Dans le passage à une nouvelle période, comment relier le renouveau du municipalisme, ou du communalisme, et le nécessaire renouvellement de la solidarité internationale. Pourquoi et comment les acteurs et actrices de la solidarité internationale doivent-ils et elles intégrer cette question du renouveau du municipalisme.
Première réflexion. Le nouveau municipalisme, ou communalisme, propose de partir du local pour prendre en compte l’articulation entre les échelles d’intervention du local, au national, à l’échelle des grandes régions et au niveau global.
Le nouveau municipalisme s’inscrit dans la redéfinition de la place des institutions locales et municipales dans les stratégies de transformation des sociétés. Nous partons d’une approche du nouveau municipalisme comme un ensemble de pratiques politiques et d’actions locales qui visent à la mise en place d’alternatives et d’auto-gouvernement qui partent du local dans une perspective de changement global. Il s’agit de resituer le local et le municipal dans l’articulation entre les échelles d’intervention, du point de vue du rapport entre les sociétés et les territoires. Il s’agit bien de prendre en compte toutes les échelles d’intervention, en partant du local et de la proximité.
La stratégie nécessite de redéfinir l’articulation des échelles d’intervention. L’articulation des échelles compte autant que la répartition des formes d’intervention. Au niveau local, la démocratie de proximité, les alternatives locales, les services publics, les territoires. Au niveau national, les politiques publiques, l’Etat, une large part de la citoyenneté. Au niveau des grandes régions, le culturel et la géopolitique. Au niveau mondial, le droit international, les migrations, le climat et l’hégémonie culturelle. Du point de vue des priorités et des formes, l’articulation dépend des situations et des contextes. Les situations locales et nationales prennent le pas, aujourd’hui, sur les échelles régionales et mondiales.
Deuxième réflexion. Le municipalisme, ou communalisme, participe à la réflexion sur la transition sociale, écologique et démocratique.
Une stratégie municipaliste, ou communaliste, peut relier les dimensions sociales, écologiques et démocratiques. Elle relie fortement la population, le territoire et les institutions. Les luttes sociales sont, à un moment ou un autre, ancrées à l’échelle locale. Les villes sont des lieux d’action privilégiée de la lutte contre le changement climatique. Il s’agit également de mettre en œuvre des pratiques démocratiques qui préfigurent les expériences d’autogouvernement à travers des comités de quartier et des assemblées populaires. L’alliance entre mouvements sociaux et municipalités progressistes constitue une échelle pertinente pour construire des alternatives locales et des utopies concrètes qui résistent à la marchandisation, la financiarisation et aux replis identitaires.
Troisième réflexion. Le nouveau municipalisme, ou communalisme, s’inscrit dans la redéfinition de la stratégie de transformation des sociétés et dans la remise en cause de la priorité quasi-exclusive donnée à la prise du pouvoir d’Etat dans la transition pour un dépassement du capitalisme.
L’interrogation porte sur la conception de la transition. Sans nier l’importance du rôle de l’Etat dans les stratégies de rupture qui accompagnent le dépassement du capitalisme, il s’agit de redéfinir la place des institutions locales et municipales dans les stratégies de transformation des sociétés.
L’interrogation sur la priorité quasi exclusive donnée à la prise du pouvoir d’Etat redéfinit la transition dans le rapport entre le temps long et les ruptures. Elle rappelle l’importance des ruptures et elle rappelle aussi l’importance du temps long. Elle donne une importance nouvelle aux pratiques alternatives et à l’émergence de rapports nouveaux dans la société actuelle. Elle rappelle que les rapports sociaux capitalistes ont existé dans les sociétés féodales et que des rapports sociaux post-capitalistes, sous une forme probablement encore primitive, existent dans les sociétés capitalistes. Elle dégage les tentatives d’invention de nouveaux rapports sociaux, comme le municipalisme ou communalisme ou l’économie sociale et solidaire, de leur enfermement dans le réformisme et dans l’économie réparatrice.
Quatrième réflexion : Inscrire le municipalisme dans une démarche stratégique, dans l’articulation entre l’urgence et l’alternative.
Aujourd’hui l’urgence, c’est la résistance ; mais elle ne suffit pas. Même pour résister, Il faut pouvoir proposer un autre projet, une alternative. C’est la proposition du mouvement altermondialiste, un autre monde est possible.
Dans l’urgence, les municipalités peuvent être les points d’appui des résistances par rapport aux contradictions à partir de l’orientation des services publics, des marchés publics et de l’emploi, de la citoyenneté de résidence, de l’égalité, du développement local, …
L’inscription de ces actions dans la définition d’un projet alternatif est nécessaire pour lui donner un sens, y compris pour résister. Ce projet est celui de la transition, au sens donné auparavant, sociale, écologique et démocratique. Il chemine à partir des luttes, des actions des mouvements sociaux et des pratiques alternatives. Il se cherche aussi à travers de nouveaux concepts, de nouvelles notions : les communs, les biens publics, la propriété sociale et collective, le buen vivir, la gratuité, la démocratisation de la démocratie, …
Cinquième réflexion. Le nouveau municipalisme ou communalisme participe à une option stratégique face à la mondialisation néolibérale.
Les municipalités et plus largement les collectivités locales ont été utilisées par les pouvoirs dominants pour mettre en œuvre le néolibéralisme. Elles peuvent être réorientées, sous la pression des mouvements sociaux, pour mettre en œuvre des politiques qui soient en rupture avec le néolibéralisme. Les tentatives municipalistes doivent prendre en compte les limites de l’action locale et de leur détermination par les politiques nationales et par la logique de la mondialisation néolibérale. Il reste toutefois des marges de manœuvre et des contradictions qui permettent de renforcer les prises de conscience et d’ouvrir des perspectives.
Parmi les possibilités, citons : le développement des services publics face à la logique des privatisations en défendant l’égalité d’accès pour tous et la gratuité ; le développement d’une commande publique responsable en utilisant les marchés publics pour faciliter l’emploi et les relocalisations ; l’orientation de l’aménagement du territoire pour une reterritorialisation de l’économie ; le renforcement de la démocratie locale et du contrôle citoyen des institutions de proximité. On pourra se référer au rapport de l’AITEC : “Collectivités locales : reprendre la main c’est possible” [2].
Sixième réflexion. Le municipalisme, ou communalisme, participe aussi à la redéfinition de l’action politique en proposant l’alliance entre les mouvements sociaux et les institutions démocratiques de proximité.
Il s’agit d’explorer les bases et les alliances d’un nouveau municipalisme ou communalisme.
Avant les années 1980, les municipalités étaient considérées comme des « appareils décentralisés de l’Etat ». C’était en quelque sorte le bout de l’Etat, le prolongement des administrations centrales. Les collectivités locales sont devenues un des quatre acteurs de la transformation sociale aux cotés des institutions étatiques, des entreprises, des associations. Elles participent à la nécessaire réinvention des formes institutionnelles à tous les niveaux (local, national, régional et mondial). Elles participent aussi à la redéfinition de la démocratie qui ne se résume plus à l’équilibre des pouvoirs entre les administrations étatiques et les entreprises, entre le pouvoir étatique et le pouvoir privé.
L’alliance stratégique est à construire entre les institutions locales et les mouvements sociaux et citoyens (désignations plus précises que celles de sociétés civiles ou des associations). Elle permet d’envisager un renouvellement de l’action politique (exemple de la municipalité de Barcelone et du mouvement En comùn). L’alliance possible avec les acteurs économiques peut concerner les entreprises de l’économie sociale et solidaire, les entreprises municipales, les entreprises publiques, les entreprises locales. Autour du refus du rabattement sur la rationalité dominante « marchandiser, privatiser, financiariser » et de la mise en avant d’une démarche fondée sur le respect des droits fondamentaux.
Septième réflexion. La dimension internationale du municipalisme s’est construite à travers l’altermondialisme. Les réseaux internationaux de villes construisent des alliances avec les réseaux internationaux de mouvements.
Le nouveau municipalisme est international. Les municipalités s’affirment aujourd’hui, à l’échelle internationale, comme des acteurs des transformations de sociétés et comme des acteurs internationaux. Cette évolution a été particulièrement affirmée depuis la conférence Habitat II [3], en 1996, à Istanbul. La dimension internationale du nouveau municipalisme s’est confirmée dans le mouvement altermondialiste à travers les Forums des Autorités Locales et les Forums des Autorités Locales des Périphéries qui ont accompagné les forums sociaux mondiaux depuis 2001. Les réseaux internationaux de villes mettent en avant le droit à la ville et le choix pour une ville solidaire par rapport à la ville compétitive. Ils mettent aussi en avant l’alliance entre les autorités locales et les mouvements sociaux et citoyens.
Ce sont les réseaux internationaux de villes qui ont permis d’élargir la vision et l’action des municipalités et du municipalisme. Les réseaux internationaux de ville, et aussi par grandes régions ou nationaux, permettent de resituer le local dans des approches plus larges. Ils combinent la définition d’alternatives à partir de la diversité des situations et la popularisation des propositions. L’identification des réseaux permet d’explorer les dimensions d’un programme alternatif : villes contre la dette ; contre le libre échange (TAFTA et CETA) ; pour l’eau ; pour l’accueil des migrants ; … Dans un réseau il y a des villes associées qui résistent et élargissent (par exemple pour le réseau des villes hospitalières, les villes qui se contentent de se déclarer villes hospitalières) et des villes motrices qui définissent les alternatives (par exemple l’égalité des droits et la citoyenneté de résidence).
Huitième réflexion. Le nouveau municipalisme ou communalisme participe à la redéfinition de la solidarité internationale et des mouvements pour l’émancipation.
Le nouveau municipalisme ou communalisme participe à la nécessaire redéfinition de la solidarité internationale. Il souligne les nouveaux enjeux du local dans la transition. Il s’inscrit dans la redéfinition des échelles d’intervention, dans l’articulation entre le local, le national, les grandes régions géoculturelles, le mondial et le planétaire. Il développe une démarche écologique en partant de la préservation des territoires et en facilitant la relocalisation des activités. Il est une des pistes de la définition de la démocratie et du politique à partir de l’articulation entre les mouvements sociaux, les habitants et les institutions de proximité.
Pour les mouvements sociaux, l’action commence généralement par le local, les mobilisations et les luttes locales et la construction d’alternatives concrètes. Le rapport avec les institutions implique directement les institutions locales. L’un des enjeux porte sur une réappropriation des communs accompagnée par la mise en place de nouvelles maîtrises des ressources. Le municipalisme ou communalisme permet d’expérimenter de nouvelles formes de partenariat fondé sur le rapport entre les populations, les territoires, les institutions.
Le municipalisme permet d’envisager une transformation de « l’intérieur » et de « l’extérieur » des institutions en constituant des alliances et d’éventuelles plateformes. D’une part, le municipalisme permet d’approfondir les pratiques nécessaires d’organisation de quartier, de construction d’alternatives locales et d’autogestion. Cet enracinement local permet de reconstruire des bases sociales indispensable à tout mouvement social. D’autre part, le municipalisme permet d’envisager une transformation des politiques publiques locales qui tend vers des formes d’autogestion et d’autogouvernement. Ces enjeux de démocratie locale participent également à une redéfinition des notions de citoyenneté.
La démarche du municipalisme et du communalisme ne se limite pas à l’action locale et aux institutions locales. On peut rechercher une amélioration des conditions de vie des couches populaires à l’échelle locale à travers, notamment, la maîtrise du foncier, la construction de logement et des services publics municipaux. On se rend vite compte qu’un changement significatif et la lutte contre les discriminations et les ségrégations ne peut pas se résoudre à l’échelle locale. Les élections locales et les pouvoirs locaux peuvent être nécessaires mais ne suffisent pas à s’engager dans une perspective de transformation sociale radicale.
Le nouveau municipalisme ou communalisme ne se résume pas à l’action locale tout en refusant de se couper des réalités locales. Il rappelle que les révoltes populaires urbaines et rurales ainsi que les institutions locales ont joué un rôle dans la décolonisation. De nombreuses expériences témoignent de la mise en place d’une démocratie directe basée sur des assemblées locales et visant à l’autogouvernement des biens communs. Le communalisme et le municipalisme ont accompagné les mouvements populaires d’émancipation, en Europe notamment, comme avec la Commune de Paris en 1870 et Barcelone en 1937. Depuis 2011, « le mouvement des places » dans plusieurs villes du monde inaugure une nouvelle génération de mouvements sociaux. Ils cherchent à se réapproprier les territoires et à s’installer dans l’espace public. Ce mouvement des places ouvre, par bien des aspects, une nouvelle phase du municipalisme ou communalisme.
26 novembre 2019
Gustave Massiah