“Comment le Mouvement Zéro s’est emparé de la manifestation des syndicats de police”, titrait en une, le 22 novembre, le Diário de Notícias, au lendemain d’une des plus importantes manifestations que les forces de l’ordre aient organisées au Portugal.
Au moins 13 000 policiers et gendarmes ont défilé à Lisbonne pour exiger de meilleurs salaires et conditions de travail. Parmi eux, les nombreux membres d’un mouvement baptisé Zéro, vêtus d’un t-shirt blanc, ont volé la vedette aux syndicats. “Zéro ! Zéro !” aura même été le seul slogan scandé par les manifestants, le dos tourné au Parlement.
Le lendemain, Público titrait : “Le Mouvement Zéro bondit d’Internet pour prendre d’assaut la rue.” Une première et “une démonstration de force”, pour le Jornal i. Le mouvement anonyme est né en mai sur les réseaux sociaux, au lendemain de la condamnation de huit policiers, coupables d’avoir séquestré, agressé et insulté six jeunes issus de l’immigration africaine dans un commissariat de la banlieue de Lisbonne. Aussi le mouvement exige-t-il une “tolérance zéro”, d’où son nom, envers les violences que les policiers subissent dans les quartiers difficiles, sous peine de ne plus y intervenir.
Il est qualifié de “force sans visage” par le gouvernement qui lui refuse donc tout dialogue. Aujourd’hui, il fédère de nombreux membres des forces de l’ordre en colère, radicaux ou modérés. Sa page Facebook compte près de 60 000 abonnés. Toutefois, précise Expresso, ses leaders identifiés entretiennent des liens étroits avec le parti d’extrême droite Chega !. D’ailleurs le député André Ventura, membres du parti et présent à la manifestation a été le seul autorisé à s’exprimer par le Mouvement Zéro. Ces liens sont sources d’“inquiétude” pour les autorités, “qui craignent de voir le discours extrémiste assimilé par l’ensemble des policiers”, explique l’hebdomadaire.
“Notre démocratie est attaquée”
Si le M0 a fait sensation, c’est aussi pour le geste équivoque de ses membres dans la rue, poursuit Expresso :
“Des milliers de policiers ou militaires ont levé le bras en l’air, en faisant avec leurs doigts le symbole ‘zéro’ qui peut être confondu avec le geste ‘OK’ – ou un autre plus subversif récemment utilisé par l’extrême droite, qui représente les initiales du ‘pouvoir blanc’ – les trois doigts tendus qui forment la lettre ‘W’ de ‘white’, tandis que l’index et le pouce forment le ‘P’ de ‘power’.”
Un symbole suprémaciste blanc dont se défend le M0, qui nie tout lien avec l’extrême droite. Pour la presse portugaise, sa montée en puissance représente néanmoins une menace pour la société portugaise. “Notre démocratie est attaquée, et presque personne ne semble en mesure de la défendre”, déplore l’historienne Irene Flunser Pimentel dans Público. Éditorialiste du même journal, Vicente Jorge Silva estime que la “récupération symbolique et politique” par le Mouvement Zéro des revendications légitimes des forces de l’ordre révèle combien l’État “dysfonctionne” sur plusieurs plans.
Un danger pour l’autorité de l’État
Sur le site Observador, le sociologue José Vegar en remet une couche. “Le Mouvement Zéro est une menace pour la sécurité intérieure du Portugal”, explique-t-il. D’abord par sa nature – anonyme, sans hiérarchie ni leadership – ensuite parce qu’il “vise à utiliser la force directement contre l’État”, auquel il pose des “problèmes gigantesques”. Notamment sur la question, toujours négligée, de “la place de l’autorité et de l’usage légal de la force dans la société portugaise contemporaine”.
Pour le juriste António Moita, chroniqueur du Jornal de Negócios, les pouvoirs publics, en ignorant la réalité et en montant l’opinion publique contre les manifestants, pourraient “favoriser l’émergence d’autres Mouvements Zéro qui, par leurs revendications légitimes, pourraient rapidement gagner la sympathie de la population”.
Vincent Barros
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