La grève des cheminots 1986/87 vue de l’agglomération rouennaise ; une expérience d’auto-organisation
L’unité, il a fallu la construire
Une tradition unitaire existait depuis longtemps sur l’agglomération rouennaise, des rencontres, des bulletins de boites, des actions étaient régulièrement réalisés par des cheminots syndiqués à la CGT, à la CFDT ou non syndiqués. Cette génération ne se reconnaissait pas dans le syndicalisme tel qu’il était, elle refusait la division syndicale ainsi que les divisions catégorielles. En 1975 une trentaine de cheminots créent un modeste bulletin de 4 pages « La Basse Tonne » ; peu après, Comité Unitaire de Mobilisation des Cheminots (CUMC) est créé ; il préconise la lutte autrement que par des grèves de 24 heures à répétition et affirme la nécessité de l’unité syndicale large ; le CUMC s’exprime par tracts et pétitions, son audience est d’environ 500 personnes sur l’agglomération rouennaise. La 3e tentative de regroupement unitaire à la base se fera autour du journal « Rail Bol ». Vendu à 500 exemplaires, il sera édité de mai 1985 jusqu’à mi-1986. Les mêmes personnes impulsent des actions de soutien au niveau international : soutien à Solidarnosc, soutien au Nicaragua, soutien aux mineurs anglais, etc.

Les prémices de la grève
Le contexte de cette fin d’année 1986 est marqué par un puissant mouvement de révolte de la jeunesse, cristallisé autour de lutte contre la loi Devaquet ; c’est une mobilisation d’un niveau inconnu depuis très longtemps. Localement et à la SNCF, il y a eu une grève de 41 jours au service intérieur du dépôt menée par la CGT, contre les contrôles de connaissances des agents de conduite (ADC). Au niveau national, fin novembre la fédération des cheminots CFDT dénonce un projet de la direction SNCF, qui vise à supprimer les indemnités touchées par de nombreux agents travaillant sur les terminaux informatiques. Les agents des services voyageurs de Paris Gare de Lyon et Paris St Lazare démarrent le 8 décembre une action originale, « la grève de la saisie ». Ils et elles restent à leur poste de travail, mais n’assurent pas la partie pour laquelle les patrons veulent leur supprimer l’indemnité (en fait, ils et elles ne délivrent plus de réservations, seulement des billets, des renseignements, etc.) ; chaque jour, ils et elles font grève une heure pour se réunir en Assemblée Générale. Utilisant les ordinateurs et le réseau téléphonique interne de la SNCF pour véhiculer l’information, les grévistes (soutenu-es par la CFDT puis 2 jours après par la CGT) étendent le mouvement en paralysant ainsi le réseau informatique. Ces actions illégales cessent le 18 décembre, pour basculer dans la grève totale ; une grève qui sera très forte notamment chez les agents de conduite et la plus longue jamais vécue chez les cheminots et les cheminotes, dépassant en durée celle de 1920.
Chronologie de la grève
Une assemblée générale des agents de conduite de Paris Nord avec la participation du responsable national CFDT de cette catégorie de personnel, Michel Desmars, décide un appel à la grève à partir du 18 décembre. Le comité de grève et la CFDT font immédiatement une vaste campagne d’information vers les autres dépôts, popularisant le cahier revendicatif :
• retrait du projet de nouvelle grille des salaires, au mérite ;
• maintien du statut ;
• rattrapage du pouvoir d’achat ;
• maintien ou réforme du système de primes tel que l’exprime les différentes catégories de personnel.
Dès le 18 décembre, la grève démarre sur l’ensemble du réseau Nord, sur la Gare de Lyon puis s’étend au plan national. N’étant pas à l’origine de ce mouvement, la CGT commence par le combattre, des piquets antigrève sont organisés dans plusieurs sites ; devant l’ampleur de la mobilisation, la CGT rejoint la grève à compter du 20 décembre (à cette date, la grève touche déjà 83 des 94 dépôts de conducteurs de trains).
Le 22 décembre, la grève se renforce considérablement avec la généralisation de l’entrée dans le mouvement des autres services où le mouvement était encore limité à certaines régions : contrôleurs, ateliers, agents de l’équipement, des gares, des directions. Le 23, la direction et le gouvernement sont face à une grève générale de la SNCF.
Sur l’agglomération rouennaise, dès le 19, la CFDT organise une Assemblée Générale des agents de conduite qui décide la grève reconductible avec AG journalières et la création d’un comité de grève. Puis les autres secteurs se mettent en grève progressivement, le 23 la majorité des catégories de personnel est en grève, avec le soutien des organisations syndicales CFDT, CGT, FO voire CFTC. Dans chaque établissement, quotidiennement, des Assemblées Générales souveraines mettent en place des comités de grève (souvent sans la participation de militants CGT). A compter du 24 décembre, une coordination des comités de grève de l’agglomération de Rouen est créée, elle regroupe les représentants et représentantes mandatés des différents secteurs en grève.
A.G., comités de grève, coordinations, … mais surtout auto-organisation !
Depuis des années, les actions étaient décidées, dirigées, fortement encadrées par les syndicats notamment la CGT, syndicat puissant à la SNCF. Compte tenu de l’absence de la CGT dans les premiers jours (voire son hostilité) et des bonnes relations entre les militant-es CFDT et une partie des militant-es et adhérent-es CGT opposé-es à la ligne majoritaire de leur syndicat, il a été décidé la création de comités de grève dans chaque Assemblée Générale, sur chaque secteur géographique de la région SNCF de Rouen (Rouen, mais aussi Sotteville, Le Havre, Caen, etc.) : dépôt des conducteurs, agents de trains, de l’équipement, des directions, des ateliers, des gares, avec une AG interservices à Dieppe parce qu’il s’agissait d’un site ferroviaire plus petit).
L’Assemblée Générale est souveraine, elle seule a le pouvoir de décision, elle seule peut donner mandat aux diverses délégations et groupes de travail, c’est un mandat impératif. Les comités de grève sont composés de copains et copines élu-es à chaque Assemblée Générale, un siège de droit est réservé pour chaque organisation syndicale qui le souhaite (la CGT a refusé d’y participer dans certains secteurs), ils informent sur la situation nationale et proposent des actions aux Assemblées Générales qui les acceptent ou les refusent. Ces A.G. de secteur se réunissent le matin et mandatent une ou deux personnes pour intervenir à la coordination des comités de grève de l’agglomération rouennaise qui se tient au dépôt de Sotteville-lès-Rouen chaque après midi.
Cette coordination n’a pas le pouvoir de prendre des décisions pour la grève ; elle vise à maintenir l’unité et la cohésion du mouvement et à proposer des actions coordonnées qui seront présentées, discutées et adoptées, ou pas, lors des A.G. de chaque secteur le lendemain. Quelles peuvent être ces propositions ? Par exemple, une distribution de tracts aux portes des usines rouennaises, ou la prise par les grévistes de la « côte 135 » (à 135 km de Paris c’est un point stratégique permettant d’interrompre le trafic ferroviaire) ou encore l’animation d’heures d’informations syndicales au centre de tri, aux chèques postaux, à la sécurité sociale, à la cité administrative, à Renault, ce peut être encore des actions de blocage…
A la suite de rencontre entre les agents de conduite de Paris Nord initiateurs du mouvement, qui fonctionnent en AG permanente et ceux de Sotteville-lès-Rouen qui ont des expériences de travail en commun de manière unitaire et s’essayent à l’auto-organisation, le 28 décembre est créée la Coordination Nationale des Agents de Conduite. Ce sera un succès : 55 dépôts sur 94 rejoindront cette coordination avec des grévistes mandatés par leur A.G. Une représentativité incontestable (mais pourtant totalement niée par la fédération CGT) des conducteurs de train en grève ! Un peu plus tard, à l’initiative de militants de Paris Sud Ouest sera crée une coordination nationale inter-catégorielle, malheureusement peu représentative des différentes et nombreuses Assemblées Générales.
La grève se termina sur une victoire partielle, la reprise fut progressive, la dernière A.G. a voter l’arrêt du mouvement le fit le 12 janvier 1987.
Les résultats de la grève
• Le projet de grille salariale au mérite est abandonné.
• Des augmentations de salaire, certes insuffisantes, sont obtenues (1,7% en 1987)
• Une prime uniforme est accordée.
• Les indemnités et allocations sont revalorisées
• Le projet de suppression de la prime de saisie informatique est enterré.
• Des promotions sont accordées
• Des améliorations des conditions de travail sont obtenues (temps de repos, nombre de jours travaillés dans une période, nombre de dimanches non travaillés, ainsi qu’en termes de conditions matérielles, notamment pour les « découchés » des personnels roulants)
Au-delà de ces résultats, le principal acquis réside dans l’organisation démocratique du mouvement avec ses A.G. souveraines, ses comités de grève et sa coordination nationale des agents de conduite qui ont permis de maintenir l’unité jusqu’au bout évitant les « guéguerres » entre syndicats. D’ailleurs le réflexe de création de comité de grève et d’assemblée générale souveraine demeure encore aujourd’hui sur l’agglomération rouennaise. Certes, les initiatives extra-syndicales permanentes ont décliné ; c’est en grande partie due à l’implication ultérieure de cette (alors) jeune génération de militants et militantes unitaires à des postes de responsabilité dans leurs syndicats (CFDT puis SUD pour les uns, CGT pour les autres). La création de coordinations catégorielles ou interservices ne sont plus proposées dans les AG compte tenu de l’implication de la CGT dès le début des conflits et aussi de la création de SUD-Rail qui impulse des fonctionnements de grève participative et démocratique par la création de comité de grève et d’Assemblées Générales souveraines.
Jacques HAIS
13 juin 2017
La grève à Paris Gare de Lyon : le bilan de la section syndicale CFDT en janvier 1987
10 juin 2017
Présentation :
Dans les chantiers commerciaux SNCF, la longue grève de Décembre 1986 – Janvier 1987 s’est déroulée dans la suite directe d’un mouvement entamé deux semaines plus tôt : la grève des réservations. Les deux temps de ce mouvement ont été marqués par une très forte volonté de démocratie, les Assemblées Générales quotidiennes qui décide et organise la grève, le dépassement des grèves de 24 heures, la mise en avant de revendications défensives (pour refuser des projets patronaux : la suppression de l’indemnité de saisie ou la grille salariale au mérite par exemple) et aussi offensives (élargissement des bénéficiaire de l’indemnité de saisie, augmentation salariale, amélioration de la réglementation du travail, etc.).
Nous reproduisons ici de très larges extraits du bilan publié par la section syndicale CFDT de Paris Gare de Lyon en janvier 1987, dans son journal mensuel « L’insurgé ». Au moment de la grève, la CGT était le syndicat majoritaire depuis … toujours ; la CFDT le deviendra lors des élections professionnelles de 1989, le restera jusqu’en 1996, date à partir de laquelle SUD-Rail prend la suite.
Le titre du numéro 76 de L’insurgé illustre le message que ses 20 pages veulent faire passer : « Le syndicat pour continuer la lutte ». Nous reproduisons les textes originaux, sans modification même de forme. A l’inverse, toutes les notes sont des ajouts destinés à une meilleure compréhension des lecteurs et lectrices d’aujourd’hui.
Christian Mahieux
Indemnités de saisie ; actions des chantiers Voyageurs, des CIS et CIT [1]
Lors de la Commission Professionnelle Centrale « Transport et Commercial » du 05 Novembre, la direction confirmait son intention de modifier les conditions d’attribution de l’indemnité de saisie (travail sur terminal relié au réseau informatique). Modifications qui revenaient, de fait, à une suppression pure et simple pour la plupart des cas.

L’action
Aussitôt, la fédération CFDT lance une pétition nationale (la CGT fera de même quelques jours plus tard), les équipes CFDT se réunissent pour organiser l’action. Le 08 Décembre, les cheminots(es) de la Gare Saint-Lazare et de la banlieue entament la « grève des réservations [2] ». Le 09, c’est Paris Gare de Lyon, Paris Montparnasse, Paris Nord… A l’initiative des militants(es) CFDT, des Assemblées Générales se tiennent dans la plupart des gares de province et décident de se joindre au mouvement.
La direction manœuvre
Les Assemblées Générales avaient défini une revendication claire :
• retrait définitif du projet qui avait été avancé ; garanties du maintien, au minimum, des dispositions actuelles ;
• ouverture de négociations immédiates, pour l »amélioration et l’élargissement de ces dispositions.
La direction reformule son texte tous les 3 jours, mais le fond reste le même. Elle ne répond pas aux demandes des cheminots(es).
Un rapport de forces solide
Au bout d’une semaine, le mouvement est suivi sur la quasi-totalité des régions, pour les « Voyageurs ». Les camarades des CIS/CIT de Paris Bercy et Villeneuve ayant lancé une action similaire, le conflit s’étend aux chantiers « Matériel ».
Dans toutes les gares de Paris et les grands chantiers, toutes les décisions sont prises en Assemblées Générales. Ces A.G. régulières permettent de faire le point, de débattre, de décider, tous ensemble.
Dans les chantiers « Voyageurs », dans les CIS/CIT, de nombreux cheminots(es) prennent des contacts, assurent les relais pour l’information. Cet engagement massif, c’est aussi une des forces de ce mouvement.
Au niveau national, la coordination est assurée, pour la fédération CFDT, par des camarades de Paris Saint-Lazare et Paris Gare de Lyon qui sont au cœur de l’action. Là encore, cela évite un décalage avec le terrain.
Vers la suspension du mouvement…
La CGT appelle à l’arrêt du mouvement : à compter du 17 décembre, la CGT renonce à l’action, établissement par établissement. Les militants CGT appellent à cesser le mouvement à Paris Austerlitz, Paris Montparnasse, Paris Saint-Lazare, Lyon… Ils reprennent en cela la position fédérale (tract fédéral du 18 Décembre). La division s’instant, petit à petit des A.G. votent l’arrêt de la grève.

L’Assemblée Générale de Paris Gare de Lyon vote la grève le 22 décembre
Sur notre région, les gares de banlieue et province cessent, pour la plupart, le mouvement le Vendredi 19. A Paris Gare de Lyon, sur proposition des militants CFDT et CGT, l’Assemblée Générale du Lundi 22 décide de suspendre l’action sur les résas, pour se lancer dans le mouvement de grève générale qui a démarré.
A partir de là, l’histoire se poursuit sous d’autres formes…
De Paris Nord au plan national, comment a été lancée l’action
Depuis des mois, les syndicats dénonçaient les projets de la direction
Les organisations syndicales dénonçaient depuis plusieurs mous les projets de grille [3] et les conditions de travail. Mais les grèves de 24 heures n’étaient pas ressenties comme un bon moyen de lutter pour que les choses avancent vraiment. Des agents de conduite syndiqués CGT, CFDT, FGAAC [4] ou non syndiqués lancent une pétition-cahier revendicatif et l’adressent aux organisations syndicales. Ils se disent prêts à engager une action illimitée sur leurs revendications.
Décidés à passer à l’action, les agents invitent les fédés à participer à leur assemblée générale
Seule la fédération CFDT (qui sort de son congrès [5]) répond à leur appel et est présente à leur Assemblée générale. La décision est prise en commun, devant l’Assemblée générale :
• de lutter sur les axes suivants :
• non au projet de grille,
• amélioration du déroulement de carrière et des primes,
• amélioration des conditions de travail,
• non à la médecine répressive.
• De déposer un préavis de grève sur la région (le responsable régional FGGAAC, présent, fera de même).
• D’envoyer immédiatement à toutes les sections CFDT l’information.
• De convoquer des Assemblées générales dans tous les dépôts dès que l’action aura démarré sur le Nord.
La CFDT prend le pari aux côtés des agents
Le pari est donc pris de lancer une action d’ampleur, en partant :
• d’une région où l’action est organisée à la base, où la détermination est grande,
• d’une organisation syndicale qui remplit son rôle d’information, de convocation partout des Assemblées générales.
Sans appel à la grève presse-bouton, mais par une organisation démocratique permettant aussi l’unité des agents concernés.
Les sections CFDT poussent donc pour que les Assemblées générales décident et se dotent de moyens d’organisation de la grève, que ce soient des comités de grève, des bureaux, des assemblées, des intersyndicales associant les volontaires issus de l’assemblée des grévistes.
Le syndicat fait son boulot d’organisation, la base prend ses responsabilités et s’engage dans la lutte
Commencée le 18 décembre dans les dépôts de Paris Nord, l’action s’étend le jour même sur le réseau Nord. Le 19, les dépôts de Paris Sud Est, Lyon, Marseille, Bordeaux, Toulouse se mettent en grève. Le 20 au matin, ils sont 70 sur 94 touchés par le mouvement ; le soir, 93. A 20h, la CGT se joint au mouvement. Le 22, tous les dépôts sont dans l’action, la grève commence à s’étendre à d’autres secteurs.
Quelle stratégie d’action CFDT ? [6]
« […] Se préparer à une action dure. Il faut réaliser un rapport de force à la hauteur des enjeux. Dans le contexte politique et social actuel, cela ne peut aboutir que si nous sommes prêts à une action dure et qui tienne le temps qu’il faudra pour obtenir de réelles avancées. Comment y parvenir ? Les actions locales, du fait de leur éparpillement géographique mais aussi dans le temps, ne peuvent suffire à elles seules. Elles permettent quelques avancées locales dans le cadre de la faible marge de manœuvre des établissements et régions. Elles sont cependant essentielles à la poursuite des formes collectives de lutte. Les actions répétées de 24 heures ou « à la carte », secteur par secteur, ne peuvent convenir, elles aussi. Après la grève du 21 octobre, une telle stratégie risque d’abouti à une usure, un désabusement des travailleurs, laminant ainsi le rapport de force créé à cette occasion. Par contre, intégrées dans une stratégie à moyen terme, elles peuvent être autant d’étapes, de tremplins, pour parvenir à cette action dure dont nous ne pourrons pas faire l’économie. Trois conditions à remplir : poser publiquement cette nécessaire perspective, agir en faveur de l’unité sans cesse, créer un contexte de soutien des autres travailleurs à notre lutte. »
« Poser publiquement cette nécessaire perspective. Les travailleurs, après la grève du 21 [7], exigent une suite mais, en même temps, s’interrogent pour savoir où ils vont. Répondre à cette interrogation implique de dire clairement quelle stratégie de lutte nous voulons et dans ce cadre de donner une orientation aux grèves locales ou nationales de 24 heures. Il est tout autant nécessaire de préciser des objectifs revendicatifs car la multiplicité, au gré des évènements, des revendications ou le changement répété de ceux-ci, ne fait qu’obscurcir un peu plus les perspectives. Ne pas affirmer cette perspective parce qu’elle semble difficile à réaliser réduit l’action quotidienne à une pratique gesticulatoire sans objectif et dans l’image d’un syndicalisme sans ligne de conduite, sans dynamique. »
« Agir en faveur de l’unité. La grève du 21 a montré, sans aucun doute, que l mise dans le coup d’un maximum d’organisations est une condition de la réussite de l’action. Quelles convergences minimum possibles entre les organisations syndicales ? Mais en ce domaine, annoncer publiquement notre volonté et nos choix, faire connaître et débattre notre stratégie, est un moyen de peser positivement sur la réalisation de l’unité. »
« Créer un contexte de soutien des autres travailleurs à notre lutte. La modification profonde de l’urbanisme (disposition des cités cheminotes, déplacements quotidiens des travailleurs de plus en plus longs,…) modifie le contexte dans lequel se déroule nos actions. Le poids grandissant des médias, l’affaiblissement des structures syndicales interprofessionnelles locales, tout ceci rend plus difficile l’explication et l’organisation d’un soutien du public. Cette question est cependant essentielle pour la réussite de notre mouvement ; les travailleurs usagers doivent comprendre que l’action n’est pas dirigée contre eux, mieux, il faut qu’elle soit, au contraire, ressentie comme un élément de mobilisation sociale pouvant leur profiter. »
« Une telle stratégie signifie par ailleurs d’articuler les étapes entre elles, afin de les faire converger vers notre objectif d’action : articuler le local et le national ; articuler le milieu d’entreprise avec l’interprofessionnel, avec le secteur public et nationalisé et définir, en lien avec la fédération et les autres composantes, la mission de service public de l’entreprise en s’ouvrant largement au débat avec les usagers. En ce domaine, les revendications au plan de leur contenu sont un moyen de convergences possibles. Les explications et informations fournies doivent concrétiser cette perspective. »
« L’unité entre les organisations. Les rencontres d’états-majors sont insuffisantes la plupart du temps si elles ne s’appuient pas sur une action de terrain en faveur de l’unité. D’où la conclusion d’un nécessaire travail de popularisation, de confrontation, de débat avec les cheminots. Pour y parvenir, il faut « outiller » nos militants. L’unité, c’est aussi réaliser la jonction entre les travailleurs du secteur public et les usagers. Sur ce plan, les initiatives locales doivent être relayées par des initiatives au plan national ; par exemple, la recherche d’unité sur de nouvelles formes d’action préservant les usagers (trains spéciaux, en banlieue notamment, information syndicale systématique et d’envergure dans les gares). »
« L’analyse de la période et de ses enjeux, la nécessité d’une action dure et longue, la réalisation de l’unité, obligent, si nous voulons réussir de réaliser une information de masse : pour faire connaître nos priorités revendicatives et la stratégie de lutte que nous voulons ; du même coup, peser dans la création du rapport de force indispensable. La réalisation de l’unité, la réalisation des actions, c’est aussi l’affaire de tous les cheminots […] »
Nuit du 22 au 23 décembre 1986 : accord salarial 1987
Propositions SNCF
• Prime unique au 1.1.87, comportant un forfait de 250F pour tous + une prime hiérarchisée équivalente à 2,8% du salaire mensuel (385 à 700F).
• Relèvement des salaires de +1,7% en deux temps : +1% au 1.6.87 et +0,7% au 1.10.87.
• Intégration d’un point de l’indemnité de résidence [8] dans le traitement en deux temps : ½ point au 1.1.87 et ½ point au 1.10.87.
• 3500 à 5000 promotions dans le cadre des mesures catégorielles (cette proposition sera modifiée lors de la C.M.S. du 8.1.87 : 5800 promotions).
Les minoritaires CFTC, FMC et CGC signent ! FO : Bergeron intervient !
CFTC, FMC [9] et CGC ont signé cet accord salarial, cautionnant ainsi par leur attitude :
• les pertes de pouvoir d’achat 85/87 ;
• le maintien du projet SNCF de nouvelle grille des salaires ;
• l’état désastreux des conditions de vie et travail et des cheminots ;
• le système répressif de la SNCF.
La délégation FO était prête à signer. Les secteurs régionaux et syndicats locaux FO sont intervenus auprès de Bergeron [10] pour que la fédération FO des cheminots les consulte avant toute signature. D’autre part, la fédération CFTC a été désavouée par ses syndicats … sans pour cela qu’ils s’engagent effectivement dans l’action…
Les conséquences de l’attitude de la direction et des minoritaires
Cette négociation dans la nuit du 22 au 23 décembre n’a rien apporté sur les problèmes qui ont été à la source du conflit :
• perte du pouvoir d’achat 1985/1987 ;
• contrôles médico-psychotechniques systématiques ;
• déroulement de carrière (salaire), primes, indemnités ;
• amélioration des conditions de travail ;
• réduction du temps de travail ;
• refus de la direction de retirer son projet de nouvelle grille des salaires.
La direction n’a rien compris
Il est clair que ces propositions ne pouvaient désamorcer le conflit engagé depuis le 18 décembre. Au contraire ! La CFDT et les cheminots ne pouvaient se satisfaire des seules propositions concernant les salaires 1987, par ailleurs nettement insuffisantes. Cette limitation aux seuls aspects salariaux a été ressentie, à juste titre, comme une erreur et une provocation de la direction et du gouvernement Chirac. Dès lors, le conflit ne pouvait que se développer et s’intensifier.

La grille : on repart à zéro (texte remis aux organisations syndicales par Monsieur Lavondes, le 31 décembre 1986)
Procès-verbal de l’intervention de M Lavondes devant les représentants des organisations syndicales
Monsieur Lavondes [11] fait l’historique de sa mission et indique qu’il va remettre un texte signifiant qu’il ‘y a plus aujourd’hui de propositions faites par l’entreprise concernant la grille. Il indique ensuite qu’il sera le garant d’une application loyale de ce texte. Il en donne lecture : « La grille actuellement en vigueur restera applicable jusqu’à l’établissement d’une grille, négociée avec les organisations syndicales, et prévoyant, compte tenu des garanties statutaires actuelles, un équilibre convenable entre le choix et l’ancienneté selon les spécialités ». Diverses questions lui sont ensuite posées [… [12]]
Commission Mixte du Statut du 31 décembre 1986 : insuffisant !
Le 31 décembre, à l’issue de la réunion entre « le médiateur », M. Lavondes, et les organisations syndicales, la Commission Mixte du Statut [13] s’est réunie pour aborder les problèmes relatifs aux conditions de travail et réglementation du travail. Les conclusions de cette CMS ont été jugées insuffisantes par la CFDT, par rapport aux revendications légitimes des cheminots en grève.
Réglementation du travail
La direction de l’entreprise est d’accord pour participer au sen de la Commission Mixte du Statut à l’examen des dispositions de l’arrêté du 8 août 1979 avec le souci de rechercher les améliorations des conditions de vie de son personnel, compatibles avec la situation de l’entreprise.
D’ores et déjà, elle accepte les améliorations suivantes :
- Dispositions communes au personnel roulant et au personnel sédentaire :
- pour les agents relevant du titre 1 et pour le personnel relevant du titre 2 – art. 25-1b3 – et soumis au régime des 110 repos périodiques : le service sera aménagé et les roulements réorganisés pour permettre l’attribution de deux repos périodiques supplémentaires ; relevant à 15 le nombre minimum de repos périodiques attribués le dimanche.
- Dispositions propres au personnel roulant :
- pour le tracé des roulements et la commande des agents, les repos périodiques devront commencer au plus tard à 19h30 ;
- la pause pour repas ne peut être attribuée que dans les périodes 11h30/13h30 ou 18h30/20h30 quelle que soit sa position dans la journée de service.
- Dispositions propres au personnel sédentaire :
- limitation à 6 du nombre maximum de journées de service d’une grande période de travail (7 lorsqu’elle comprend une journée d’inutilisation) ;
- suppression de la possibilité d’attribuer une 2e coupure pour les agents de remplacement.
La direction de l’entreprise a apporté les réponses suivantes aux questions posées
• Les foyers : la direction s’engage à accélérer le programme de rénovation des foyers ; les crédits nécessaires seront dégagés pour permettre l’achèvement de ce programme dès 1988.
• Les primes de traction : la direction réunira les représentants du personnel de conduite pour étudier les aménagements qu’il serait éventuellement nécessaire d’apporter aux taux de prime en relation avec les modifications du système d’acheminement. Par ailleurs, la direction dégagera un crédit égal à la part de la prime complémentaire actuellement répartie entre les réseaux. Son affectation fera l’objet d’une concertation nationale avec les représentants du personnel de conduite.
• Les examens médicaux : les examens médicaux et psychotechniques des agents de conduite feront l’objet d’une concertation avec les représentants du personnel de conduite ; jusqu’à sa conclusion, l’expérience, prévue en région parisienne, de renforcement des examens médicaux est différée.
• Agents de trains : nouvelle méthode d’accompagnement des voyageurs dans les trains rapides et express. Au terme de l’expérimentation en cours, une réunion sera organisée avec les organisations syndicales afin d’examiner les résultats et avant de procéder à une éventuelle extension.
Commission Mixte du Statut du 8 janvier 1987 ; direction et gouvernement jouent le pourrissement du conflit
Après plus de 20 jours de grève, une nouvelle Commission Mixte du Statut se réunie le 8 janvier. DE très timides avancées de la direction, vite escamotées par une volonté de jouer la procédure, notamment au niveau des discussions sur les conditions de travail.
Conditions de travail
La Direction Générale et le gouvernement font à nouveau preuve d’irresponsabilité et de provocation en ne proposant rien de nouveau pour améliorer les conditions de travail. Ainsi, ils ont décidé de procéder à un examen, article par article, de la réglementation du travail (PS4). A titre d’exemple, le 8.1.87, seul l’article 2 a été « examine », sans que la direction ne fasse de propositions concrètes. Des réunions sont prévues, ainsi, tous les 15 jours, pendant le premier semestre 1987.
Allocations et indemnités
Les taux sont relevés à compter du 1.1.87 : allocations +5%, indemnités +1,9%.
Mesures catégorielles
La direction a porté le nombre de promotions à 5 800, dont 83% pour le 1er collège. Toutes les filières sont plus ou moins concernées [Suit le détail des mesures].
Primes de traction
Une réunion sur les primes de traction est programmée fin janvier.
Examens médicaux
Une réunion sur les examens médico-psychotechniques est prévue début février.
Foyers des roulants
En février, les CHSCT devront examiner l’état et les améliorations à apporter aux foyers pour les roulants.
Indemnité de saisie
Rappelons qu’avant le conflit généralisé s’était développée une grève contre la suppression de l’indemnité de saisie, suivie par les personnels travaillant sur terminaux et ordinateurs Résas (réservations des laces), CIS (gestion wagons), CIT (centres de taxe). Pour l’examen de l’indemnité de saisie, une réunion aura lieu après la reprise du travail, à une date non encore fixée.
Retenues pour grève
Les retenues sur la solde de janvier seront limitées à 4 jours. A la demande des agents, elles seront, pour 1/3, transformées en congés 1986 ou 1987 ou repos-fêtes, et pour le reste, retenues sur solde à concurrence de jours/mois. A la demande de la CFDT, la direction examine les problèmes des repos et fêtes compris dans la période de grève.
En conclusion provisoire
Le 8 janvier, direction et gouvernement ont fait le choix de faire trainer en longueur les discussions sur l’amélioration des conditions de travail. Depuis, les CMS se réunissent, la direction y enregistre les revendications sur les conditions de travail mais ne répond pas. Le 26 mars, ce devrait être les conclusions. La CFDT a déjà indiqué sa volonté de consulter les cheminots sur les résultats des travaux de ces réunions.
Le mouvement au jour le jour
[…] [14] 18 décembre
• Arrêt de travail effectif des agents de conduite de Paris Nord, qui paralyse tout le trafic banlieue. LA CFDT appelle à « un élargissement du mouvement au plan national ».
• Assemblées générales aux dépôts de Paris et Villeneuve, convoquées par les sections CFDT et FGAAC. La section CFDT des agents de trains appelle à la grève pour le lendemain. CGT et CFTC se joindront à cet appel.
• Commission Mixte du Statut : la CFDT demande la satisfaction immédiate des revendications des agents de la saisie et des agents de conduite. La direction refuse de discuter. La CFDT appelle à l’extension du mouvement.
19 décembre
• Débrayages à Paris Lyon et Paris Est ; mouvement qui, dans la soirée s’étend aux régions de Bordeaux, Lyon, Toulouse, Marseille, etc. Ces actions sont déclenchées à l’issue d’assemblées générales, sans préavis.
• A 3 heures, la grève commence à l’appel de la CFDT et de la FGAAC aux dépôts de Paris et Villeneuve. A 16 heures, la CGT des agents de conduite des dépôts de Paris et Villeneuve se joint au mouvement.
• La direction répond à la CFDT qu’elle refuse d’aller plus loin en ce qui concerne la saisie. Elle ne considère pas l’action commencé sur le Nord comme une nationale et refuse de négocier puisqu’une seule organisation syndicale soutint le mouvement. A 18h, elle convoque toutes les organisations pour annoncer … des négociations en janvier !
20 décembre
• 70 des 94 dépôts sont en grève. Même si des adhérents suivent, la CGT sur la base de l’adage « on ne fait pas grève pendant les fêtes » se défend d’être à l’origine du mouvement et appelle même, par endroits, à la reprise du travail.
• A 16 heures, la section CGT des agents de conduite du dépôt de Villeneuve cesse la grève et va faire les trains ; à 20 heures, elle se remet en grève.
• Interpellée sur son attitude de blocage alors que les fêtes approchent, la direction s’en tient à ses négociations en janvier.
21 décembre
• 93 dépôts sur 94 sont touchés. La SNCF estime le nombre d’agents de conduite en grève à 80%. Dans l’après midi, le dépôt de Chambéry – déjà à l’origine de a grève qui, en septembre 1985, avait paralysé tout le réseau – cesse le premier d’assurer le service minimum en bloquant les voies. Abandonnant sa réserve, la CGT demande « à tous ses militants, dans chaque chantier, de faire se prononcer démocratiquement les cheminots de tous les services sur les revendications à satisfaire ».
• Durant tout le week-end et 24 heures sur 24, les équipes CFDT mettent en place une permanence pour assurer l’extension et la coordination du mouvement. Nous fournirons ainsi les informations quotidiennes sur l’état de la grève.
22 décembre
• Le mouvement fait tâche d’huile et s’étend à de nombreux secteurs sédentaires ; essentiellement Matériel [15], Exploitation [16], parfois Equipement [17]. Mais la grève, qui est déjà suivie à plus de 90% chez les roulants (agents de conduite, contrôleurs) n’atteindra en moyenne nationale que 30% chez les sédentaires, ce qui recouvre de grosses différences selon les localités.
• A 8 heures, la section CFDT des sédentaires du dépôt de Villeneuve appelle à la grève et convoque une assemblée générale. A 12 heures, les sections CFDT et CGT des AMPSE [18] organisent un vote qui décide la grève. A la même heure, les sections CFDT et FO de la C.Ex. Villeneuve [19] appellent à la grève et aux assemblées générales quotidiennes. A 13 heures, l’assemblée générale du chantier Voyageurs de Paris Gare de Lyon décide de poursuivre l’action « indemnité de saisie » (CFDT, CGT, CFTC) en se mettant en grève sur les mêmes axes revendicatifs que l’action engagée dans les dépôts. A 14 heures, la section CGT des sédentaires du dépôt de Villeneuve se joint à la grève. Dans l’après midi, la CFDT appelle l’ensemble des agents de la C.Ex. Paris à partir en grève (Gare, Bercy et Villeneuve-Prairie).
• A 18 heures, la direction convoque les syndicats, non pas pour négocier sur le cahier revendicatif déposé, mais pour avancer la date des négociations salariales 1987 prévues normalement le 6 janvier.
23 décembre
• Grève de plusieurs centres PTT, soutenue par les sections CFDT. Grève des marins, à l’appel de la CGT.
• Les sections CFDT et CGT de Laroche et la Ligne à Grande Vitesse appellent à la grève. Dans la journée, la CFDT appelle l’ensemble de la région Equipement à la grève et organise des assemblées sur Paris et Villeneuve. L’assemblée de la gare de Corbeil décide la grève à l’appel de la CGT. La section CGT de Valenton se joint au mouvement. L’Union Professionnelle Régionale CFDT lance un appel pour une grève totale. Les chantiers de Montargis sont en grève.
• A 2 heures, rupture des négociations ; CFDT, CGT FGAAC estiment insuffisantes es propositions de la direction en matière de politique salariale et refusent de reporter aux 8 janvier et 9 mars les questions relatives aux conditions de travail et à la grille des rémunérations. Nouvel appel de Jean Dupuy [20] : « je pense que tous les cheminots, dans cette affaire, ont bien conscience que c’est la vie même de l’entreprise qui est en jeu ». 7 heures : CGC, FMC et CFTC [21] signent l’accord salarial et « invitent tous les cheminots soucieux de leur avenir et de la pérennité de l’entreprise » à reprendre le travail. CFDT, FGAAC, CGT et FO appellent à la reconduction du mouvement. Intervention d’Hervé De Charrette, ministre délégué la Fonction publique : « il ne faut pas compter sur le gouvernement pour qu’il cède à des demandes qui ne sont pas justifiées ». Création parmi les cheminots syndiqués et non syndiqués de comités de grève, fermement décidés à gérer eux-mêmes le conflit. Nouvelles interventions des forces de l’ordre, à Chambéry notamment où neuf rames TGV étaient bloquées depuis 24 heures. Consignes aux préfets de favoriser la mise en place de transports routiers de remplacement. A 20 heures, Philippe Essig, président de la SNCF, prêche la reprise du dialogue : « On peut négocier dès maintenant si tous les syndicats le souhaitent ».
24 décembre
• Dupuy déclare qu’il démissionne si sa grille n’est pas maintenue [22].
• Les sections Exploitation et Equipement de Corbeil et Melun rejoignent la grève, à l’appel de la CFDT et la CGT et tiennent des assemblées générales communes à Corbeil, seul endroit de ces établissements où la grève est bien suivie. L’Entretien de Villeneuve Prairie est en grève. La section CGT de la C.Ex. Villeneuve se joint à la grève.
• Les comités de grève des agents de conduite de Pars Nord et Sotteville-lès-Rouen appellent à la réunion d’une coordination nationale afin « d’éviter une reprise du travail, dépôt par dépôt, isolés les uns des autres ». La direction SNCF consulte séparément les syndicats : simples échanges de point de vue sur la situation.
26 décembre
• 12 heures : « cette situation a assez duré ; elle doit prendre fin », déclare Jean Dupuy qui assure être prêt à évoquer les conditions de travail dans le cadre de la Commission Mixte du Statut et à faire appel, pour régler la question de la grille des rémunérations, à « une personnalité extérieure à la SNCF dont la compétence et l’impartialité soient incontestables ». Il conclut : « dès que le travail aura repris, dès que les trains rouleront, toutes les propositions, toutes les ouvertures, que je viens de faire et qui sont très larges pourront se concrétiser ». Tollé des syndicats qui crient à la provocation. Création en Gare du Nord, d’une « coordination nationale provisoire des dépôts », qui ne se veut, ni l’émanation d’un parti politique, ni un substitut des syndicats. Création à la Bourse du travail de Paris, d’une « coordination nationale provisoire de tous les cheminots en grève » qui revendique ouvertement le droit de participer aux négociations avec la direction.
27 décembre
• Premiers blocages de trains sur notre région. Les TGV sont retardés, les autorisations de conduite contrôlées, quelques « feuilles » et postes occupés. Les cheminots ripostent ainsi à l’attitude de la direction nationale, à laquelle certains cadres de notre région ajoutent des provocations répétées.
• Pierre Méhaignerie, ministre de l’Equipement, du Logement, de l’Aménagement du territoire et des Transports, déclare « pour le moment, c’est à la direction SNCF de trouver des solutions … Le gouvernement n’a pas, pour l’instant, vocation à être en première ligne ». Mise au point de Jean Dupuy : « beaucoup ont interprété mes déclarations comme formulant un préalable. En fait, je n’ai pas établi de préalable… »

28 décembre
• La direction se lance dans l’intox en grand : elle annonce des trains qu’elle n’assure pas, elle donne des pourcentages de circulation sur la base du service minimum et non de la réalité. Mise en place définitive de la « coordination nationale des agents de conduite » qui réaffirme sa volonté de garder sa spécificité tout en se félicitant qu’il y ait d’autres mouvements de revendications. Mise en place de coordinations régionales entre comités de grève, toutes catégories confondues à Sotteville, Clermont-Ferrand, Toulouse, Lyon…
29 décembre
• Le mouvement atteint son rapport de force le plus élevé. Des cadres non grévistes informent les journaux de leur écœurement face à l’attitude de la direction.
• La section CFDT des services administratifs de la région et du réseau tente de lancer la grève. La grève débute à Sens. A partir de cette date, le mouvement se renforcera dans les établissements où il n’était pas majoritaire mais ne touchera pas les services qui n’ont pas commencé l’action.
• Paris Nord est « débloqué » par les forces de l’ordre. Constatant en fin de matinée « une très nette amélioration du trafic », Jean Dupuy demande au gouvernement la convocation pour le lendemain de la Commission Mixte du Statut et la désignation très rapide d’une personnalité qui arbitrerait la question de la grille des rémunérations. De très nombreuses interventions de CRS ont lieu, destinées à appuyer le mythe de la reprise. Le gouvernement désigne un chargé de mission, qu’il présente comme un médiateur […]
Le syndicalisme, pour l’organisation démocratique et dynamique des luttes
Certains, et en particulier dans la classe politique et les journaux, ont été surpris par les méthodes d’organisation de l’action et le rôle des Assemblées générales, comités de grève et syndicats. Pourtant, ce qui les surprend n’est pas tombé du ciel ; c’est le fruit d’une situation et aussi d’un certain syndicalisme, ce syndicalisme d’action, qu’on avait un peu vite enterré. Il est vrai que le monopole de l’expression était tenu par des appareils qui ne pensent qu’en états-majors ; il est vrai que beaucoup trop de monde aura intérêt à étouffer cette bouffée d’air. Les équipes CFDT de Paris Sud Est qui ont travaillé depuis des années pour ce type de démocratie vont au contraire tout faire pour que le syndicalisme s’en inspire et en soit revigoré.
La participation de nombreux cheminots non syndiqués à toutes les Assemblées générales, les piquets de grève, ne doit pas cesser après la grève. Chacun aura découvert la nécessité de débattre, d’informer, de s’informer, d’organiser, de préparer, de coordonner l’action. Et bien, pur nous, le syndicalisme c’et cela, ce n’est pas la défense d’une étiquette.
Savoir agir ensemble, au-delà des différences, c’est aussi un point important et tout le monde aura vu que ce n’est pas si simple. Il y a bien toujours eu quelques sectarismes, mais c’est surtout les différences catégorielles qui auront pesé à certains moments du conflit. Et ensemble, il va falloir y réfléchir parce que tous, nous savons que ça n’est pas fini et qu’il va falloir peser ensemble pour que ça avance encore. Ca fait partie des pistes de travail que les équipes CFDT vont creuser avec vous dans les semaines qui viennent.
Pourquoi des assemblées générales ?
Non pas de simples meetings, où on est venu pour écouter la bonne parole du délégué, mais l’Assemblée de tous les grévistes qui débattent ensemble du mouvement, décident si les négociations ont aussi avancées ou non, et de la poursuite de l’action. Elles sont nécessaires, elles permettent à tous les grévistes de maitriser le mouvement, de dépasser les différences syndicales.
Mais l’expérience à grande échelle a aussi permis de constater que ce n’est pas encore la solution-miracle ; en effet, les assemblées sont loin de réunir dans tous les établissements la totalité des grévistes ; dans d’autres, elles sont très difficiles à tenir, vu la dispersion. Ailleurs, on a aussi constaté que des reprises individuelles se faisaient malgré des votes majoritaires, ou encore que les assemblées ayant voté pour la reprise n’ont pas attendu que cet avis soit majoritaire en France pour reprendre.
Il y a encore des améliorations à apporter ; la CFDT, qui a poussé pour que les assemblées aient ce rôle importe, engage maintenant avec vous la réflexion dans ce sens.
Et les comités de grève
On constate que des cheminots de plusieurs syndicats et non syndiqués sont associés dans l’action, décident ensemble la grève, de mettre en place une organisation qui exécute les décisions de l’assemblée (organisation des piquets, manifs, etc.) Diverses formes ont été mises en place, la CFDT n’est fermée à aucune proposition ; nous sommes favorables à tout ce qui peut rendre l’action plus efficace et démocratique, qu’on l’appelle comité de grève, bureau d’assemblée ou intersyndicale associant des volontaires non syndiqués.
Par contre, la manipulation tentée par quelques militants de Lutte Ouvrière qui s’autoproclament comité de grève, parfois même avant que la grève ne démarre (six élus avec leurs six voix, le 22/12 à la C.Ex. de Villeneuve, à 12h le lundi alors que le triage est figé), qui proclameront comité national de grève la coordination de Paris Sud Ouest à laquelle viendront s’agréger des représentants ne représentant qu’eux-mêmes, … Tout cela, a amené de nombreuses assemblées à se méfier de toute organisation, de toute coordination de la grève.
Comme dans le même temps, la CGT a rejeté toutes nos propositions de constitution d’intersyndicales, de front commun, le mouvement est resté assez mal organisé. La coordination des dépôts, mise en place par les comités de grève de Sotteville et Paris Nord, s’est, elle, figée sur une seule catégorie. Cela a pesé et a fait planer un risque important de division. Il est vrai que les agents de conduite étaient les seuls à être en grève à plus de 90% au plan national.
Comment dépasser ces difficultés, comment éviter d’être cloisonné chacun dans nos catégories, dans nos chantiers ? Comment dépasser le sectarisme de la CGT et les déclarations politiciennes de Maire, Krasucki et Bergeron [23] ? Encore des questions à creuser ensemble. Pas un syndicalisme qui efface le passé, mais au contraire un travail d’équipe sur la base de l’expérience commune de cette action. La CFDT Pris Sud Est estime que la fameuse évolution du syndicalisme, celle que nous souhaitons, ne se fera pas dans les grandes manœuvres d’états-majors, pas non plus dans l’institutionnalisation ou à la remorque d’un parti politique. Non, c’est avec les cheminots, ici, dans nos chantiers, ensemble, que nous devons construire les équipes syndicales et faire remonter la sève dans l’arbre.
Informer, discuter, organiser des assemblées pour décider ensemble, dépasser les divisions, contrôler les délégations, refuser les manipulations… C’est pour se donner les moyens de faire tout ça, avant, pendant et après les grèves, que nous construisons la CFDT. Le syndicalisme change par la base ! Renforçons les équipes CFDT.
Répression
Des nostalgiques des années brunes à Paris Sud Est ?

Miramas et Rennes où les repos ne sont pas comptés en jours de grève, Paris Sud Est où c’est le contraire, où la direction régionale organise une chasse aux sorcières CFDT et la guerre aux grévistes… Ceci est bien dans la droite (c’est le cas de le dire) ligne des opérations commandos et autres déclarations télévisuelles provocatrices faites par certains cadres supérieurs de notre région. Ils n’ont pas manqué d’initiatives, se déguisant en usagers pour créer des mouvements de foule anti-cheminots, agressant les piquets de grève (un délégué CFDT blessé à Paris Lyon), obligeant tous les cadres des établissements de la région à financer leur page de publicité (payée comme une publicité SNCF) dans les pages du Monde. Ils ont plus manifesté leur mépris pour les cheminots, leur haine antisyndicale, qu’un quelconque attachement à l’entreprise. Mais peut être allons-nous apprendre qu’ils et elle vont refuser de toucher la prime (hiérarchisée) gagnée par les grévistes…
Paris Sud Est, une direction régionale qui veut mettre des dizaines de sanctions et plaintes…
Sur la région Paris Sud Est, la direction envisageait, au moment de la suspension du mouvement, des dizaines de plaintes et sanctions contre les cheminots grévistes qui avaient occupé les voies et postes à Paris, Villeneuve, Montargis, Laroche, et fait des actions qualifiées de « sabotages » à Montargis et Flogny.
Riposte immédiate de la CFDT et des cheminots…
La CFDT a appelé à une riposte immédiate. Nous proposions, comme au niveau national, la réalisation de l’unité syndicale ; malgré les refus, nous engageons l’action.
Le 22, engagements du directeur de région…
Le 22 janvier, les délégués de la C.Ex. Paris Gare de Lyon quittent la réunion des D.P. et appellent leurs camarades de travail à la grève. Les agents des chantiers de la Gare se mettent en grève et envahissent la direction régionale, rejoints par les élus CFDT et CGT du Comité d’Etablissement. La direction régionale concrétise alors son discours sur l’apaisement en annonçant la levée de toutes les sanctions et que les plaintes seront sans suite. Une négociation étant prévue sur les retenues le 28, une assemblée est convoquée ce jour. La CFDT dépose un préavis régional pour permettre une réaction unitaire et commune à tous les établissements de la région. Le 26, la CGT appelle tous les cheminots de Villeneuve à envahir la direction régionale. Une centaine monte.
…Mais le 28, la direction régionale désavoue le directeur
Le 28, au cours de l’audience, la direction revient sur ses engagements. Elle décide de maintenir des sanctions et plaintes, au nombre d’une dizaine. Outre le fait que la parole du directeur prend un sérieux coup de discrédit, on peut s’interroger sur la magouille qui se prépare. Le 30, la CFDT avait proposé une rencontre à toutes les organisations syndicales ; seule le secteur régional CGT est présent, mais annonce qu’il « n’est pas pour le retrait de toutes les sanctions » et qu’il s’en tiendra à la semaine d’action nationale de la CGT.
Affaires à suivre…
Sur notre région, les sanctions déguisées se pratiquent aussi ; des militants CFDT sont déplacés, isolés, de nombreux grévistes font l’objet de « soins attentifs ». La CGT lance une campagne de solidarité avec des militants de Sotteville sanctionnés pour des actions qualifiées de « sabotage s » lors d’une grève d’octobre 86 [24].
Plus jamais comme avant

La grève vient de se terminer, mais la lutte continue. Que la direction ne se méprenne pas sur notre détermination ! Au cours de cette action, les cheminots ont fait preuve d’une grande détermination à contrôler leurs revendications, leur lutte, les négociations, les organisations syndicales. La CFDT cheminots, qui a été dans l’action dès le premier jour, se trouve interpellé par un tel mouvement. Elle entend réfléchir sur ses analyses, sa pratique, son action, pour mieux répondre aux attentes des cheminots, et des jeunes en particulier, si actifs dans cette grève. Cette amélioration de notre syndicalisme pour les cheminots n’est possible qu’avec les cheminots eux-mêmes ! C’est pourquoi, nous appelons tous les cheminots qui ont jugé positivement l’action des militants CFDT [25] dans cette période à venir renforcer nos équipes syndicales, pour continuer le combat !
« Commencée le 18 décembre 1986, précédée notamment dans les chantiers commerciaux par « la grève des résas », la grève des cheminots et cheminotes s’est terminée le 14 janvier 1987 [26]. C’est le plus long mouvement national dans les chemins de fer français. Succès ? Echec ? Il est intéressant de constater comme cette appréciation peut évoluer au fil du temps, y compris et peut être même surtout, pour celles et ceux qui en furent les principaux animateurs et animatrices. La reprise décidée au dépôt de Chambéry le 9 janvier marque le reflux massif du mouvement (mais quelques A.G. moins symboliques avaient aussi décidé l’arrêt de la grève), confirmé par la coordination nationale des agents de conduite dès le lendemain. Pour autant, cette reprise ne s’est pas fait de gaité de cœur, le sentiment qu’il était possible d’aller au-delà était bien présent ! »
« Le projet patronal de grille salariale a été retiré ; celle alors en vigueur l’est restée jusqu’à la négociation d’une nouvelle, applicable au 1er janvier 1992 (toujours en fonction aujourd’hui). »
« L’indemnité de saisie est maintenue, son application est élargie, une nouvelle indemnité est crée pour les vendeurs et vendeuses ne travaillant pas sur informatique. »
« De janvier au 12 mars, la Commission Mixte du Statut se réunie chaque semaine pour discuter des améliorations en termes de conditions de travail ; de nombreux articles de la réglementation du travail [27] seront ainsi modifiés, portant sur des sujets aussi divers que le nombre de repos doubles, de repos le dimanche, la durée du repos journalier, de la « grande période de travail », la compensation des astreintes, etc. ; à noter aussi que c’est à cette occasion qu’est introduit la rédaction de l’article 49 de la réglementation du travail SNCF que la direction modifiera en 2016 ; d’autres revendications sont prises en compte, notamment par rapport aux foyers du personnel roulant. »
« En mars, la fédération CFDT publie un document récapitulatif de 8 pages, support à une consultation nationale des cheminots et des cheminotes, appelés à dire sur chaque sujet s’ils trouvent les propositions de la direction « suffisantes », « insuffisantes » ou « à rejeter ». »
« 20 ans plus tard, Jean-Michel Dauvel [28] qui en 1986 travaillait au dépôt de Sotteville et était animateur du syndicat CFDT et de la coordination national des agents de conduite, résumait ainsi : « La grille salariale sera retirée au terme de trois semaines de lutte, mais la grève se poursuivra encore jusqu’au 14 janvier et nombre d’autres revendications seront satisfaites. Ce qui restera dans l’imaginaire cheminot, plus que l’idée de victoire, c’est la conviction d’une fierté retrouvée : nous avons, dans la durée, égalé et dépassé nos aïeux de la grande grève de 1920. Nous avons su, contre le gouvernement et la direction, malgré certaines fédérations syndicales, construire un outil de lutte géré de bas en haut. Ce modèle sera repris lors des luttes des instituteurs et institutrices en 1987, puis des infirmières et des infirmiers en 1988. Vingt ans après, les syndicats ont (un peu) évolué, les assemblées générales sont devenues incontournables. Pour autant les syndicalistes révolutionnaires ont encore à se battre pour le maximum d’autonomie et d’initiative à la base. Ils ont encore à promouvoir la nécessité d’une organisation permanente (ça s’appelle un syndicat) gérée de bas en haut. Ils ont encore à lutter pour l’autogestion des luttes, « gymnastique » préalable à la reprise en main de l’outil de travail, prélude à l’autogestion de toute la société ! » »
La section syndicale CFDT de Paris Gare de Lyon