Fait particulier à relever ce vendredi : la foule matinale est restée longtemps massée en haut de la rue Victor Hugo alors qu’habituellement, ces premiers groupes sillonnaient la rue Didouche Mourad en un mouvement pendulaire, entre la place Audin et Meissonnier. Les dizaines de protestataires s’écriaient : « 12/12 la yadjouz ! » (Le scrutin du 12/12 est illicite), « Dégage Gaïd Salah, had el âme makache el vote ! » (pas de vote cette année), « Makache intikhabate maâ el îssabate ! » (Pas de vote avec les gangs).
Ce dernier slogan est décliné en un immense graffiti sur un mur du marché Meissonnier. A quelques mètres de là, un panneau électoral est vandalisé. Les manifestants anti-12 continuent à donner de la voix en répétant : « Entouma ma tahachmouche we ahna ma nahabssouche ! » (Vous, vous n’avez pas honte, et nous, on n’arrêtera pas). Le mot d’ordre de la grève est repris en boucle : « W’Allah ma nekhdem, w’Allah ma n’voti, le 8 décembre naghlek hanouti ! » (Je jure que je ne travaillerai pas, je ne voterai pas ; le 8 décembre, je fermerai boutique). Un jeune renchérit : « Itissam, itissam, hatta yasqota ennidham ! » (Sit-in non stop jusqu’à la chute du régime).
Dahmoune dézingué
Un citoyen arbore une pancarte assortie de cette réflexion lucide : « Si notre voix faisait la différence, ils ne nous auraient pas laissé voter ». D’autres pancartes disaient : « Faire échec aux élections est un devoir national », « Je ne voterai pas de cette façon », « Je ne voterai pas contre ma patrie ». Inutile de préciser que le ministre de l’Intérieur, Salah Eddine Dahmoune, a été dézingué ce vendredi, lui qui avait récemment qualifié « certains individus inféodés au colonialisme » de « traîtres », d’« homosexuels » et de « mercenaires ». Une attaque perçue comme une charge à peine voilée contre les forces du hirak. « Le peuple est bien éduqué, pas comme celui de l’Intérieur », assène un marcheur à travers son écriteau.
Un hirakiste bihebdomadaire s’est fendu pour sa part de cette tirade au vitriol : « Au ministre de l’Intérieur : la grève des huit jours à partir du 8 décembre 2019 ; les marches lucides, pacifiques sont notre réponse à Dahmoune, l’ignorant qui reflète la panique, la faillite politique et l’effondrement total du système. L’Algérie vous dit bye-bye les tyrans, l’Algérie s’est réveillée, elle est unifiée. Vous êtes finis, maudits à jamais ».
12h35. La foule s’étale sur la chaussée, laissant un étroit corridor, tenu par la police, pour les voitures. Le cortège s’ébranle en direction de la place Audin aux cris de « Kayen hirak, makache el vote ! » (Il y a le hirak, pas le vote). La procession se scinde en deux. Un cortège se détache et défile jusqu’aux abords de la Grande-Poste. Il tourne vers l’avenue Pasteur, descend par la Fac centrale avant de remonter la rue Didouche. Un carré au milieu de la procession brandit une banderole sur laquelle il est écrit : « La commune de Bougaâ (wilaya de Sétif, ndlr) ne trahit pas ses principes. Pas de vote avec les gangs ».
13h. La rue Didouche Mourad est à présent noire de monde. Marée dense. Devant le café Les Capucines, près de l’OPU, Louisette Ighilahriz est assaillie par des dizaines de fans qui prennent des photos avec elle en abreuvant l’illustre moudjahida de mots d’admiration. Des cris fusent sur un pas cadencé : « La grève générale yasqot ennidham ! » (Grève générale et le régime tombera). Un jeune hisse un carton avec cet appel : « Tous en grève nationale et pas que les Kabyles. 8-9-10-11 décembre. Pour l’Algérie ! »
« La démocratie des chars, on la laisse à la République des mouches »
13h35. La fin de la prière du vendredi sonne le début officiel de la marche rituelle. En un clin d’œil, Didouche est inondée de voix et de bras levant des affichettes rouges avec la mention « La li vote » (Non au vote). Une forêt de pancartes jaunes sont également hissées. Certaines portent le même message : « Non à des élections organisées par les militaires ». La foule crie : « Ahna ouled Amirouche, marche arrière ma n’ouellouche, djaybine el houriya ! » (Nous sommes les enfants de Amirouche, pas de marche arrière, on arrachera la liberté), « Dégage Gaïd Salah, had el âme makache el vote ! » « La grève générale yasqot ennidham »…
Une large banderole décline ce slogan : « Samidoune » (Résistants). Un homme écrit : « L’urne supervisée par la bande = de nouvelles décennies de despotisme » ; un autre s’emporte : « Pas de vote avec les prédateurs ». Un frondeur a composé cette sentence pamphlétaire : « Le peuple ne veut pas des élections des gangs. La démocratie des chars, on la laisse à la République des mouches ». Un citoyen répond encore à Dahmoune en se présentant comme un « brave homme » : « Je suis un f’hel. Je suis Novembre. L’histoire dira qui est qui. Gloire à nos martyrs ! » Un manifestant ironise : « On peut faire d’un cochon une tirelire mais jamais un ministre ». Décidément, le « hirak littéraire » est particulièrement inspiré en cette 42e édition. C’est peut-être « l’effet Dahmoune »…
Un autre a choisi d’évoquer pour sa part le procès d’Ouyahia et Sellal en écrivant dans une prose gracieuse : « Les procès cinématographiques, c’est de la publicité à l’élection présidentielle et des offrandes sur l’autel de la dictature ».
Nous rejoignons la rue Hassiba Ben Bouali via le marché Clauzel. Les mêmes flux s’y déversent dès la fin de l’office religieux. Ici aussi, le mot d’ordre de la grève est entonné avec force : « La grève générale yasqott ennidham ! » On pouvait entendre également : « 8 décembre kayen idhrab ! » (le 8 décembre il y aura grève), ou encore : « 8, 9, 10, 11 : idhrab watani ! » (grève générale). Lu sur une pancarte : « Je suis une ‘‘chirdhima’’ (une poignée) mais je ne voterai pas contre mon pays, point à la ligne ! »
Autre pépite : le message fracassant de cette jeune femme qui parade avec cette requête : « Ya djeich ahmina mel Gaïd » (O armée, protège-nous de Gaïd Salah). A un moment, parmi les clameurs qui s’élevaient, on pouvait nettement distinguer cette autre réplique au premier flic du pays : « Ya Dahmoune, ya djabane, had echaâb la youhane ! » (Dahmoune, espèce de lâche, ce peuple n’accepte pas l’humiliation).
« Dimanche, grève générale ! »
Sur la rue Asselah Hocine, un autre tsunami populaire est signalé : c’est la fameuse marée de La Casbah-Bab El Oued… Le chant « Ahna ouled Amirouche, marche arrière ma n’ouellouche, djaybine el houriya » enflamme l’avenue. Une fanfare exécute Min Djibalina et Qassaman, accompagnée par une chorale populaire improvisée. Lu à la volée sur une pancarte : « Sbab adhabna sarqou bledna » (La cause de notre peine : ils ont volé notre patrie). Une femme coiffée d’une casquette verte défile avec cette strophe empruntée à Ahlam Mosteghanemi : « Ne volez pas notre part de bonheur. Seuls les hommes heureux sont capables de construire une nation ».
A hauteur de l’hôtel Aletti, les images sont impressionnantes. Plans panoramiques d’une procession épique faisant claquer au vent, sous un soleil ravissant, des drapeaux vertigineux et des étendards fabuleux à l’effigie des prisonniers du hirak. On entend à nouveau : « W’Allah ma nekhdem, w’Allah ma n’voti, le 8 décembre naghlek hanouti ! » La déferlante humaine chante encore : « Ma tekhewfounache bel achriya, ahna rebbatna el miziriya ! » (Vous ne nous ferez pas peur avec la décennie noire, nous avons grandi dans la misère).
Une dame accable l’instance dirigée par Mohamed Chorfi : « Autorité des élections, l’histoire vous jugera. Vous ne représentez que la bande et vous-mêmes. Opportunistes, traîtres ! » A un moment, un carré scande : « Echaâb yourid makache intikhabate ! » (Le peuple veut qu’il n’y ait pas de vote). Reprenant le mot d’ordre de la grève, la foule scande : « N’har el had la grève générale ! » (Dimanche, grève générale). Le jour fatidique approche. La pression monte. Des urnes et du hirak, qui aura le denier mot ?
MUSTAPHA BENFODIL
• EL WATAN. 07 DÉCEMBRE 2019 À 10 H 30 MIN :
https://www.elwatan.com/a-la-une/mobilisation-exceptionnelle-pour-le-dernier-vendredi-avant-la-presidentielle-un-referendum-anti-12-07-12-2019
Rejet massif de la présidentielle à la 42e manif des campus : Le Hirak étudiant retrouve le souffle du 22 février
Alger, 10 décembre 2019. C’est le 42e acte du mouvement de contestation estudiantin et, disons-le d’entrée : c’est l’une des plus puissantes éditions du hirak étudiant à laquelle nous ayons assisté !
Une manif’ de grande qualité, avec une intensité, une ferveur, une créativité, qui nous ont immédiatement rappelé le soulèvement originel du 22 février. La mobilisation a atteint, faut-il souligner, un pic de participation rarement égalé pour un mardi, avec un retour en force des étudiants.
Depuis plusieurs mois, en effet, la communauté universitaire était moins visible dans sa propre action hebdomadaire, et elle devait une fière chandelle aux renforts citoyens de tout bord qui ont permis de maintenir à flot ces manifs rituelles en milieu de semaine. En ce 42e acte du hirak des campus, nous avons dès lors eu le sentiment que les étudiants se sont magistralement réapproprié « leur » mardi.
Ce retour en force de la jeunesse des facultés s’explique sans doute par le contexte : survenant à J-2 de la présidentielle, il y avait comme un sentiment d’urgence à en découdre avec la « parodie d’élection » – pour reprendre la formule de Ammi Abdelhamid, l’un des inconditionnels du mardi, inscrite sur sa pancarte. Autre élément : la grève, qui a été largement suivie dans plusieurs campus, a permis aux étudiants de déserter les bancs de l’université pour rejoindre la place des Martyrs.
Il faut citer également la répression qui a frappé la manif’ de ce lundi, près de la Fac centrale, et qui a peu ou prou attisé la détermination des étudiants à revenir à la charge. Résultat des courses : le métro à destination de Sahat Echouhada était bondé hier, bien plus en tout cas que les autres mardis à la même heure. D’ailleurs, plusieurs usagers du métro se sont précipités pour rejoindre les manifestants massés sur l’esplanade des Martyrs. La mythique agora était déjà pleine de monde et connaissait une effervescence exceptionnelle.
Les frondeurs étaient si impatients d’attaquer le sujet du jour (le rejet du « 12/12 ») que le cortège s’est ébranlé dans la précipitation. Des cris nourris enflammaient la place : « Makache intikhabate ya el îssabate ! » (Pas de vote avec les gangs), « Dawla madania, machi askariya ! » (Etat civil, pas militaire)…
« Baisse ton rideau, rejoins-nous ! »
Des manifestants appelaient des vendeurs à l’étalage de la Basse Casbah à rejoindre la grève en martelant : « Habbat errideau arwah maâna, kounou redjala machi khawana ! » (Baisse ton rideau, rejoins-nous, sois un homme, pas un traître).
10h32. La procession s’immobilise. L’encadrement assuré par des étudiants invite la masse des marcheurs à entonner Qassaman. Un moment toujours teinté d’une pieuse solennité. L’hymne national est suivi d’un tonitruant « Les généraux à la poubelle wel Djazaïr teddi l’istiqlal ! » (et l’Algérie accédera à l’indépendance). A l’entrée de la rue Bab Azzoun, la foule répète : « Makache intikhabate maâ el îssabate ! » « Ma tekhewfounache bel achriya, ahna rebbatna el miziriya ! » (Vous ne nous ferez pas peur avec la décennie noire, nous avons grandi dans la misère), « Ahna ouled Amirouche, marche arrière ma n’ouellouche, djaybine el houriya ! » (Nous sommes les enfants de Amirouche, pas de marche arrière, on arrachera la liberté). Un groupe d’étudiants lâche : « Essahra baouha, lebled qasmouha, wallah ma n’voti ! » (Ils ont vendu le Sahara, divisé le pays, je jure que je ne voterai pas).
Sur une pancarte, ce slogan : « Aux urnes les moutons ! » Sur d’autres écriteaux, on peut lire : « On n’est pas contre les élections, on est contre CES élections », « A bas l’élection du 12 décembre », « Le peuple vaincra », « J’ai voté pour le peuple », « Marche estudiantine, marche de la liberté », « Université Alger 2 en grève générale ». « Je ne voterai pas contre l’avenir de mon pays », « La transition, c’est la garantie d’un Etat sérieux »… Djilali, étudiant en informatique à Bab Ezzouar, arbore cette pancarte hilarante : « Des 7000 milliards, tout ce que tu as obtenu c’est un sandwich-cachir.
Pas de vote ! » Djilali déclare : « Si la mobilisation aujourd’hui est plus puissante, plus remarquable, c’est peut-être parce que el mouss elhaq lel adham (le couteau est arrivé jusqu’à l’os). Ils mentent sans scrupules. On voit de soi-disant manifs pro-élection qui ne drainent même pas une centaine de personnes, après, Mohamed Charfi vient nous raconter que tout le monde est avec les élections. C’est scandaleux ! » Et d’ajouter : « Pour nous, cette mobilisation contre le vote n’est qu’une station parmi les autres stations du hirak. Si l’élection passe, ce n’est pas la fin du hirak. On sera toujours là jusqu’à ce qu’on arrache notre liberté ! »
Comme pour conforter les mots de Djilali, le cortège scande : « Ya ahna ya entouma, maranache habssine ! » (C’est nous ou vous, on ne s’arrêtera pas).
Sur la rue Ali Boumendjel, certains commerces ont baissé rideau. Au tournant de la rue Larbi Ben M’hidi, la foule prend à partie un vendeur de chaussures : « Aghlaq yal djiâne, errezq âla rabbi ! » (Ferme ta boutique glouton, c’est Dieu qui nourrit). Le vendeur s’exécute séance tenante.
« Les détenus d’opinion en grève de la faim »
Des dizaines d’affichettes de couleur rouge défilent avec cette mention « Non au vote ». En cette Journée internationale des droits de l’homme, les messages en faveur des détenus sont légion, assortis des portraits de plusieurs d’entre eux. Nombre de pancartes disaient : « Les détenus d’opinion en grève de la faim ». De fait, plusieurs prisonniers d’El Harrach entendent observer une grève de la faim les 10, 11 et 12 décembre. Un citoyen a cette magnifique formule qui sonne comme un mantra : « Ouvre ton cœur. Quiconque est du côté de la vérité est Président ».
La foule continue à battre le pavé en grossissant au fil des minutes jusqu’à former un impressionnant fleuve humain.
On se croirait volontiers un vendredi de hirak populaire. Des citoyens de tout bord rejoignent le cortège de partout, dont beaucoup de femmes. Une dame, la soixantaine, croisée avenue Pasteur, a écrit sur une feuille de papier A4 : « Pays libre, peuple libre, tetnahaw ga3 » (vous dégagez tous). La marée humaine traverse Pasteur, passe devant la Fac centrale avant de tourner à hauteur de Delacroix. Des fumigènes ajoutent du piment à une ambiance de feu. La procession descend la rue Sergent Addoun.
Des voix annoncent : « Demain, marche à Belouizdad ! » La marche traverse le boulevard Amirouche et monte la rue Mustapha Ferroukhi. Des voix crient : « N’har lekhmis, ya ehna ya entouma ! » (Jeudi, c’est nous ou vous). En arrivant au bout de la rue, surprise : changement d’itinéraire.
Alors qu’habituellement, le parcours du mardi consiste à tourner vers Audin après avoir traversé la rue Richelieu, là, la foule a décidé de remonter la rue Didouche vers Meissonnier.
Les manifestants continuent à battre le pavé à même la chaussée et sur les trottoirs en agitant drapeaux, écharpes, fanions, étendards, pancartes… Concert de klaxons de connivence, sifflements, brouhaha festif. Chaos joyeux. Une fille parade avec une feuille de papier sur laquelle elle a mis : « Lasna na’imine » (On ne dort pas).
Le cortège tourne ensuite au niveau du boulevard Victor Hugo avant de rejoindre la rue Hassiba Ben Bouali. 12h45. En voulant rejoindre la place du 1er Mai, les manifestants butent contre un imposant dispositif antiémeute. Des camions de police sont mobilisés pour bloquer l’accès à Champ de Manœuvres.
La foule crie : « Allah Akbar makache el vote ! » (Dieu est grand pas de vote), « Ahnaya tollab machi irhab ! » (On est des étudiants, pas des terroristes), « Pouvoir assassin ! », « 12/12 la yadjouz ! »… Les manifestants improvisent un sit-in à même le bitume. Pendant ce temps, d’autres flux arrivent. Bientôt, une marée compacte envahit Hassiba. La majorité des magasins baisse rideau.
« Fake élections »
13h passées. Devant l’entêtement de la police, la foule rebrousse chemin. Les manifestants s’écrient : « Echaâb yourid isqate Gaïd Salah ! » (Le peuple veut la chute de Gaïd Salah). Des dizaines de personnes continuent à descendre du boulevard Victor Hugo. A un moment, un nouveau chant fuse : « Oh ya îssaba, djabouna 5 diyaba, qolna makache el vote, aliha nehya we n’mout ! » (Oh îssaba, on nous a ramené 5 loups, on a dit pas de vote, pour notre cause, nous vivrons et nous sommes prêts à mourir).
Un jeune déploie une banderole avec simplement le mot : « Liberté ». Une étudiante arbore ce slogan féroce : « No fake elections ». La foule se dirige vers le boulevard Amirouche. Des jeunes lâchent : « Dirou el intikhabate fel casernate ! » (Faites vos élections dans les casernes). Le cortège remonte vers la Fac centrale. Plus rien ne semble pouvoir arrêter cette lame de fond impétueuse.
Des carrés lâchent : « Mercredi et jeudi, marche ! », « Demain, 10h, marche ! » Les manifestants sont décidément insatiables, inarrêtables. Le cortège s’apprête à continuer vers Audin quand un cordon de police se déploie pour barrer l’accès aux marcheurs qui sont ainsi bloqués entre Audin et la Fac centrale. Qu’à cela ne tienne ! Certains observent un sit-in au milieu de la chaussée. Des voix s’élèvent : « Itissam, itissam, hatta yasqota ennidham ! » (Sit-in non stop jusqu’à la chute du régime).
En ce 42e mardi, le hirak étudiant a formidablement renoué avec le souffle du 22 février.
Rendez-vous ce mercredi pour une nouvelle joute épique, attisée par la flamme du 11 Décembre 1960. Tahia El Djazaïr !
MUSTAPHA BENFODIL
• EL WATAN. 10 DÉCEMBRE 2019 À 10 H 16 MIN : https://www.elwatan.com/edition/actualite/rejet-massif-de-la-presidentielle-a-la-42e-manif-des-campus-le-hirak-etudiant-retrouve-le-souffle-du-22-fevrier-11-12-2019
Une manif violemment empêchée à Alger : « Nous sommes des étudiants, pas des terroristes ! »
Le cachiriste sous protection et le militant sous surveillance dictatoriale » : c’est le message porté sur la pancarte qu’un étudiant brandissait lors d’un sit-in, tenu hier à la mi-journée, devant la Fac centrale.
Le coup de gueule fait référence au « deux poids, deux mesures » des forces de l’ordre qui ont violemment empêché une manif’ des étudiants qui venait de s’ébranler de la Fac centrale, tandis qu’un rassemblement pro-élection organisé par l’UGTA près de la Grande-Poste a eu droit à la bienveillante attention de la police et à une large couverture médiatique de la part des organes officiels et des chaînes de télévision privées.
Alors que vendredi dernier, lors du 42e acte du hirak, on entendait les manifestants scander, par dizaines de milliers, « La grève générale yasqot ennidham » (grève générale et le régime tombera), « WAllah ma nekhdem, w’Allah ma n’voti, le 8 décembre naghlek hanouti » (Je jure que je ne travaillerai pas, je ne voterai pas ; le 8 décembre, je fermerai ma boutique), au final, la grève était très peu visible ces deux derniers jours dans l’espace public algérois. Pas de rideaux baissés, pas d’administrations paralysées.
Le métro, les transports publics, les écoles, fonctionnaient normalement. L’une des rares images de la grève qui ait circulé hier montrait des employés de la BADR observant un sit-in devant le siège de la banque, sur le boulevard Amirouche pour dire « makache intikhabate maâ el îssabate » (Pas d’élection avec les gangs). Pour le reste, Alger paraissait bien sage. Mais c’était sans compter sur la détermination des étudiants, qui restent la communauté la plus active dans la capitale depuis le lancement de la grève. Dès dimanche, ils sont montés au créneau dans plusieurs campus de l’Algérois pour exprimer avec force leur rejet du « 12/12 ». Ce lundi, ils entendaient faire monter la contestation d’un cran en organisant une marche au cœur de la métropole pour dénoncer la présidentielle.
Seulement, le dispositif de police impressionnant déployé n’a pas tardé à sortir ses griffes pour disperser la manif. Les forces anti-émeute se sont déchaînées pour stopper le cortège à hauteur du lycée Delacroix, avant de forcer les étudiants à regagner leurs plates-bandes. « On avait à peine entamé notre marche que les éléments de la police ont fondu sur nous. Ils ont interpellé des étudiants. Moi-même j’ai été violemment bousculée. Pourquoi ils laissent les autres (les manifestants pro-élection) faire leur action et pas nous ? » s’indigne une jeune cadre officiant dans une entreprise nationale, venue soutenir les étudiants. La jeune femme arborait une pancarte sur laquelle on pouvait lire : « Non au 12/12. L’Algérie ne vote pas ».
« Pouvoir au peuple, pas de vote »
Loin de s’avouer vaincus, les jeunes protestataires ont alors observé un sit-in devant l’entrée officielle de l’université Alger 1 – Benyoucef Benkhedda, sur la rue du 19 Mai 1956. Pour être sûrs de ne pas être délogés, ils se sont mis à terre, encerclés par un important cordon de police. Reprenant en boucle les slogans habituels, ils scandaient : « Silmiya, silmiya, matalibna char’îya » (Pacifique, nos revendications sont légitimes), « Ahna ouled Amirouche, marche arrière ma n’ouellouche, djaybine el houriya » (Nous sommes les enfants de Amirouche, pas de marche arrière, on arrachera la liberté), « 12/12 la yadjouz » (le scrutin du 12/12 est illicite), « Dégage Gaïd Salah, had el âme makache el vote », « Djazaïr horra dimocratia » (Algérie libre et démocratique), « Système dégage ! »…
Hamza, étudiant en 4e année d’architecture à l’EPAU, confie : « Je suis ici pour exprimer mon refus de l’élection. A l’EPAU, on a tenu une AG et on a adopté le principe de la grève. Les enseignants également sont de notre côté. »
Sur les pancartes brandies, le rejet de la présidentielle est unanime : « Non aux élections avec les gangs. Notre hirak continue », « Pas d’élections avec les gangs, grève générale ! », « Non à la répression, nous accomplissons notre devoir. Nous sommes des étudiants, pas des terroristes ». Un jeune a écrit simplement : « Etudiant rejetant les élections ». Une des figures du hirak, étudiant des plus actifs, hissait ces deux messages percutants : « La force de la loi ou la loi de la force ? » ; « Pas de légitimité à une autorité répressive ! ».
Une autre a formulé cette réflexion incisive : « La communauté algérienne à l’étranger vit la belle vie et malgré cela, elle est sortie contre les élections. Et lui, il mène une vie de chien ici et te dit vive les élections ». On pouvait lire aussi : « La démocratie bourgeoise est une illusion. Pouvoir au peuple. Pas de vote ! » Peu avant la levée du sit-in, la place s’est transformée en agora le temps de deux ou trois prises de parole. « Si vote il y a, beaucoup risquent de faire marche arrière. Nous, notre objectif, ce n’est pas le vote, c’est le changement de tout le système.
On ne s’arrêtera pas ! » martèle un intervenant. Un autre précise : « Moi, dans l’absolu, je ne suis pas contre les élections. Mais pas ces élections. On veut un vote intègre. Il faut conscientiser les personnes qui sont autour de nous. Il faut éviter le piège des divisions. Il n’y a plus de Kabyle, d’Arabe, sz Mozabite… Nous sommes tous des Algériens unis sous un même emblème. Et il faut maintenir la grève générale pour faire pression sur la îssaba. » 12h40. La foule scande Qassaman. Des voix s’élèvent pour exiger la libération d’un étudiant arrêté : « Libérez Yanis ! », « Libérez les détenus ! » lancent-elles. Rendez-vous est donné pour ce mardi, jour de fronde hebdomadaire de la communauté universitaire, qui promet une belle mobilisation.
MUSTAPHA BENFODIL
• EL WATAN. 10 DÉCEMBRE 2019 À 10 H 16 MIN :https://www.elwatan.com/edition/actualite/une-manif-violemment-empechee-a-alger-nous-sommes-des-etudiants-pas-des-terroristes-10-12-2019