C’est une maladie connue. D’antan, elle frappait tous les sept ans ; elle se manifeste désormais tous les cinq. Les victimes – sondeurs, journalistes, leaders de la classe politique institutionnelle – se mettent à rechercher avec frénésie… le troisième homme. Cette fois, c’est sous les traits de François Bayrou que l’on croit avoir déniché cette espèce pré-électorale. Le hic, c’est qu’à chaque fois, nos chercheurs se sont trompés. En 2002, le troisième homme fut, tour à tour, une femme du camp des travailleurs, puis un républicain belfortain, puis un riche fasciste, pour finalement se révéler sous les traits d’un Premier ministre sortant.
Si nous ne pouvons pas savoir qui obtiendra la médaille de bronze, le 22 avril, il n’en demeure pas moins que François Bayrou connaît un certain succès. Il est en cela aidé par des éléments objectifs, qui lui donnent de l’espace. Sarkozy inquiète une partie de la droite, apparaît trop atlantiste, trop imprévisible. À gauche, Royal manque de crédibilité, brouille les repères et se fait des ennemis, y compris dans les salles de profs, où la sortie, aussi fausse que démagogique, de la candidate socialiste sur leur temps de travail n’a guère été appréciée.
Bayrou est également au rendez-vous sur un terrain où l’on attend moins un centriste chrétien-démocrate. En pourfendant les médias, accusés d’être à la solde des candidats des deux grands partis qui se succèdent au pouvoir, en dénonçant symétriquement les deux grandes forces institutionnelles, il parvient avec une certaine habileté à surfer sur un légitime rejet des élites médiatiques et des dirigeants des partis institutionnels.
Mais Bayrou représente-t-il pour autant une alternative à « Ségo-Sarko » ? S’il tranche finalement avec un certain conformisme, son jeu électoral ne saurait pour autant masquer ni son bilan, ni son programme. Ministre de l’Éducation nationale de Balladur – tout un programme –, c’est lui qui, en 1994, a provoqué dans la capitale l’une des plus grandes concentrations de manifestants, venus de toute la France défendre l’école publique et l’empê¬cher de réformer la loi Falloux en faveur du camp privé et confessionnel. L’avantage, c’est que contrairement à d’autres qui veulent rester droit dans leurs bottes, il a eu la sagesse de reculer. Député depuis des lustres, il est vrai qu’il a su apparaître récemment comme un opposant plus résolu à Raffarin et Villepin que les socialistes mais, en y regardant de plus près, on voit que la réalité est moins reluisante.
François Bayrou a voté pour la loi sur le contrat nouvelles embauches. Il a voté pour la « réforme » Fillon sur les retraites, loi qui a provoqué la plus grande mobilisation sociale depuis 1968. Quant aux lois de finance présentées annuellement par le gouvernement, il les a, tour à tour, approuvées, rejetées et s’est parfois abstenu. Rien d’autre que les nécessités de la posture du moment ne vient expliquer la logique de ces votes, tant il est vrai que les budgets qui se sont succédé ont, eux, affiché une belle constance dans leur profil ultralibéral. Enfin, le député Bayrou a approuvé rien moins que la déclaration et la loi de programmation militaire (2003 à 2008).
Son programme économique actuel, inspiré des idées de Jean Arthuis, l’ex-ministre des Finances de Juppé, est lui aussi d’inspiration libérale. L’UDF propose d’augmenter la TVA, l’impôt le plus injuste. L’idée est simple : assurer des rentrées financières à l’État pour lui permettre à la fois de réduire ses déficits et d’aider à la création d’entreprises et d’emplois par les exonérations de charges fiscales. C’est le cœur de son projet économique, qui ne présente donc aucune originalité.
Bayrou explique qu’il faut tourner la page du clivage droite-gauche et se proclame trait d’union entre l’une et l’autre. Il ne retient ainsi de la gauche que le pire : sa soumission à l’ordre économique et social injuste, qui perpétue l’exploitation de millions de salariés au profit d’une minorité privilé¬giée. Et il y a fort à parier, même s’il y a peu de chances que cela ne survienne, que si Bayrou est le futur locataire de l’Élysée, il nous faudrait reprendre rapidement le chemin des luttes pour nous défendre à nouveau contre les mauvais coups portés par la classe possédante. Bayrou, lui aussi, roule avant tout pour elle.