La visite n’est pas passée inaperçue. Le 24 décembre, en pleine vague de chaleur, le sud de l’Australie est déjà ravagé depuis des semaines par une centaine d’incendies. Plus d’un millier de maisons ont été détruites, des vies emportées, des paysages dévastés… L’air des principales villes est devenu irrespirable : elles sont plongées dans des nappes de pollution insupportables. Les images, diffusées par les médias et les réseaux sociaux, impressionnent et choquent la population.
Le ministre australien de l’énergie, Angus Taylor, en première ligne sur le dossier du changement climatique, se rend alors dans l’une des régions dévastées, la Nouvelle-Galles du Sud. Est-ce pour annoncer un changement de la politique « extractiviste », productiviste et pro-charbon de son gouvernement, celui du Parti libéral (centre-droit) dirigé par le premier ministre Scott Morrison ? En cette veille de Noël, on peut rêver, mais non… Il se rend tout simplement à une cérémonie pour marquer la réouverture d’une mine de charbon fermée une semaine auparavant en raison des feux de brousse.
Dans un communiqué, Greenpeace Australie y a vu une preuve de l’incurie et de l’inconscience des gouvernants : « Morrison, Taylor et de nombreux membres du gouvernement semblent incapables de faire passer la sécurité des familles australiennes avant leur obsession pour l’industrie des combustibles fossiles. S’ils le pouvaient, ils devraient prendre les mesures nécessaires – préparer les communautés australiennes et les services de santé et d’urgence à l’augmentation des dangers d’incendies et prévoir rapidement la sortie de l’extraction et de la combustion du charbon. »
En visite de terrain jeudi – alors que le bilan officiel est d’au moins 17 morts et plus de 1 400 maisons détruites par les flammes –, Scott Morrison a été pris à partie, devant les caméras, par des habitants exaspérés par la situation, avant de repartir à la hâte.
Ketan Joshi
@KetanJ0
Incredible clip (unfortunately, heavily censored) of Aus’ PM visiting the devastated town of Cobargo
Vidéo intégrée non reproduite ici
Morrison grabs the hand of a woman who tried to say that she’d refuse to shake hands unless he committed more resources to the area (and then walks away)
© ketanj0
11:09 - 2 janv. 2020
Interrogé par la chaîne ABC sur les engagements en matière d’émissions, si le premier ministre a finalement reconnu un lien entre la situation actuelle et le changement climatique, il a ajouté cependant que « l’Australie fait face aux défis mieux que beaucoup d’autres pays ». Il ne cesse de le répéter depuis le début de la crise, mais ce n’est pas l’avis de nombreux spécialistes.
Dans un texte publié par l’édition australienne du Guardian, le directeur général de Greenpeace Australie, David Ritter, a ainsi jugé que le système politique de son pays vivait son « moment Tchernobyl ». Il fait référence à la catastrophe nucléaire qui a ébranlé l’Union soviétique en 1986, « un tournant historique » majeur – selon les mots employés vingt ans après par le secrétaire général du Parti communiste de l’URSS de l’époque Mikhaïl Gorbatchev – qui a mis au jour la crise de légitimité du pouvoir et mis à nu les faiblesses d’un système qui allait s’effondrer cinq ans plus tard.
De la même manière, c’est tout un système néolibéral basé sur l’exploitation des ressources naturelles – qui a fait la fortune financière du pays mais son infortune environnementale – qui est aujourd’hui sur la sellette : « Depuis 2013, le premier ministre et ses prédécesseurs ont reçu au moins dix-huit avertissements d’experts de haut niveau liant le changement climatique à l’aggravation des feux de brousse. Tous ont été ignorés. Morrison et d’autres dirigeants politiques ont non seulement échoué à réduire les émissions à l’origine de l’urgence climatique, mais ils ne se sont évidemment pas suffisamment préparés aux conditions catastrophiques d’incendie qui avaient été prévues. » Les gouvernants ont « préféré l’idéologie à la réalité », juge M. Ritter, pour lequel une « rapide transformation économique est nécessaire ».
Fire and Rescue NSW
@FRNSW
The crew from Fire and Rescue NSW Station 509 Wyoming recorded this video showing the moment their truck was overrun by the bushfire burning South of Nowra. The crew was forced to shelter in their truck as the fire front passed through. #NSWFires #ProtectTheIrreplaceable
Vidéo intégrée non reproduite ici
10:35 - 31 déc. 2019
© frnsw
Sur le site The Conversation, Blanche Verlie, une post-doctorante de l’Université de Sydney, juge qu’il est temps de se poser les bonnes questions. Où plutôt LA bonne question : « Maintenant que les villes australiennes étouffent sous la fumée, allons-nous finir par parler du changement climatique ? » Début décembre, des milliers de personnes avaient défilé à Sydney pour dénoncer l’inaction du gouvernement et réclamer des actions plus fortes. En Nouvelle-Galles du Sud, les jeunes du Parti libéral, la formation du premier ministre, militent pour une action plus énergique pour réduire les émissions australiennes, rompant ainsi avec la ligne officielle de leur formation.
Aux États-Unis, un des candidats à l’investiture démocrate pour l’élection présidentielle, Bernie Sanders, a souligné l’importance de ce qui se passait en Australie. « Cela se répandra dans le monde si nous n’agissons pas de manière agressive pour combattre le changement climatique et changer notre système énergétique basé sur les carburants fossiles. L’avenir de la planète est en jeu. Nous devons agir », a-t-il tweeté.
Le gouvernement de Nouvelle-Galles du Sud a annoncé que l’état d’urgence serait décrété à partir de samedi et pour une semaine, s’attendant de nouveau à des conditions difficiles. Les autorités ont appelé certains habitants des zones concernées et les touristes à évacuer les régions de la côte méridionale. Mais les embouteillages et la pénurie d’essence compliquent ces transports. À n’en pas douter, les incendies en Australie vont continuer à ravager également l’espace politique.
François Bougon