, venu suggérer, en 2011, à la sénatrice (UMP) Marie-Thérèse Hermange de nuancer les responsabilités de l’industriel dans son rapport sur le Mediator ? Le professeur devra répondre sur ces faits de trafic d’influence et l’ex-sénatrice, pour complicité de ce délit.
Le prochain acte de l’affaire s’écrira à la barre. Dans un dossier qui a connu tant de rebondissements et d’innovations en termes de procédures et de recours judiciaires, il devient hasardeux d’avancer une date, mais il est raisonnable de croire que le procès ne se tiendra probablement pas avant 2019. L’audience s’ouvrira sans Jacques Servier. Le fondateur des laboratoires est mort en 2014, à 92 ans.
Emeline Cazi
• Le Monde. Publié le 06 septembre 2017 à 10h30 - Mis à jour le 06 septembre 2017 à 11h01 :
https://www.lemonde.fr/societe/article/2017/09/06/mediator-pourquoi-les-laboratoires-servier-et-l-agence-du-medicament-sont-renvoyes-devant-le-tribunal_5181647_3224.html
Le Mediator était essentiellement consommé par des femmes
Les trois quarts des consommateurs étaient des consommatrices, utilisant souvent le médicament comme coupe-faim.
Depuis novembre 2010, plus d’une centaine de « témoignages touchants » sont arrivés sur le bureau d’Irène Frachon, la pneumologue brestoise qui a révélé au grand public les dangers du Mediator. En mars et avril, son hôpital a même mis à sa disposition une secrétaire pour trier les courriers. Le docteur Frachon n’a pas pu répondre directement à tout le monde, mais a regardé de près les cas qui semblaient les plus graves.
La plupart du temps, dans ces lettres d’anciens consommateurs du médicament du groupe Servier, ce sont des « histoires assez similaires » qui sont narrées par des gens « plutôt désemparés » : « poussées de tension, essoufflements, état de santé qui se dégrade, vie devenue sans intérêt, perte de salaire, médecin généraliste ou cardiologue qui minimise le problème », énumère-t-elle. Souvent aussi, on lui demande des conseils sur les démarches à suivre.
A leur lecture, Irène Frachon devine des victimes potentielles souvent issues d’un milieu modeste. Même chose à l’Association d’aide aux victimes de l’Isoméride et du Mediator, qui a reçu plus de 3 000 dossiers : « Beaucoup de gens semblent avoir des difficultés financières. Du coup, nous avons décidé de rendre notre adhésion (61 euros) facultative », explique Dominique-Michel Courtois, son président.
Le plus souvent, ce sont des femmes qui les ont contactés, racontent-ils tous les deux. Et effectivement, selon les chiffres 2008 de l’assurance-maladie, 72 % des consommateurs de Mediator étaient des consommatrices, surtout âgées de 40 à 69 ans.
Hors indication thérapeutique
Pourquoi en ont-elles consommé ? Pour maigrir, dans une société obnubilée par les kilos en trop. Au fil des ans, alors que les anorexigènes avaient été interdits, le Mediator, destiné au régime des diabétiques, semble ainsi s’être installé comme un coupe-faim bien connu. Un médicament pour maigrir pris en charge à 65 % par la Sécurité sociale, si le médecin qui le prescrivait hors autorisation de mise sur le marché (AMM) omettait de préciser sur l’ordonnance qu’il ne devait pas être remboursé.
Ainsi, selon une étude réalisée à partir des données de remboursement de 2008 par l’assurance-maladie, 82 % des femmes ayant pris du Mediator se le sont vu prescrire cette année-là « hors AMM », et 67 % des hommes. Surtout, chez les femmes de moins de 50 ans, 90 % des consommatrices de Mediator n’étaient pas diabétiques. A titre de comparaison, c’était le cas de « seulement » 57 % des hommes de plus de 75 ans.
Cette question de la prise du médicament hors indication thérapeutique fait cependant toujours débat. Si l’assurance-maladie, qui dès 1998 avait alerté sur le « mésusage » du Mediator, avance le chiffre global de 78 % de prescription hors AMM en 2008, un an avant le retrait du marché du médicament, celui avancé par le fabricant est tout autre.
Servier se base sur les chiffres de Thalès, un organisme qui fournit des données aux laboratoires à partir des dossiers de médecins. Ils montrent qu’en 2006, la consommation hors AMM pour surcharge pondérale et obésité représentait 10,7 % des prescriptions.
La différence est énorme, même si, entre 2006 et 2008, le Mediator a perdu l’indication thérapeutique concernant les personnes ayant un excès de certains lipides dans le sang (hypertriglycéridémie) pour ne conserver que l’indication « adjuvant du régime adapté chez les diabétiques en surcharge pondérale ».
Qu’ils aient consommé du Mediator en dehors des indications thérapeutiques ou non, aujourd’hui, beaucoup de Français s’inquiètent des effets du médicament sur leur santé. Quelque 790 000 patients ont reçu (ou sont en passe de recevoir) ces derniers mois un courrier d’information de l’assurance-maladie, qui a pu retrouver tous ceux qui ont pris du benfluorex de 2006 à 2009. Entre novembre 2010 et mars 2011, 97 000 personnes ayant pris du Mediator ont bénéficié d’une échographie cardiaque.
Emeline Cazi et Laetitia Clavreul
• Le Monde. Publié le 07 juin 2011 à 13h55 - Mis à jour le 07 juin 2011 à 13h56 :
https://www.lemonde.fr/societe/article/2011/06/07/le-mediator-etait-essentiellement-consomme-par-des-femmes_1532965_3224.html
Mediator : pourquoi le parquet demande un procès contre les laboratoires Servier
Le ministère public réclame le renvoi des laboratoires Servier devant le tribunal pour des faits de tromperie, d’escroquerie, d’homicides et de blessures involontaires.
AUREL
Sept ans après le dépôt des premières plaintes concernant le Mediator, et trois ans après la mort de Jacques Servier, président-fondateur des laboratoires du même nom, la tenue d’un procès se rapproche. Le parquet de Paris a signé le 24 mai un réquisitoire définitif exceptionnellement détaillé dans lequel il demande le renvoi devant le tribunal de « la firme », comme il l’appelle tout au long des 597 pages du document que Le Monde a pu consulter, notamment pour des faits de tromperie, d’escroquerie, d’homicides et de blessures involontaires.
Commercialisé en 1976, le Mediator, présenté par Servier comme un antidiabétique, a finalement été interdit en 2009 après que le risque de complications cardiaques et pulmonaires a été mis au jour. En France, ce sont près de cinq millions de personnes qui auraient consommé le médicament, en réalité souvent utilisé comme « coupe-faim » et non comme antidiabétique. A terme, la dernière expertise judiciaire sur le sujet a estimé qu’entre 1 500 et 2 100 personnes sont mortes de ses effets indésirables.
Pour le ministère public, les laboratoires Servier ont délibérément dissimulé aux autorités de contrôle les effets anorexigènes du Mediator, et cela pour des raisons de pure stratégie commerciale, Servier disposant déjà de molécules de ce type sur le marché.
Circonstances aggravantes, alors que la dangerosité des fenfluramines (une molécule proche de celle métabolisée par le Mediator) était sérieusement documentée au moins à partir de 1995, à aucun moment les laboratoires n’en ont tiré les conséquences, poursuivant leur entreprise de lobbying auprès des autorités de contrôle afin d’obtenir le renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché du Mediator. Un comportement qualifié de « jusqu’au-boutiste ».
« Les laboratoires Servier développaient un discours officiel très strict sur ce qu’il convenait de dire sur le Mediator tant en interne qu’en externe. Le groupe luttait fermement contre tout ce qui pouvait contrevenir à cette ligne officielle », notent ainsi les vice-procureurs Flavie Le Sueur et Aude Le Guilcher. Celles-ci font notamment référence à une note du directeur général du groupe Servier, Jean-Philippe Seta, transmise en 1999 aux dirigeants du groupe et dans laquelle il précise le discours à tenir sur le Mediator et minimise les possibles effets toxiques du médicament (le taux de libération de norfenfluramine). « Une erreur technique », indiquera-t-il aux juges.
En résumé, pour l’accusation, les laboratoires Servier ont tout fait pour cacher le rôle de cette molécule parce qu’elle constituait à la fois la raison essentielle de l’activité du Mediator (son rôle de coupe-faim) et son facteur de nuisance principal (les maladies cardiaques et pulmonaires).
Liens incestueux
Le réquisitoire du parquet de Paris est par ailleurs l’occasion d’une plongée vertigineuse dans l’univers du médicament où les enjeux stratégiques et financiers d’un laboratoire ont fait plier toutes les digues des autorités de contrôle aux dépens des consommateurs. Trafic d’influence, prise illégale d’intérêts, escroquerie… Tel un petit inventaire du code pénal, les chefs de ce renvoi souhaité par le parquet de Paris décrivent les leviers utilisés par les laboratoires Servier.
La longue vie du Mediator aurait ainsi, selon l’accusation, tenu notamment à la capacité du groupe à « tisser un réseau de relations sociales et professionnelles très large, permettant d’“investir” sur des personnes chargées du contrôle de ses produits en les rémunérant ».
Les exemples de ces liens incestueux entre les laboratoires et les autorités sanitaires chargées de leur surveillance mis au jour par l’enquête judiciaire sont légion. « L’instruction a permis de démontrer que le groupe Servier entretenait financièrement des experts chargés de la décision en matière administrative du produit tout au long de sa vie sur le marché », note le parquet de Paris. Quatorze personnes, parmi lesquelles le directeur général du groupe et plusieurs cadres de l’agence du médicament ayant entretenu des liens d’intérêts avec Servier, pourraient ainsi être renvoyées.
L’Agence du médicament – nommée Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) à partir de 2012 – a échappé à une mise en examen pour tromperie – au grand dam des conseils de Servier, qui considèrent que l’enquête s’est attachée à protéger les intérêts de l’Etat pour pointer uniquement les responsabilités du laboratoire.
Mais le parquet constate « les graves défaillances du système de pharmacovigilance ». Il souligne que « l’Agence du médicament (…) se montrait particulièrement défaillante dans son rôle de “gendarme du médicament” ». Celle-ci a ainsi fait preuve d’un « manque de réactivité manifeste » et de « négligences successives qui ont perduré dans le temps », concourant ainsi « à la commission des faits de blessures et d’homicides involontaires » – faits pour lesquels le parquet demande le renvoi de l’agence au tribunal.
« Pressions et menaces »
L’instruction a en outre montré que les activités de « lobbying » du laboratoire ne s’étaient pas limitées aux seuls experts chargés de la régulation. « Le recrutement de scientifiques et l’échange de services, notamment avec ces derniers ou les politiques, permettaient de faire passer un message de promotion et de mise en valeur du groupe », note le parquet. Ainsi en 1998, Philippe Douste-Blazy, alors ex-ministre délégué à la santé, avait vu le club de football de la ville de Lourdes dont il était maire (UDF) bénéficier d’un contrat de sponsoring de Servier à hauteur de 300 000 francs. Une façon d’entretenir les liens avec celui qui deviendra six ans plus tard ministre de la santé et, selon son propre terme, « ami » de Jacques Servier.
L’ex-sénatrice (Paris, UMP) Marie-Thérèse Hermange pourrait par ailleurs être renvoyée devant le tribunal pour complicité de trafic d’influence pour avoir modifié les termes d’un rapport en faveur du Mediator sur les conseils d’un homme rémunéré par le groupe.
« A l’extérieur du groupe, la firme n’hésitait pas à employer des méthodes de contrôle sur le contenu éditorial des articles scientifiques, exerçant des pressions, voire des menaces, sur des scientifiques s’opposant aux produits Servier », explique le ministère public. L’un des médecins ayant pris publiquement la parole pour dénoncer la dangerosité du Mediator avait ainsi eu la surprise de découvrir à deux reprises une couronne mortuaire devant la porte de son domicile personnel en novembre 1996.
Les juges d’instruction peuvent désormais rendre leur ordonnance d’ici un mois. S’ils vont dans le sens des réquisitions du parquet de Paris, ce qui fait peu de doutes, plus rien ne s’opposera à l’organisation complexe puis à la tenue d’un procès qui réunira de très nombreuses parties civiles.
Simon Piel
• Le Monde. Publié le 06 juin 2017 à 06h37 - Mis à jour le 06 juin 2017 à 10h27 :
https://www.lemonde.fr/societe/article/2017/06/06/mediator-pourquoi-le-parquet-demande-un-proces-contre-les-laboratoires-servier_5139155_3224.html
Irène Frachon, vigie de la santé
En 2009, la pneumologue brestoise révélait la toxicité du Mediator. Elle a obtenu son retrait, mais continue le combat contre un système médical rongé par les conflits d’intérêts.
Irene Frachon à son domicile de Brest le 16 juin 2015. DIDIER OLIVRE POUR « LE MONDE »
Elle les trouve finalement bien fades, les « aventures extraordinaires » qu’elle s’imaginait gamine avec ses cousins, l’été, à Orignac, sur les rives de la Gironde. Elles avaient pourtant tous les ingrédients du bon polar, ces histoires inspirées du « Club des cinq » mises en scène dans le parc de ce château familial, perdu au milieu des vignobles. On la devine volontiers jouer Claude, forte tête mais énergique chef de bande. Irène Frachon corrige. Sa vie de « détective » a commencé il y a huit ans, le nez dans les archives, au sous-sol de l’hôpital de Brest.
Se dépeindre héroïne d’un roman de la « Bibliothèque rose », la cinquantaine passée, est la meilleure manière qu’ait trouvée la « pneumologue du Mediator » pour tenir à distance une réalité bien sombre qui l’obsède depuis qu’elle a révélé la toxicité du médicament des laboratoires Servier, accusé d’être responsable de la mort de 1 500 personnes. Les romans d’Enid Blyton se terminent bien. Dans la vraie vie, le cœur lâche subitement, des hommes et des femmes se noient dans leur sang, et les responsables de ces drames courent toujours.
L’énigme de départ était si bien nouée qu’il fallut deux ans à Irène Frachon pour la résoudre. Le mystère élucidé – ses patients mouraient d’avoir avalé ces comprimés amaigrissants –, il y avait urgence à dénoncer un médicament qui ressemblait étrangement à ces anorexigènes bannis depuis dix ans. La démarche fut moins simple qu’il n’y paraît. L’étiquette « pneumologue de province » n’aide pas. Et comment pouvait-elle soupçonner que Servier rémunérait des experts des autorités sanitaires ? On l’a prise de haut. La dame de Brest est tenace. A l’automne 2009, le Mediator est retiré du marché.
Chèque déchiré
L’aventure aurait pu s’arrêter là, et Irène Frachon s’en retourner à sa vie de médecin brestoise, mère débordée de quatre ados, qui roule en Logan blanche et joue de l’orgue au temple le dimanche. Son combat pour l’interdiction du Mediator n’est en fait que la saison 1 d’une série qui n’en finit pas de s’écrire. Elle n’a rien demandé. S’en serait bien passée. « Au début, je n’ai fait que mon devoir en dénonçant les effets secondaires d’un médicament. »
La suite, ce sont ses confrères qui l’ont amorcée, se défend-elle. Elle n’avait pas prévu de s’attaquer à sa profession et de dénoncer un système rongé par les conflits d’intérêts, mais « le déni du crime » l’a fait bondir. « En France, en 2015, des hommes et des femmes se font massacrer, et ceux qui les voient s’en détournent. 80 % des cardiologues estiment que les valvulopathies liées au Mediator ne devraient pas être indemnisées. L’un d’eux, après une opération, a prié une patiente de se taire. » Irène Frachon fond en larmes. « Oui, ça ne va pas très bien. »
Le chemin sur lequel elle s’est engagée est sans retour possible. Depuis qu’elle a compris que « le Mediator n’est pas un accident, mais que c’est tout un système qui fonctionne comme ça », elle a fait de la lutte contre les conflits d’intérêts de la santé – ceux-là mêmes que Martin Hirsch, le patron des Hôpitaux de Paris, juge « mortels », dans son essai Pour en finir avec les conflits d’intérêts (Stock, 2010) – son nouveau combat.
L’alliance du médecin et de l’industriel est aussi naturelle que le mariage d’un homme et d’une femme, lui a expliqué un pape de la chirurgie vasculaire
La route est longue. L’alliance du médecin et de l’industriel est aussi naturelle que le mariage d’un homme et d’une femme, lui a expliqué un pape de la chirurgie vasculaire, lors d’un congrès, à Paris, en janvier. « Il n’y a absolument rien de comparable, selon elle. Un homme et une femme agissent ensemble dans l’intérêt de l’enfant. Le médecin et l’industriel se marient pour des intérêts divergents : l’un pour le patient, le second pour les actionnaires. »
« Mme Mains propres » connaît bien le sujet. Il fut un temps où le docteur Frachon s’envolait tous frais payés avec ses amis pneumologues pour Budapest, Florence, Séville. Elle a dîné dans les plus grands restaurants, dormi dans les hôtels les plus chics. L’industrie draguait alors une leader d’opinion potentielle, spécialiste d’une maladie orpheline. Mais jamais, à l’exception d’un atelier de travail sur l’asthme, elle n’a accepté d’être rémunérée. Son mari, directeur du service hydrographique de la marine, l’a fait réfléchir ce jour où elle a touché 780 euros pour une présentation. L’hôpital lui versait un salaire, pourquoi le privé s’en mêlait-il ? Elle a déchiré le chèque.
La mesure n’est pas ce qui caractérise le plus Irène Frachon. Charles Kermarec, le patron de la librairie Dialogues, à Brest, a conservé le courriel de cette cliente indignée de devoir donner nom et prénom pour le renouvellement de sa carte de fidélité. Une pénible, assurément, cette grande blonde, cintrée dans un éternel trench beige, sa croix huguenote autour du cou. A ce moment, il ignorait qu’il éditerait un manuscrit dont le titre – Mediator, 150 mg, combien de morts ? (2010) –, censuré dans un premier temps, faillit mettre à terre sa maison d’édition, mais révéla l’affaire au grand public.
On ne rétablira pas la confiance sur le système de santé sans une « transparence totale », estime Irène Frachon. La loi anti-cadeaux de Xavier Bertrand en 2011 est un premier pas. Le projet de loi de Marisol Touraine, avec cette promesse de révéler le montant des conventions entre labos et médecins, un second. Mais elle ne lâchera rien tant que le moindre euro versé par l’industrie ne sera pas rendu public.
« Irène Brockovich de Brest »
En face, la riposte est violente. On l’avait prévenue des risques qu’elle prenait à s’attaquer à un laboratoire, fierté nationale, dont le fondateur recevait politiques et médecins à Neuilly et fut décoré grand-croix de la Légion d’honneur par le président Sarkozy. Irène Frachon n’avait pas anticipé la morgue de ses confrères. Il est vrai qu’elle leur reproche de « collaborer avec l’industrie ». Alors ils contre-attaquent et dénigrent « sainte Irène », la « pasionaria », l’« intégriste ». En rajoutent en la traitant de « dingue manipulée par Xavier Bertrand et récupérée par les médias », en mal de notoriété. Regardez, elle va même chez Ruquier… « Ruquier, la belle affaire ! », rit-elle. Dans son salon, il y a une batterie, deux pianos, quatre guitares, deux trompettes, mais pas la télé. Elle ne connaissait rien de Ruquier ni de sa bande avant qu’ils ne l’invitent à raconter son histoire.
L’art de mettre les pieds dans le plat fait partie du personnage. Tout le reste est calcul. Précisément cette médiatisation qu’on lui reproche tant. Il faut se protéger, lui avait conseillé son avocat, Me François Honnorat. Parler, c’est aussi faire entendre la douleur des victimes. Tous les jours, elle voit ces corps se fatiguer, le souffle se raréfier, ces escaliers à monter devenir torture. Elle entend ces renoncements à avoir un enfant, ces nuits d’amour impossibles. Comment taire tout cela ?
Sans ces victimes dont elle a épousé la souffrance, jamais elle n’aurait été si acharnée
La relation d’Irène Frachon avec chacun de ses malades excède l’empathie normale du médecin. Si l’aide juridictionnelle ne suffit pas, s’il faut transférer un corps pour une autopsie, elle puise dans ses droits d’auteur. Tous ont son numéro de portable, il lui faut rester joignable, pense-t-elle. Fini, donc, les virées familiales en voilier. En montagne, si la 3G ne passe pas, elle roule jusqu’à pouvoir relever ses messages. Sans ces victimes dont elle a épousé la souffrance, jamais elle n’aurait été si acharnée. « Elle ne supporte pas qu’on ne porte pas attention aux autres », explique son mari, compréhensif. A l’hôpital, on la sait désormais « mediatorologue » à 70 %. On s’en accommode.
Les raisons de son engagement sont à puiser dans les mythes fondateurs de son histoire familiale. Les deux grands-pères ont joué un rôle décisif pendant la seconde guerre. L’amiral Meyer a sauvé La Rochelle des bombardements en engageant le dialogue avec un marin allemand. Le banquier Jacques Allier a permis que l’unique réserve mondiale d’eau lourde – indispensable à la fabrication de la bombe – soit rapatriée de Norvège en France. L’arrière-grand-père, Raoul Allier, inspirateur de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905, et la tante Idelette, ethnologue au Cameroun, servirent aussi de figures tutélaires.
Deuxième d’une fratrie de quatre, fille d’une agronome et d’un ingénieur dans l’armement, Irène Frachon a reçu une éducation solide, bourgeoise, structurée par une forte éthique protestante. « Elle a grandi dans un environnement soutenant et rassurant, complète son cousin pasteur, Laurent Schlumberger, président de l’Eglise protestante unie de France. C’est important, car mener ce genre de combat n’est possible que si on a une confiance de fond et qu’on ne joue pas sa vie. C’est cette confiance fondamentale qui lui a permis d’oser. »
A Paris, Irène Frachon hérisse ses pairs. Sur les marchés de Bretagne, on se presse pour remercier « Irène Brockovich de Brest ». Elle séduit tous ceux qui voient en elle le symbole d’un combat citoyen possible contre les puissants. Les lanceurs d’alerte sont à la mode. Elle fait salle comble chaque fois qu’elle donne une conférence. A la Pentecôte, elle était l’invitée du Festival des résistances, sur le plateau des Glières.
« Une femme engagée »
Les Verts ou les centristes lui ont proposé de les rejoindre, et l’UMP de lui donner la Légion d’honneur. Elle a dit non. C’est le portrait de cette « femme engagée, toute mouillée dans son histoire, qui ne fait rien pour elle », qu’Emmanuelle Bercot, la réalisatrice de La Tête haute, va porter à l’écran avec, dans son rôle, Sidse Babett Knudsen, l’actrice de la série danoise à succès « Borgen ». Sa joyeuse tribu n’est pas peu fière. Même la petite dernière, celle que sa mère a oubliée tant de fois à la gymnastique. Elle avait 10 ans au plus fort de l’affaire.
« Tu en as encore au moins pour dix ans », a prédit Bruno Frachon, il y a peu, à sa femme. « Le général » n’a peut-être pas tort. Le procès pénal n’est pas près de se tenir. Irène Frachon assistera à chaque jour d’audience. Le père du Mediator est mort sans avoir été jugé, mais une procédure avortée à Nanterre a permis que « la photo de Jacques Servier face à ses juges existe », rappelle le docteur Frachon.
Pour les victimes, encore et toujours elles, cela n’a pas de prix.
Emeline Cazi (Brest (Finistère), envoyée spéciale)
• Le Monde. Publié le 10 juillet 2015 à 21h28 - Mis à jour le 21 juillet 2015 à 16h07 :
https://www.lemonde.fr/festival/article/2015/07/21/irene-frachon-vigie-de-la-sante_4691933_4415198.html