Novembre 2019 : cela fait désormais plus de 37 ans que Paul Biya est à la tête du Cameroun, dictateur tout-puissant bien que brillant par son absence et ses silences. Celui qui, dès les années 1960, a su se placer au cœur d’un pouvoir installé et entretenu par la France, joue aujourd’hui de sa longévité pour s’assurer la pérennité du soutien de Paris. Et il en a besoin, car en octobre 2018 tout ne s’est pas passé « comme prévu », c’est-à-dire comme cela s’était toujours passé depuis l’écrasement de la poussée démocratique des années 1990. Pour la première fois en effet depuis l’élection volée de 1992, la mascarade de scrutin présidentiel a été assez puissamment contestée pour inquiéter le régime.
Au mot d’ordre du « hold up électoral », les militants de l’opposition sont venus entacher l’image d’Epinal d’un chef d’État garant de la sacro-sainte « stabilité » du Cameroun, un pays qui s’enfonce déjà dans la guerre contre sa minorité anglophone depuis 2017. Critiqué à mots couverts par les diplomates français, le vieil autocrate n’en a pas moins obtenu en octobre 2019 un retour en grâce assumé auprès d’Emmanuel Macron et son ministre de l’Afrique Jean-Yves Le Drian, qui se sont tour à tour affichés tout sourire à ses côtés.
Au nom de la sécurité de ressortissants français qui cristallisent forcément de plus en plus de ressentiment – au point qu’à chaque soubresaut de colère populaire, le consulat leur conseille de se terrer chez eux – et pour la poursuite de profits qui renforcent une poignée de multinationales dont les classes populaires françaises ont elles-même appris à se méfier, la France continue de soutenir militairement, économiquement et politiquement un régime assis sur la soupape de sa propre cocotte minute. Les diplomates français savent pourtant, tout autant que la jeunesse camerounaise, que Paul Biya, 86 ans, n’est pas éternel. Ils jouent la montre, tentant de prendre ou de maintenir dans leur toile d’influence celui qui pourra incarner une transition fantoche, qu’il appartienne aujourd’hui au sérail ou qu’il s’affiche comme opposant.
Ils font le pari criminel que rester parmi les interlocuteurs de ce régime qui fait brûler des villages en zone anglophone et laisse des mères mourir devant l’hôpital où elles aurait pu accoucher si elles en avaient eu les moyens, les aidera à se positionner au mieux auprès de celui qui lui succédera. La tension monte pourtant irrésistiblement dans le pays, et avec elle un vent de « dégagisme » qui, espérons-le, amènera bientôt à Emmanuel Macron le revers que mérite « sa » politique africaine, c’est-à-dire la perpétuation des vieux réflexes et des mécanismes habituels d’ingérence française. Au sein même de l’Hexagone, la démocratie y gagnerait.
C’est pour alerter sur cette évolution incertaine – mais aussi porteuse d’espoir – du Cameroun et sur les crimes qui continuent d’y être commis avec le soutien de Paris, que nous avons rassemblé dans ce dossier ces textes de l’association et ces articles publiés dans son journal mensuel Billets d’Afrique : mis bout à bout, ils donnent une image précise de l’état de délabrement de ce pays central de l’influence française en Afrique et de l’entêtement, classique et criminel, de la diplomatie française menée depuis 2017 par Emmanuel Macron.
Survie
Sommaire du dossier :
1re partie - Le Cameroun, aux origines de la Françafrique
2e partie - Paul Biya, président inamovible
3e partie - Le Cameroun des entreprises françaises
4e partie - Crise anglophone et guerre contre son propre peuple
5e partie - 2018, la mascarade électorale de trop ?
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