Chow Po Chung, professeur associé en sciences politiques à l’Université chinoise de Hongkong, analyse l’escalade de violence des derniers jours.
Cinq mois après le début du mouvement prodémocratique à Hongkong,
et douze jours avant la tenue d’élections locales, le face-à-face entre des citoyens déterminés à sauvegarder leurs libertés et un pouvoir local sous pression de Pékin est encore monté d’un cran de tension. Depuis la mort d’un jeune, vendredi 8 tombé d’un parking pendant une intervention policière, des veillées rassemblent chaque soir des milliers de personnes dans le territoire semi-autonome chinois.
https://www.liberation.fr/planete/2019/11/08/manifestations-a-hongkong-un-mort-et-des-questions_1762316
Des routes et des voies ferrées sont bloquées, des stations de métro vandalisées, des barricades dressées. Ce mardi 12, l’Université chinoise de Hongkong (CUHK) était le théâtre de batailles rangées entre policiers et étudiants, tandis que dans la soirée, des feux brûlaient dans plusieurs quartiers.
La veille, les employés de Central, cœur de la riche cité financière, sont descendus dans la rue après la mise en ligne d’une vidéo montrant un policier tirant à bout portant sur un manifestant de 21 ans.
Parallèlement, un homme qui se disputait avec des manifestants a été transformé en torche vivante
https://www.liberation.fr/planete/2019/11/11/journee-de-violence-a-hongkong-un-manifestant-blesse-par-balle-un-homme-transforme-en- torche-humaine_1762705
Il s’en est tiré avec des blessures légères, mais les images sont effrayantes.
Chow Po Chung, professeur associé en sciences politiques à l’université chinoise de Hongkong, venu à Paris pour participer à un forum sur l’ancienne colonie britannique organisé par la fondation Maison des sciences de l’homme, analyse cette escalade.
Comment expliquez-vous l’explosion de violence de ces derniers jours ?
La situation est très étrange.
– Je viens de parler par messagerie à des fonctionnaires de Hongkong. Même au sein du gouvernement, personne ne s’attendait à ce que la police prenne des mesures aussi dures contre les manifestants, en particulier tirer à bout portant sur un jeune.
– Mais ce n’est pas tout. En ce moment, la police a envahi trois grandes universités de Hongkong, dont la CUHK, arrosant les étudiants de gaz lacrymogène. Jamais dans l’histoire, la police n’a pénétré dans les campus.
– De plus, ces deux derniers jours, il y a eu 269 personnes arrêtées, en majorité des étudiants.
– La police et le gouvernement ne peuvent pas ignorer que tout cela va déclencher une colère et une radicalisation plus grandes encore.
De mon point de vue, ils cherchent un prétexte pour justifier l’annulation des élections de conseils de district, le 24 novembre.
Pourquoi le pouvoir redoute-t-il ces élections ?
C’est une élection très locale, au niveau des petits cantons, avec 452 sièges à pourvoir pour une durée de quatre ans. Ces élus n’ont aucun pouvoir législatif et ne peuvent pas influencer la politique sociale.
Mais les circonstances sont très particulières. Les Hongkongais [très nombreux à s’être inscrits sur les listes électorales, ndlr] vont utiliser ce scrutin pour exprimer leur insatisfaction et leur colère.
D’habitude, la majorité des sièges sont contrôlés par les partis pro-Pékin. Mais cette fois, des centaines de jeunes issus du mouvement prodémocrate se présentent face aux candidats de l’establishment.
S’ils l’emportent, l’impact sera très important à long terme. Car le chef de l’exécutif local est élu par un comité électoral de 1 200 membres, dont 600 sont issus des conseils de districts.
Ce qui veut dire que les prodémocrates auront le pouvoir d’élire le chef de l’exécutif, ce que le gouvernement veut éviter à tout prix.
Quelles seraient les conséquences d’une annulation du scrutin ?
Il y a depuis quelques jours le projet d’organiser une grande grève générale pour faire pression sur les autorités. Le dernier appel à la grève a été un échec. Hongkong n’est pas habitué à ce type d’action, les syndicats sont faibles, les gens n’ont pas envie de perdre une journée de salaire.
Du point de vue des protestataires, si la situation s’aggrave ou si les élections sont annulées, cela motivera les Hongkongais à rejoindre la grève.
Les deux camps ont intérêt à ce que la situation dégénère. C’est devenu très difficile de calmer le jeu, surtout quand la police tire sur un jeune.
Et comme le mouvement n’a pas de leader, les actions des manifestants, comme l’immolation par le feu de cet homme ou l’attaque de magasins, sont incontrôlables.
Le journal officiel chinois Global Times appelle l’armée chinoise à « épauler » la police de Hongkong. Cela vous semble-t-il envisageable ?
Si l’armée chinoise devait venir remplacer la police de Hongkong pour réprimer les manifestations, ce serait un désastre. Cela marquerait la fin de l’accord « Un pays, deux systèmes » [qui garantit à l’ancienne colonie britannique une autonomie et des libertés étendues] et le statut de place financière internationale de Hongkong serait gravement abîmé.
Or, la Chine a encore besoin de sa région économique spéciale, surtout dans un contexte de guerre commerciale avec les Etats-Unis et de ralentissement économique. Jusque-là, même s’il est évident que la police hongkongaise reçoit directement ses ordres de Pékin, nous pouvons considérer que nous sommes toujours dans une crise interne.
Laurence Defranoux