Depuis plusieurs semaines, le malaise des pompiers fait la une des médias, notamment sur la hausse des violences qu’ils subissent. Est-ce que tu confirmes ce constat et si oui comment l’analyses-tu ?
Yves Delmonte - Ces dernières semaines j’ai beaucoup échangé avec mes collègues pompiers notamment celles et ceux qui interviennent sur le terrain. Effectivement les violences sur interventions ont malheureusement augmenté ces dernières années, même si ce n’est pas la norme. Avec l’aggravation de la crise, ce métier devient de plus en plus difficile à effectuer. Les pompiers sont de plus en plus souvent confrontés à un quotidien de misère… Face à une détresse sociale grandissante, les appels aux 115 ou 112 sont devenus le dernier recours pour la population en détresse.
À mon avis, ce qui est nouveau aux yeux des médias c’est que les pompiers – qui reste la profession la plus appréciée de la population – subissent aussi de plein fouet les conséquences de la violence de la crise… D’ailleurs des camarades pompiers sont très conscients de cette situation et essaient de retisser du lien social notamment auprès des jeunes des quartiers populaires. C’est dans ce but par exemple qu’ils ont fondé une association au sein de la Villeneuve de Grenoble et organisent bénévolement depuis quelques années des formations aux gestes de premiers secours. Tout n’est évidemment pas parfait, ça reste fragile mais les rapports de confiance s’améliorent et les premiers résultats sont plutôt encourageants…
Si je comprends bien, les pompiers sont confrontés à un quotidien de misère et de détresse de toute nature auxquelles ils doivent trouver des solutions ?
Tout à fait. Depuis des années l’État, le conseil départemental, les communes… se désengagent de leurs obligations légales comme l’aide aux plus démuniEs. D’après le DAL 38, sur l’Isère il y a près de 4 000 personnes qui dorment actuellement dehors. Il y a de nombreuses familles avec des enfants qui errent dans les espaces publics alors que la loi oblige l’État à les héberger. Avec ce froid, quand le 115 est débordé, ce sont les pompiers qui interviennent face à ces tragédies humaines. Régulièrement ils sont confrontés à des situations de misère de toute nature auxquelles ils doivent trouver des solutions… avec une simple ambulance et peu de moyens humains…
Les conditions de travail se sont-elles encore dégradées ces dernières années ?
D’année en année les interventions ne cessent d’augmenter et les effectifs diminuent, et cette combinaison dégrade obligatoirement les conditions de vie et de travail. L’austérité généralisée touche évidemment les services d’incendie et de secours. Face au démantèlement du service public et à la politique de destruction des conquêtes sociales, je pense qu’il faut en finir avec l’hypocrisie du « dialogue social » et ne compter que sur les luttes. Et ne rien attendre de positif de la part des larmes de crocodiles de Macron qui est le père Noël des riches.
Que penses-tu de la loi de 1996 qui permet de facturer certaines interventions ?
Cette loi est scandaleuse. La CGT se bat contre la marchandisation des secours. Facturer une intervention pour une fuite d’eau ou un nid de guêpes sous couvert qu’il n’y a pas d’urgence vitale est une honte car elle pénalise toujours les familles les plus nécessiteuses. Rappelons que la France est le dernier pays d’Europe à avoir des secours d’urgence gratuit. C’est à dire que riche ou pauvre, centre-ville ou banlieue, toute la population a droit à la même qualité de secours. C’est un acquis social extraordinaire que nous devons impérativement préserver. Et coûte que coûte il faut se battre pour revenir à la gratuité de tous les secours.
J’imagine que la phrase assassine de Laurent Wauquiez, président du conseil régional Rhône Alpes Auvergne, « l’assistanat est le cancer de la société » a énormément fait de mal à l’éthique de la profession ?
Cette phrase de Laurent Wauquiez est infecte, immonde et inacceptable pour une profession qui conduit à être en permanence au contact des plus défavoriséEs. Elle montre l’ampleur du mépris de classe de Wauquiez et de sa bande. Elle fait le lit des idées racistes qui malheureusement, comme dans d’autres professions, sont perceptibles chez certains pompiers. L’essence même du métier, c’est le secours aux personnes, et dans le contexte de la crise actuelle ce sont évidemment les plus démuniEs, les plus pauvres qui en ont le plus besoin.
Pendant longtemps la résistance des pompiers face aux politiques néolibérales était réputée. Par exemple, sur l’Isère, nous avons en mémoire votre lutte courageuse fin 2013 sur le maintien des 35 heures, l’augmentation des effectifs et l’amélioration de vos conditions de travail ? D’après toi comment retrouver cette dynamique unitaire ?
C’est vrai que nous avons une tradition de luttes syndicales assez radicales. Nous avons obtenu de belles victoires mais connu aussi des défaites. La lutte que tu évoques, qui était dirigée par la CGT et la Fédération autonome, a été exemplaire, unitaire, dynamique mais difficile et très douloureuse. Pour mémoire, lors d’une manifestation, Quentin, un jeune pompier grenoblois de 31 ans, a perdu un œil suite à un tir de flash Ball d’un CRS… Ce conflit de plus de 3 mois a été long, et il est vrai que nous espérions une convergence des luttes sur le plan départemental, qui malheureusement n’a pas eu lieu…
Le constat c’est qu’aujourd’hui boîte par boîte c’est très difficile de gagner, et à mon avis les directions syndicales doivent mettre en place une stratégie combative unitaire sur le plan national. Et surtout ne pas saucissonner le mouvement social. Nous devons être unitaires à 100 %, syndicats, partis politiques, associations, mouvements sociaux Face à Macron et ses porte-flingue, il me paraît difficile d’avoir une stratégie gagnante sans articuler les revendications sectorielles et des revendications unifiantes. Nous avons grandement besoin d’une victoire sociale contre ce gouvernement pour redonner le moral aux salariéEs.
Un dernier mot ?
La CGT a toujours affirmé que les pompiers étaient « des ouvriers du feu, des techniciens du feu » et pas des soldats du feu comme le préconisent actuellement les médias traditionnels. Les pompiers professionnels sont des fonctionnaires territoriaux et font partie intégrante du monde syndical, du mouvement ouvrier et ils n’ont rien à voir avec l’armée ou les forces de répression. C’est bon de le rappeler.
Propos recueillis par notre correspondante