Présentation :
Ayant inauguré son nouveau mandat avec la mise en coupe réglée du Jammu et Cachemire, seul Etat à majorité musulmane du pays, le gouvernement du BJP vient de modifier la loi sur la citoyenneté de manière à permettre la naturalisation de migrant.e.s non-musulman.e.s provenant du Pakistan, d’Afghanistan et du Bangladesh installé.e.s en Inde depuis au moins cinq ans. Sous couvert de protéger les minorités religieuses de ces pays à majorité musulmane, ce qui est en jeu est une redéfinition de la nationalité indienne, basée sur la religion hindoue, et qui vise à faire des musulman.e.s des citoyen.ne.s de seconde zone.
Le gouvernement a annoncé en effet vouloir effectuer parallèlement un exercice de vérification de nationalité devant mener à l’établissement de registres excluant les immigrant.e.s considérées comme illégaux/illégales. Mise en œuvre dans la région de l’Assam, cette vérification (National register of Citizens) avait abouti l’été dernier à déchoir de leur nationalité près de deux millions de personnes parce qu’elles avaient été incapables de fournir les papiers montrant qu’elles s’étaient installées dans la région avant 1971, date de la proclamation d’indépendance du Bangladesh.
Avec le nouvel amendement, les non-musulman.e.s se voient ré-ouvrir une voie d’accès à la citoyenneté, qui est dénié aux personnes de confession musulmane. Cela constitue une attaque à l’encontre de la Constitution qui garantit une égalité de l’accès aux droits. Les craintes sont fortes, dans certaines zones, que ces nouvelles dispositions servent à modifier l’équilibre confessionnel précaire en favorisant l’afflux d’hindou.e.s venu.e.s du Bangladesh et fragilisent ainsi encore les communautés musulmanes déjà marginalisées, assimilées dans le discours gouvernemental à des étrangers illégaux.
Alors que la croissance indienne se ralentit et que le chômage, notamment des jeunes diplômé.e.s est en forte hausse, l’annonce de l’adoption par les deux chambres du parlement fédéral du Citizenship Amendment Act suscite une vague de protestation inédite dans tout le pays, notamment parmi les étudiant.e.s. Deux universités, l’Aligarh Muslim University et Jamia Milliah Islamia, fondées durant la période de domination britannique pour promouvoir l’éducation des musulman.e.s et qui accueillent aujourd’hui beaucoup d’étudiant.e.s de cette confession, ont émergé comme les foyers de la contestation.
Le texte que nous reproduisons ci-dessous, publié par le média militant GroundXero, revient sur ces mobilisations et sur la farouche répression auxquelles elles ont dû faire face de la part l’État. Depuis la parution de ce texte, un mouvement de solidarité avec les étudiant.e.s des deux universités en question s’est étendu à tout le pays, et notamment à la plupart des universités d’État. Certains leaders d’opposition ont annoncé qu’ils/elles empêcheraient la mise en œuvre de la loi dans les États qu’ils/elles administrent, tandis que des manifestations importantes continuent d’être organisées en dépit des interdictions de manifester, de la répression à laquelle elles sont soumises et du blocage par le gouvernement des communications téléphoniques portables dans certaines zones.
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Nous, à GroundXero, condamnons fermement la violence brutale de l’État qui s’abat sur les campus.
Ces derniers jours, le pays a connu une série d’événements sans précédent – l’adoption du projet de loi modifiant la loi sur la citoyenneté (CAB) par les deux chambres du Parlement, qui transforme officiellement le pays en une Rashtra (nation) hindoue, rend la discrimination contre les musulmans légale, et donc divise selon des lignes communautaires une nation déjà blessée, dont l’économie est chancelante, où le salut paraît déjà hors de portée. Certains ont fait remarquer qu’il s’agit en effet de la seconde partition de la nation selon des lignes religieuses, qui vise à parachever le processus incomplet de 1947. Certains ont aussi avancé que c’était la « kashmirisation » de l’Inde. Si les ramifications idéologiques de telles descriptions peuvent faire l’objet d’un débat, les manifestations organisées par les étudiant.e.s de l’Aligarh Muslim University (AMU) et de Jamia Milliah Islamia University (JMIU), les deux principales universités minoritaires du pays, ont aussi été source d’inspiration.
Au cours des derniers jours, nous avons vu surgir beaucoup d’images inspirantes de protestations issues de ces deux institutions – des étudiantes juchées sur des camions haranguant les masses, des cantines entièrement vides à AMU, où près de 25 000 étudiants sont entrés en grève de la faim, de vieux slogans radicaux qui reviennent alors que de nouveaux font leur apparition. Enfin et surtout, au sein de ces deux institutions, les étudiant.e.s sont parvenu.e.s à faire évoluer le paradigme dominant du mouvement étudiant au-delà des revendications corporatistes pour englober des questions plus larges relatives à l’État, à l’identité religieuse et communaliste, à la répression d’État. Ce n’est pas étonnant puisque les périodes de crise politique et sociale sont aussi celles qui donnent lieu à la naissance de nouveaux vocabulaires de la protestation. Et il n’est pas non plus étonnant que ces vocabulaires de la dissidence soient forgés par celles et ceux qui sont les plus durement touché.e.s.
En représailles, l’État a déchaîné une violence sans précédent contre ces deux institutions. Á Jamia, les examens ont été reportés et l’université a été fermée prématurément. La police s’est introduite dans les résidences étudiantes et dans les bibliothèques, tirant des grenades lacrymogènes, traînant et battant des étudiant.e.s. Des témoins oculaires affirment sur les réseaux sociaux que l’université et le quartier environnant de Jamia Nagar ont été transformés en zones de guerre. Des vidéos et des photographies montrent la police de Delhi mettant le feu à des bus, avant d’en rejeter la faute sur les étudiant.e.s.
On a vu la police s’introduire dans les résidences étudiantes à Aligarh Muslim University (AMU), tirant des grenades de gaz lacrymogènes sur les étudiants mobilisés. Une chambre de la résidence étudiante Morrisson de l’AMU a été incendiée. Sur une vidéo circulant sur les réseaux sociaux on peut entendre la police crier « maaro behenchodo ko » (« tuons ces baiseurs de sœurs »). La police est entrée dans les résidences des jeunes femmes. Tou.te.s les étudiant.e.s de l’AMU et de JMIU ont été dépouillé.e.s de leur identité d’étudiant.e pour être réduit.e.s à celle de musulman.e.
C’est là quelque chose d’inédit, l’irruption violente de la police dans les universités du cœur de la capitale du pays pour réprimer les étudiant.e.s en lutte. Inutile de dire que c’est la pire version du terrorisme d’État à l’encontre des étudiants. Dans ce contexte, il ne peut y avoir aucune « objectivité » journalistique, scientifique ou artistique. Nous, à GroundXero, dénonçons fermement la violence d’État sur les campus universitaires. Nous condamnons aussi l’attaque de la police à l’encontre de l’étudiant de Jamia, Shaheen Abdulla. Shaheen est journaliste pour le journal étudiant Maktoob. Nous voulons également dire, sans équivoque, que la période exige que celles et ceux d’entre nous qui croient en la démocratie, en la pluralité, en l’égalité des droits de toutes les communautés et au droit de protester, soient dans la rue. Ce n’est pas le combat des seules communautés musulmanes. C’est impossible. Le temps est venu de s’unir et de résister à cet assaut fasciste.
GroundXero