Ce champignon qui n’en paraît pas un... ne fait d’ailleurs plus partie du règne fongique (celui des champignons ou mycètes) depuis la fin de 20e siècle. Les « règnes » étaient le premier niveau dans la classification des espèces (on y reviendra). Considéré par certains à mi-chemin entre végétal et animal (ou les champignons), il a la particularité de ramper, en quelque sorte, sur son support en se nourrissant.
Le Mucilage en croûte, mucilago crustacea, parc des Beaumonts, 18 octobre 2019. Cliché Pierre Rousset.
Le statut des fuligos n’a cessé d’évoluer. Pour résumer, il était initialement considéré comme un champignon. Les champignons étaient alors classés parmi les plantes. Il est resté « champignon » quand ces derniers ont été séparés des plantes et ont constitué un « règne » propre, fongique. Puis on l’en a retiré pour l’intégrer au règne des protistes, censé regrouper les premières formes de vie apparues sur terre... Ce règne est maintenant discuté, étant jugé si hétérogène, tant du point de vue anatomique que physiologique, qu’il apparait comme une catégorie four tout par des systématiciens. Vous suivez ? J’ai eu quelque mal...
Le Mucilage est un myxomycète.
[Nous reviendrons plus loin sur la classification des êtres vivants et ses modifications, en rapport avec les myxomycètes.]
Les myxomycètes
Les myxomycètes sont des organismes vivants archaïque qui existent depuis très longtemps (entre 500 millions et un milliard d’années), bien avant l’apparition des végétaux et des animaux.
Plus de mille espèces ont été répertoriées de par le monde, présentant une grande diversité de structures, de formes et de couleurs (jaune, blanc, orange et bleu, plus rarement rose ou rouge).
C’est un organisme unicellulaire.
Il est constitué d’une gigantesque cellule [1] remplie d’une multitude de noyaux. C’est ce qu’on appelle un organisme à plasmode (masse gélatineuse) : le cytoplasme (le contenu de la cellule) et mou, déformable, sans paroi squelettique. En son sein, le noyau s’est divisé un grand nombre de fois sans qu’il y ait eu de cloisonnement par des membranes plasmiques (des membranes biologiques délimitant le contenu d’une cellule, le séparant du milieu extérieur).
Photos mycorance [2]
Le myxomycète a une capacité de survie exceptionnelle : le plasmode sectionné peut se ressouder instantanément ou former deux plasmodes indépendants. Dans des conditions défavorables (sècheresse, gel), le plasmode se rétracte dans son support ou bien forme un sclérote (une structure dure) presqu’indestructible. Réhydraté ou humidifié, il réapparaît et reprend sa quête de nourriture.
Pour résumer, le plasmode est une structure vivante correspondant à une gigantesque cellule unique remplie d’une multitude de noyaux. C’est une masse de protoplasme, de matière hyaline (translucide), gélatineuse, molle, déformable, qui n’est pas entourée de parois rigides. Audrey Dussutour, initialement spécialiste des fourmis et éthologue au CNRS de Toulouse, s’est prises de passion pour les myxomycètes, reprenant pour les qualifier le surnom britannique de « blob » (zone informe).
Pour se nourrir, il doit bouger : il « rampe » en moyenne d’un centimètre à l’heure, plus vite s’il a faim. Il se déplace ainsi grâce aux mouvements amiboïdes (similaires à ceux des amibes, comme pour les globules blancs) par déformation de ses pseudopodes. Il ne revisite pas les mêmes endroits, car il laisse une trace de mucus qui lui rappelle qu’il y est déjà passé.
Les pseudopodes ne sont pas des pattes : la membrane du plasmode elle-même se déforme pour assurer le déplacement (ou ingérer la nourriture). Cette déformation disparait avec la cessation de l’activité (c’est donc un prolongement cellulaire rétractile).
Le myxomycète n’est, on l’a dit, ni végétal, ni animal, ni champignon - mais un peu des trois.
Comme les champignons, les myxomycètes :
• Ne sont pas photosynthétiques (ils ne peuvent synthétiser de la matière organique en utilisant l’énergie lumineuse).
• Sont hétérotrophes (ils doivent se nourrir de constituants organiques préexistants) vis-à-vis du carbone.
Mais contrairement aux champignons :
• ils ne possèdent pas de parois chitineuses (formées d’une substance organique azotée).
• Ils ne possèdent pas de mycélium (l’appareil végétatif des champignons, composé d’un ensemble de filaments, plus ou moins ramifiés, que l’on trouve dans le sol ou le substrat de culture).
• Ils assurent leur nutrition par phagocytose, un mode de nutrition par ingestion et non par absorption : au voisinage d’une particule alimentaire, le protoplasme se déprime. Puis les bords de la dépression se rapprochent et se rejoignent. La particule est englobée dans la masse protoplasmique.
Les myxomycètes continuent cependant à être étudiés par des mycologues (spécialistes des champignons).
Le Mucilage en croûte, mucilago crustacea, parc des Beaumonts, 18 octobre 2019. Clichés Pierre Rousset.
Fiche d’identté
Nom scientifique : mucilago crustacea
Nom usuel : Mucilage en croûte
Synonyme : mucus croûté
Famille : physaracées
Biotopes : les myxomycètes se rencontrent sur différents substrats toujours végétaux dans des milieux variés tels que prés pâturés ou non, jachères, pelouses et jardins, sur les graminées, mais aussi sur bois pourrissant, litière de feuilles et brindilles, etc. :
Alimentation : se nourrissent de bactéries, d’algues, de champignons, etc.
Description
Chapeau : masse gélatineuse difforme de taille variant de 1 cm à plusieurs cm voire dizaines de cm telle une mousse dense à surface irrégulière et bosselée, parfois compacte et en forme de coussinet, d’abord de couleur crème à jaunâtre puis révélant un amas brun foncé à noirâtre (les spores qui sont de couleur noire) parcouru d’une série de filaments blanchâtres formant une sorte de fine toile dense en périphérie.
Lames : néant
Anneau : néant
Pied : néant
Exhalaison : nulle
Période de cueillette : principalement en automne, surtout par temps humide. Il est considéré comme non comestible.
Confusions : possible avec le fuligo gris (ou fleur de tan cendrée), Fuligo cinerea, et d’autres myxomycètes de couleurs variables
Le gel de février n’empêche pas d’observer Mucilago crustacea.
Le Mucilage en croûte, Mucilago crustacea, parc des Beaumonts, 10 février 2012. Cliché André Lantz
Ce myxomycète d’environ 2 cm d’épaisseur pour une longueur de 4 cm possède un cortex blanc formé de granules calcaires (le cortex est la couche externe d’un organe ou d’une structure). Les spores se trouvent dans la partie noirâtre de cette espèce. Elles sont de couleur brun foncé, globuleuses et verruqueuses. Dans la photo suivante réalisée en microscopie leur taille est d’environ 14 micromètres. On distingue également des cristaux de calcium sur ce cliché (une petite division correspond à une longueur de 1 micromètre).
Spores de Mucilago crustacea, microscopie, 13 février 2012. Cliché André Lantz
Le Mucilage en croûte, mucilago crustacea, parc des Beaumonts, 9 novembre 2019. Clichés Pierre Rousset.
Le cycle de reproduction des myxomycètes est complexe. En bref, le cycle de vie est initié par une spore qui germe en donnant une unique cellule qui peut se déplacer et trouver une autre cellule. Elles fusionnent les cytoplasmes et les noyaux, grossissant et formant le plasmode.
Quand les conditions conviennent, le plasmode entame sa phase de reproduction en se transformant complètement en myxocarpes, son stade immobile. Il se métamorphose en formant des sporocystes qui contiendront les spores destinées à sa pérennité. Une cloison cellulosique entoure chaque noyau pour former une spore et une réduction chromatique rendra la spore haploïde - haploïde signifie que les chromosomes que la cellule contient sont chacun en un seul exemplaire (n chromosomes).
La position systématique
Dans le système de classification classique des êtres vivants, il y a sept « étages », appelés « rangs taxinomiques » ou « taxons », « descendant » du « règne » jusqu’à l’espèce.
Le règne a donc longtemps été le premier niveau du classement des être vivants. A l’origine, on en comptait deux (les règnes végétal et animal). Ils sont aujourd’hui cinq, voire six (si on divise les protistes).
Récemment, le taxon des « domaines » (ou empire) a été créé, devenant le premier niveau du classement, devant donc les règnes qui se trouvent dorénavant au deuxième niveau.
Les myxomycètes sont rangés parmi les êtres vivants unicellulaires (composés d’une seule cellule), ils sont classés dans le domaine des eucaryotes (Eukaryota) qui regroupe les organismes se caractérisant par la présence d’un noyau et généralement par un certain mode de respiration (des organites).
Les myxomycètes appartiennent au règne (discuté) des protistes.
Etant des organismes à plasmode, ils sont rangés dans l’embranchement (niveau inférieur à celui des règnes) des amibozoaires, un grand groupe de protozoaires simples, la majorité se déplaçant par vagues cytoplasmiques internes. Le terme de protozoaire (Protozoa) désigne les protistes hétérotrophes mobiles qui ingèrent leur nourriture par phagocytose (voir ci-dessus pour le fuligo).
En guise de conclusion
Notre Mucilage en croûte se situe donc dans une région frontalière entre les domaines et entre les règnes dont le classement fait toujours l’objet de débats entre spécialistes. Ces organismes déroutants montrent qu’une classification, aussi utile et exacte qu’elle soit, a du mal, dans ses régions frontalières, à resituer toute la diversité du vivant. Les myxomycètes ressemblent aux animaux aux végétaux et aux champignons sans pour autant appartenir à aucun de ces trois règnes.
Citation : « Les mouvements du plasmode ont intrigués les scientifiques qui ont fait une découverte surprenante à son sujet. Le comportement exploratoire du plasmode a été mis à profit pour résoudre des problèmes mathématiques. Ainsi, Toshiyuki Nakagaki, de l’Institut Riken, à Nagoya, au Japon, et ses collègues ont révélé comment Physarum polycephalum, un myxomycète, pouvait trouver la sortie d’un labyrinthe. En plaçant de la nourriture à l’entrée et à la sortie, l’organisme a envahi l’ensemble du labyrinthe et s’est ensuite résorbé de façon à constituer le chemin le plus court entre les deux extrémités. Un exemple d’optimisation que les férus de mathématiques n’hésiteront pas à comparer avec l’algorithme de Dijkstra.
Dans un milieu de culture reproduisant la carte des environs de Tokyo, ils ont déposé de la nourriture au niveau de la capitale japonaise et ont laissé l’organisme étendre ses filaments. Après quelques heures, le maillage obtenu ressemblait de façon surprenante… au réseau ferré de Tokyo ! »
Gilles Weiskircher [3]
Parmis les sources :
http://mycorance.free.fr/valchamp/champi269.htm
https://beaumontsnatureenville.wordpress.com
http://gillesw.over-blog.com/2016/08/les-myxomycetes-des-organismes-discrets-et-surprenants.html
Dossiers PDF développés :
http://www.ssntg82.com/images/Annemarie_rantetpoux/lemondeetrangedesmyxomycetes.pdf
http://www.bourgogne-nature.fr/fichiers/bn-7-page25-38-myxomycetes_1403163091.pdf