En octobre 2019, plusieurs jeunes filles scolarisées dans un collège toulousain portent plainte pour viols en réunion [1]. Les jeunes garçons auteurs de ces actes, survenus à partir de mars 2019, ont filmé les scènes de viols et diffusé les vidéos sur les réseaux sociaux. Une grande partie des élèves du collège les ont vues, suite à quoi l’une des jeunes filles a été victime de harcèlement, dont le paroxysme fut un lynchage en septembre 2019, filmé et diffusé également sur les réseaux sociaux. Suite à cette agression, une membre du personnel découvre les viols subis par cette élève, alerte l’administration et la famille qui dépose alors plainte. Par la suite, deux autres victimes seront identifiées.
Que s’est-il passé entre mars et octobre 2019 ? Comment en sommes-nous arrivé·e·s là ? Plusieurs témoignages laissent à penser que certains membres de la direction du collège ont eu connaissance des vidéos. Qu’ils auraient voulu traiter cette affaire « en interne ». Qu’ils auraient, vis à vis des parents des victimes, tenté de minimiser les faits et de « dédramatiser la situation ».
Un collectif regroupant des syndicats de l’éducation, des organisations féministes, des associations en lien avec l’éducation, des représentant·e·s de parents d’élèves s’est constitué afin d’organiser une mobilisation collective et construire un rapport de force.
Les viols à l’école ne sont pas des faits divers
Ce qui s’est produit dans ce collège n’est pas un simple fait divers. Au collège comme hors de ses grilles, la culture du viol perdure : les violences sexuelles sont banalisées, minimisées voire niées.
La culture du viol rend les victimes coupables : on n’entend pas leur parole, ou celle-ci est discréditée, car on considère à priori que ce sont elles qui portent la responsabilité de l’agression. La culture du viol c’est aussi refuser de voir que des viols peuvent être commis par des collégiens ou considérer à priori que la victime était consentante, quel que soit son âge ou les circonstances du viol.
Brisons le silence
Le mouvement #MeToo a permis que la parole des femmes commence enfin à être entendue. Mobilisations féministes, manifestations et actions collectives se multiplient partout dans le monde pour dénoncer les violences sexistes et les féminicides. Les témoignages poignants et courageux de femmes, comme celui récent de l’actrice Adèle Haenel et comme partout dans le monde, doivent nous encourager, à poursuivre dans cette voie : libérer la parole des victimes et contribuer, dès l’école, à construire une réelle culture de l’égalité et du consentement.
C’est une évidence, mais il faut la rappeler : l’école, de la maternelle à l’université, n’est pas en-dehors de la société. Les normes sexistes y sont (re)produites quotidiennement. En découlent des violences sexistes et sexuelles bien trop souvent banalisées et invisibilisées. Selon un rapport de l’HCE (Haut Commissariat à l’Égalité, 2016), les filles sont deux fois plus nombreuses à déclarer avoir été la cible d’insultes relatives à leur comportement sexuel ou amoureux et 20 % d’entre elles déclarent avoir renoncé à une tenue vestimentaire par souci de leur « réputation ».
De l’école à la fac, construisons une réelle culture de l’égalité et du consentement
Pourtant des textes de lois, des circulaires, des recommandations officielles qui prétendent éduquer et sensibiliser sur ces questions existent bel et bien. Le HCE insiste : « La formation, initiale et continue des personnels enseignants et d’éducation est cruciale pour que l’éducation à l’égalité soit intégrée aux enseignements et aux pratiques pédagogiques, en premier lieu des enseignant·e·s, mais aussi des personnels de direction, conseiller·e·s principaux·ales d’éducation (CPE), des conseiller·e·s d’orientation psychologues (CoP) et des personnels d’inspection. » Mais force est de constater qu’il n’y a pas de réelle volonté politique ni de moyens à la hauteur des enjeux de formation des personnels : « Quinze ans après l’obligation légale d’assurer l’éducation à la sexualité auprès des jeunes, le constat est unanime et partagé : l’application effective des obligations légales en matière d’éducation à la sexualité en milieu scolaire demeure encore parcellaire, inégale selon les territoires car dépendante des bonnes volontés individuelles. » Par exemple, d’après l’enquête de l’HCE, seule la moitié des ESPE considère avoir formé aux question d’égalité la totalité de leurs étudiant·e·s dans un volume horaire variant entre 2 et 57 heures.
Sortir du déni et lutter réellement contre les violences sexistes et sexuelles à l’École
Nous exigeons au niveau local et national la protection des victimes et une réelle prise en charge post-traumatique.
Nous soutenons sans réserve la lanceuse d’alerte qui s’est retrouvée seule face à l’institution mise en cause pour ses manquements et nous soutiendrons toutes celles et ceux qui en feraient de même au niveau national
Nous souhaitons la transparence la plus totale dans les enquêtes, enfin ouvertes, au niveau administratif et judiciaire afin que toutes les responsabilités soient établies depuis le début concernant ce qui s’est déroulé dans ce collège. Il devra en être de même dans tous les établissements où de telles violences se sont produites ou seraient amenées à se reproduire.
Enfin et surtout, il est urgent que l’Éducation nationale se donne les moyens de mettre en place de véritables plans de formation à tous les niveaux (Ministère, académies, établissements) assurés par des intervenant·e·s réellement formé·e·s à destination de tous ses personnels et de tous les élèves pour déconstruire les préjugés sexistes, lutter contre la culture du viol et éduquer à l’égalité des sexes et à la sexualité.
Les signataires de cette tribune demandent qu’au-delà des déclarations d’intention et de l’affichage institutionnel, des choix politiques courageux et assumés collectivement soient faits dès l’école, dans les collèges et les lycées, à l’université, sur nos lieux de travail. Ce qu’il s’est passé dans ce collège n’est pas un fait isolé. Cela s’inscrit dans un système global qui permet et maintient l’oppression des femmes.
Pour mettre fin dans notre société à des rapports de domination patriarcale qui ont brisé, et brisent encore bien trop de vies : brisons le silence et agissons !
Premiers signataires :
Alyssa Ahrabare, porte parole d’Osez le féminisme
Zahra Ali, Rutgers University
Clémentine Autain, députée LFI de Seine-Saint-Denis
Ludivine Bantigny, enseignante chercheuse et historienne
Olivier Besancenot, porte parole du NPA
Judith Butler, université de Berkley
Annick Coupé, militante et associative
Laurence de Cock, enseignante et historienne
Caroline De Haas, militante féministe
Christine Delphy, sociologue et militante féministe
Caroline Fiat, députée de la sixième circonscription de Meurthe-et-Moselle (LFI)
Emma, bédéiste
Fanny Gallot, historienne
Aurore Koechlin, auteure féministe
Rose Marie Lagrave, universitaire
Annie Lahmer, conseillère régionale (EELV)
Mathilde Larrère, historienne
Myriam Martin, conseillère régionale Occitanie (Ensemble !)
Danièle Obono, députée de Paris (LFI)
Gaël Pasquier, sociologue
Christine Poupin, porte parole du NPA
Véronique Sehier, coprésidente du Planning Familial
Pierre Tevanian, professeur de philosophie Drancy 93
Éliane Viennot, historienne
Assa Traoré, collectif vérité et justice pour Adama
Aurélie Trouvé, porte-parole d’ATTAC, enseignante chercheuse
A Toulouse :
Fatima Adhal, AED
Marilou Bex, planning Familial 31
Dominique Burlot, enseignante, sud éducation 31
Juliette Doroy, alchimie Solidarité
Franck Gaudichaud, professeur Université Toulouse Jean Jaurès
Julie Jarty, sociologue et militante
Eric Jousset, vice-président des Cemeas Occitanie
Mère et père d’une des victimes
Mymytchell, chanteuse féministe
Marie Cécile Périllat, enseignante, FSU 31
Séverine Pinaud, toutes en grève
François Piquemal, porte parole d’archipel citoyen
Sabrina Roche, enseignante, CGT educ 31
Pauline Salingue, CGT CHU Toulouse
Marie-Jean Sauret, psychanalyste, universitaire
Aurélie Anne Thos, NPA31
Marie Claude Trombe, enseignante chercheur honoraire, association Femmes et Sciences occitane
Organisations toulousaines et nationales :
Act up Sud Ouest
Alchimie Solidarité
Artémisia
ATTAC 31
CGT CHU Toulouse
CGT Educ’action nationale (UNSEN)
Collectif féministe contre le cyberharcèlement
Collectif Midi-Pyrénées pour les Droits des Femmes
DAL 31
Ensemble !
Faire face, association autodéfense féministe Toulouse
Association Frisse
FSU 31, ses syndicats Snes 31 et Snuipp 31
MathildaEducation
Mfpf 92
Nouveau Parti Anticapitaliste
Association La petite
Planning Familial 31, 81, 19
TéléDebout
Sud ASSO 31
Fédération nationale Sud éducation
Sud Santé Sociaux 31
UET
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Pour signer et pour consulter l’ensemble des signataires, cliquez ici !
https://framaforms.org/viols-collectifs-au-college-brisons-le-silence-et-agissons-1574263475