Trois mois après, ils étaient de retour dans les rues de Paris, avec leurs tenues, leurs casques et leurs revendications inchangées. Mais cette fois, ils ont gagné. Plusieurs milliers de pompiers professionnels, venus de toute la France, ont défilé ce mardi 28 janvier, dans le même état d’esprit que lors de leur précédente manifestation nationale, le 15 octobre.
À l’issue de la journée, tendue, l’intersyndicale a annoncé stopper son mouvement de protestation lancé en juin, jugeant avoir obtenu suffisamment de garanties de la part du gouvernement en matière salariale et de retraites.
Comme le 15 octobre, la manifestation avait auparavant donné lieu à quelques images impressionnantes : des pompiers reculant sous les coups de matraque des CRS [1] ou affrontant des policiers casqués tout de noir vêtus [2], mais aussi des pompiers aidant, en marge de leur défilé, des usagers du métro, y compris un bébé [3], incommodés par les gaz lacrymogènes qui ont inondé le parcours à plusieurs reprises.
Autant d’images qui marqueront les esprits et face auxquelles les efforts de communication de la préfecture de police de Paris ne pèsent rien : sur les réseaux sociaux, la préfecture a fait mine de s’indigner que certains sapeurs pompiers aient revêtu leur tenue de feu, contrairement à leurs engagements, ou qu’ils aient tenté de bloquer le périphérique.
Nicolas Matyjasik
@NicMatyjasik
Épuisement & colère des pompiers qui ne peuvent plus assurer leur mission de service public. Le néolibéralisme & ses adeptes qui veulent à tout prix réduire les coûts, précariser les métiers sont criminels.
Sous les coups de la police.
Ces images font mal.
Vidéo intégrée
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17:13 - 28 janv. 2020
© nicmatyjasik
Les revendications des professionnels du secours sont restées inchangées depuis le début de leur mouvement de protestation, le 26 juin, dans toute la France. « L’important pour nous, c’est d’alerter la population sur les difficultés toujours plus fortes d’exercice de notre métier, de mettre en avant le manque d’effectifs et les dysfonctionnements, résume André Goretti, de la Fédération autonome SPP-Pats, le premier syndicat de la profession. Nous portons un message fort sur le service public de secours et de lutte contre les incendies. »
Hormis les défilés parisiens, le mouvement a rencontré peu d’échos pendant les sept derniers mois, les pompiers étant astreints à un service minimum. Comme à l’hôpital, la grève s’est surtout manifestée par des banderoles accrochées aux façades des casernes, des inscriptions sur les camions, des brassards ou des inscriptions sur les uniformes.
« Localement, lors de la plupart des discours des élus locaux, on quitte les lieux, on se retire ostensiblement. Mais bon, clairement, on continue les interventions, donc nos grèves impactent moins que celles des cheminots par exemple », témoigne Alexandre, pompier dans le Nord, en grève depuis juin. Il est venu en toute connaissance de cause à Paris : « À la dernière manifestation, on était venus pacifiquement et on s’est fait défoncer. Donc là, c’est vrai, on est un peu plus remontés. »
Sous les fumigènes multicolores, derrière les pétards et les sifflets, la colère grondait en effet. Beaucoup n’ont pas oublié la situation de leur collègue de l’Essonne, qui avait subi un tir de LBD pendant la manifestation de janvier, et, hors de lui, avait insulté Emmanuel Macron dans une vidéo devenue virale [4]. Il a été suspendu deux mois [5].
« En Mayenne, nous sommes en grève depuis mars, presque un an, racontait Sébastien, venu de Laval. Les autorités disent qu’il y a un dialogue, mais c’est juste ça : un dialogue, et au bout de tout ça il n’y a pas de lois, pas de décrets. »
Au cours de la manifestation, il n’a certes à aucun moment été question de dialogue. Comme c’est le cas depuis plusieurs manifestations parisiennes, les forces de l’ordre étaient serrées à l’avant du cortège, dans un format proche du maintien de l’ordre à l’allemande. Tout à l’avant, les CRS et gendarmes mobiles ont tenté de donner le rythme de marche, mais sous la pression des pompiers, eux-mêmes pour la plupart casqués et en tenue, la manifestation a régulièrement pris des airs d’affrontements.
Les coups de matraque ont répondu aux nombreux pétards et aux bousculades. Le rythme, finalement, a clairement été imposé par les pompiers, bien décidés à ne pas se laisser dicter la marche à suivre pour cette manifestation qui avait aussi un goût de revanche. Les gaz lacrymogènes n’ont pas eu beaucoup d’effet face à des revendications vieilles de plusieurs mois.
Mais la page paraît en voie d’être tournée. Lors d’une réunion dans la matinée de mardi, le ministre de l’intérieur Christophe Castaner s’est engagé à revaloriser la prime de feu des pompiers. Il s’agissait de l’une des principales revendications des représentants des soldats du feu. Cette prime est équivalente à la prime de risque des policiers. Mais là où ces derniers bénéficient d’une prime de 28 % calculée sur le salaire de base, celle des pompiers est restée calée à 19 %, depuis… 1990.
Le 24 janvier, Christophe Castaner avait annoncé qu’il prendrait très prochainement un décret pour amener la prime de feu à 25 %, et que cette augmentation entrerait en vigueur sur une période de deux à trois ans, selon les départements. Il a confirmé cette annonce, et surtout assuré que la revalorisation entrerait finalement en vigueur avant cet été. Ce qui a permis aux syndicats de suspendre le mouvement.
Il reste une difficulté : le ministère décideur n’est pas le payeur, puisque les SDIS, les services d’intervention qui emploient les pompiers professionnels, sont financés par les conseils départementaux. « Certains départements ont déjà budgété cette augmentation, mais d’autres disent : “Moi vivant, jamais !”, racontait peu avant la manifestation Sébastien Delavoux, le responsable CGT des pompiers. Or, nous ne voulons pas accroître les différences de rémunération, qui peuvent déjà s’élever à plusieurs centaines d’euros par mois, selon que les agents exercent dans un petit département peu peuplé ou en Gironde ou dans le Rhône. »
Le ministre a également confirmé les précédentes annonces gouvernementales concernant les retraites des pompiers : comme les militaires ou les policiers, ils pourront continuer à partir à 57 ans, en échange d’une surcotisation de 1,8 % de leur employeur. « Cela répond à une de nos demandes, confirme André Goretti. Mais dans quelles conditions, pour quel niveau de pension ? Jusqu’à présent, personne n’a été capable de nous présenter un tableau clair de la situation ! »
Les 40 000 pompiers professionnels, qui sont appuyés par environ 200 000 pompiers volontaires, dénoncent aussi fortement le manque d’effectifs. Ils se sentent seuls face à l’explosion des demandes de secours ou d’assistance, qui se multiplient à mesure que les autres services publics reculent sur leur territoire.
Seb, venu de Bordeaux, en a une conscience aiguë. « Plus ça va et plus on couvre les carences de tout le monde, de tous les services publics. On est envoyés constamment en intervention par le Samu, raconte-t-il. Dans ces conditions, ça devient compliqué d’assurer nos missions premières dans ces conditions. Nos interventions augmentent mais pas nos effectifs. On n’est plus capables aujourd’hui d’assurer un service de qualité. »
« Les pompiers sont excédés, nous vivons des sursollicitations constantes, les forces de police ne peuvent plus assurer certaines missions, et nous nous retrouvons à gérer des violences que nous ne devrions pas assumer. Le malaise est profond, très profond », diagnostique André Goretti. Sur ce point, pas de réponse précise de la part de l’exécutif, si ce n’est la promesse d’agir en faveur d’une « réduction de la pression opérationnelle ».
Or ce malaise peut devenir insupportable, comme le démontrent les suicides qui surviennent régulièrement dans les SDIS. Le 17 janvier, un lieutenant-colonel s’est pendu, en uniforme, dans les locaux de l’école départementale des pompiers de Fleury-Mérogis (Essonne) [6].
Les pompiers, partout sur le territoire, se plaignent également des agressions, en hausse lors de leurs interventions. « Sur les agressions, on ne nous propose pas grand-chose d’intéressant : seulement un nouvel observatoire, parce que l’actuel est incapable de différencier un simple crachat d’un coup de couteau, détaillait Sébastien Delavoux, de la CGT. Mais pourquoi ce nouvel outil serait plus performant ? »
Plus globalement, le syndicaliste dénonçait l’inertie du gouvernement, qui ne s’est guère montré pressé de répondre aux revendications : « Cela fait six mois que nous échangeons des courriers avec le ministre, sur un rythme très lent, et nous avons annoncé notre manifestation depuis plus d’un mois. Mais juste avant le début de la manifestation, on n’avait toujours rien à annoncer de concret aux agents. »
La décision de stopper le mouvement intervient après un épisode de lourds affrontements avec les forces de l’ordre, à la fin de la manifestation parisienne, autour de la place de la Nation. Dès l’arrivée sur la place, des centaines de pompiers, puis des milliers, se sont engouffrés dans l’avenue du Trône jusqu’à arriver, quelques centaines de mètres plus tard, devant un assemblage de barrières anti-émeutes, barrant le cours de Vincennes. Ces dernières ont rendu palpable, réel, le mur qu’ont trop longtemps représenté les non-réponses du gouvernement.
Des groupes de pompiers se sont attelés à tenter de franchir les barrières. Sans succès, mais sans jamais renoncer. Deux canons à eau, des dizaines de grenades de désencerclement et plus encore de grenades lacrymogènes, n’auront pas eu raison de la détermination des soldats du feu. Ces affrontements, qui ont fait plusieurs blessés, ont duré deux bonnes heures.
Au son des pétards qui ont rythmé la manifestation a succédé celui des grenades. Des pompiers ont été évacués par leurs collègues. Des jeunes, apparemment venus pour en découdre avec les forces de l’ordre, ont promptement été renvoyés vers l’arrière.
Pendant que les sirènes hurlaient et que les canons à eau faisaient leur office, d’autres pompiers discutaient posément avec des gendarmes se plaignant, à demi-mot, d’être au travail et de devoir remettre ça le lendemain, jour de manifestation contre les retraites. Tels sont les ordres, dans une France où manifester est désormais l’assurance de côtoyer des forces de l’ordre à cran.
Christophe Gueugneau, Dan Israel
• MEDIAPART. 28 JANVIER 2020 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/280120/malgre-la-pression-policiere-les-pompiers-obtiennent-satisfaction
Derrière la manifestation des pompiers, un malaise persistant
Les images impressionnantes des affrontements entre pompiers et policiers, lors de la dispersion du cortège parisien du 15 octobre, ont brusquement mis en lumière un mouvement social qui a démarré fin juin. Salaires, retraites, mais aussi manque de reconnaissance et perte de repères : les raisons de la colère sont nombreuses.
Pompiers contre policiers, pompiers face aux canons à eau, pompiers sous les lacrymos. Les images de la manifestation parisienne du mardi 15 octobre, et de sa dispersion sans ménagement, ont brutalement mis en lumière un mouvement social qui dure depuis des mois, mais se déroulait à bas bruit jusque-là. Groupe de pompiers à genoux [7] reproduisant la position imposée aux lycéens de Mantes-la-Jolie en décembre [8], manifestant frappé par des policiers [9], un autre visé par une gazeuse à main en plein visage sur cette image symbole du photographe Yann Levy [10], témoignage d’un jeune homme se disant touché par une grenade policière [11]… Dès mardi soir, d’impressionnantes photos et vidéos circulaient sur les réseaux sociaux.
Levy Yann
@Yann_Levy
Place de la Nation à Paris, 17 h 07, les pompiers forcent la ligne de garde mobile pour rejoindre le périphérique. Les gardes mobiles répliquent à coups de gaz lacrymogène. (Originale de la capture d’écran de mon app photo https://twitter.com/Yann_Levy/status/1184142497406164993 …) #pompiers #PompiersEnColere)
Voir l’image sur Twitter
Levy Yann
@Yann_Levy
Tensions extrêmes à Nation. #pompiers
© yann_levy
Entre 7 000 et 10 000 sapeurs-pompiers professionnels ont défilé, selon l’intersyndicale réunissant les neuf syndicats du secteur. La manifestation s’est déroulée plutôt calmement jusqu’à son arrivée place de la Nation, où les face-à-face tendus se sont multipliés à l’occasion de sa dispersion. Vers 18 heures, les policiers ont tiré de nombreuses grenades lacrymogènes pour disperser les manifestants, et les gaz sont entrés par les bouches d’aération jusqu’aux couloirs du métro situés juste en dessous.
Des pompiers ont forcé le cordon policier pour aller jusqu’au périphérique et tenter de perturber la circulation, alors qu’un rassemblement sauvage devant les marches de l’Assemblée nationale [12] était dispersé lui aussi en fin de journée, après qu’une délégation a été reçue par un groupe de députés insoumis et communistes.
La préfecture de police a dénoncé « l’irresponsabilité de certains manifestants » qui ont maintenu des actions « en dépit des ordres de dispersion ». Ces affrontements ont néanmoins propulsé à la une un mouvement de grève qui a démarré le 26 juin dans toute la France, mais qui n’avait eu que peu d’écho jusque-là, les pompiers étant astreints à un service minimum. Comme à l’hôpital, la grève s’était jusqu’à présent surtout manifestée par des banderoles accrochées aux façades des casernes, des inscriptions sur les camions, et des brassards ou des inscriptions sur les uniformes.
« Mardi, tout a été organisé pour salir l’image même de ce que nous représentons, mais les images se sont retournées contre le gouvernement, estime André Goretti, président de la FA/SPP-PATS, le premier syndicat des pompiers. Il est proprement scandaleux et irresponsable d’opposer pompiers et forces de sécurité, qui sont appelés à travailler ensemble tous les jours. » Même colère du côté du représentant de FO, Nicolas Corneloup. « Tout a été fait pour que ça dégénère, la place de la Nation était cernée par les forces de l’ordre, et les bus que les gars devaient rejoindre pour rentrer étaient derrière le cordon policier », raconte-t-il.
« Notre sentiment est très mitigé, témoigne Frédéric Perrin, de la CFTC. D’un point de vue strictement syndical, la mobilisation est réussie : on espérait 5 000 à 6 000 personnes dans les rues de Paris, et rien que selon nos décomptes des bus et des trains montés à Paris, on dépasse les 7 000 personnes, sans compter les gens venus d’Île-de-France. » En revanche, souligne le représentant, comme tous ses collègues, « la déception est très forte quant à la réaction du gouvernement, c’est le même mépris auquel nous faisons face depuis plus de six mois ».
Une délégation de pompiers a en effet bien été reçue au ministère de l’intérieur, mais en l’absence remarquée du ministre Christophe Castaner, parti dans l’Aude [13] commémorer les inondations mortelles d’il y a un an, comme du secrétaire d’État Laurent Nuñez, resté à l’Assemblée pour les questions au gouvernement. Des chaises vides vécues comme autant de camouflets par des syndicalistes pompiers, qui avaient annoncé la date de la manifestation il y a près d’un mois.
« Nos revendications sont sur la table depuis le 14 mars, où nous les avions déjà présentées à Christophe Castaner, rappelle Sébastien Delavoux, de la CGT. À cette occasion, il avait semblé découvrir nos demandes, alors que nous étions déjà réunis en intersyndicale en 2017 sur des points similaires. Et cela fait des années que toutes les organisations syndicales font remonter les problèmes aux départements, ou à l’Assemblée, où nous sommes régulièrement auditionnés. » Ce mercredi encore, les syndicalistes étaient auditionnés par le député de l’Aveyron Arnaud Viala dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances 2020.
Au cœur de la colère des quelque 40 000 pompiers professionnels français (appuyés par environ 200 000 pompiers volontaires) : le manque d’effectifs face à l’explosion des demandes de secours ou d’assistance, qui se multiplient à mesure que les autres services publics reculent sur leur territoire ; des salaires trop faibles ; une crainte sur la réforme de leur système de retraites ; et enfin un manque global de reconnaissance, illustré par des agressions en hausse lors de leurs interventions.
Le 29 septembre déjà, la profession avait été déçue par l’absence de réponse de Christophe Castaner « à des attentes vieilles de plus de quinze ans » lors de son discours clôturant le 126e congrès national des sapeurs-pompiers, à Vannes (Morbihan). Il avait simplement appelé de ses vœux la mise en place d’un numéro de téléphone d’urgence unique, le 112, qui permettrait de mieux coordonner les différents services d’intervention. Une annonce, reprise mardi par Laurent Nuñez à l’Assemblée, balayée d’un haussement d’épaule par André Goretti, de la FA/SPP-PATS : « Ce numéro, on nous le promettait déjà quand Nicolas Sarkozy était ministre de l’intérieur », entre 2005 et 2007.
Le symptôme d’un délitement du modèle social français
Ce mardi au ministère, pas plus de solutions en vue. « Il n’y a pas eu les annonces attendues, mêmes les mesures techniques à coût nul. L’urgence de la situation n’a pas été saisie par nos interlocuteurs », a regretté l’intersyndicale dans un communiqué. « Profondément déçue », elle appelle à poursuivre les agents à maintenir la grève jusqu’à la fin de l’année, alors qu’elle devait initialement s’arrêter le 31 octobre.
Tout juste les syndicats ont-ils obtenu l’organisation d’une réunion le 6 novembre avec le haut-commissaire à la réforme des retraites Jean-Paul Delevoye, et, le 14 novembre, un rendez-vous conjoint avec le ministère de l’intérieur et les représentants des départements et des communes, qui sont les financeurs du système français, organisé autour des Sdis, les services départementaux d’incendie et de secours, dépendant des conseils départementaux.
« Pas naïf, mais optimiste », Nicolas Corneloup de FO espère que cette réunion du 14 novembre permettra de faire ouvrir les porte-monnaie des collectivités : « Si on réunit toutes les parties autour d’une table, on obtiendra peut-être quelque chose, évalue-t-il. Pour l’instant, les payeurs disent qu’ils aimeraient bien nous aider, mais qu’ils ont besoin de l’argent de l’État pour le faire, et ce dernier explique que ce n’est pas lui qui finance, donc qu’il ne peut rien faire. »
Dans le détail, les attentes des pompiers sont à prendre en compte. Ils demandent d’abord une augmentation de la « prime de feu », équivalente à la prime de risque des policiers. Mais là où ces derniers bénéficient d’une prime de 28 % calculée sur le salaire de base, celle des pompiers est restée calée à 19 %, depuis… 1990. D’autre part, leur régime de retraite, qui les autorise à partir à 57 ans au lieu de 62 ans en échange d’une surcotisation de 1,8 %, risque de disparaître dans la réforme globale du « système universel ».
Les pompiers dénoncent aussi des effectifs qui stagnent depuis dix ans, alors que le nombre de leurs interventions ne cesse d’augmenter : 4,6 millions de sorties en 2017, soit près de 400 000 de plus qu’en 2012. Ces interventions multipliées traduisent le rôle toujours plus important qu’occupent les pompiers quand d’autres services publics, Samu ou police, ne sont plus en mesure d’assurer des missions d’assistance banales. Les pompiers sont désormais sollicités pour gérer la misère sociale, les rixes, les différends familiaux…
« Par exemple, Police secours ne s’occupe plus des cas d’ivresse sur la voie publique, décrit Frédéric Perrin, de la CFTC. S’ils ne font plus le boulot, ce sont les pompiers qui ramassent ces gens sur la voie publique, puis qui les amènent à l’hôpital. Mais à l’hôpital, il n’y a plus de lits et plus le temps pour gérer ces gens. Alors ils nous restent sur les bras, quand ils ne deviennent pas ingérables et agressifs… »
Le malaise des pompiers ne recouvre donc pas une simple poussée de fièvre corporatiste, mais en dit long sur le délitement du système social français. « Avec les dysfonctionnements des urgences et la désertification médicale, les responsables politiques n’ont pas de solution à apporter, critique André Goretti. Ils espèrent que la population se contentera de services a minima, et que les sapeurs-pompiers resteront le dernier recours. Ils ne veulent pas entendre que le système français de secours est malade. »
Dans ce contexte, et une absence de reconnaissance qu’ils disent unanimement ressentir [14], les professionnels hésitent de plus en plus à prendre les risques que leur métier leur impose. Les menaces pour leur santé qu’ont fait peser successivement les incendies de Notre-Dame il y a six mois [15] et l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen il y a trois semaines [16] sont dans toutes les têtes.
Pour Sébastien Delavoux, les termes du débat sont simples, et politiques : « Les choix de société ne devraient pas se faire dans les conseils d’administration des Sdis, mais devant les citoyens ! » Citoyens qui pourraient commencer à tendre l’oreille devant ce mouvement de colère sans doute pas près de s’éteindre.
Dan Israel
• MEDIAPART. 16 OCTOBRE 2019 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/161019/derriere-la-manifestation-des-pompiers-un-malaise-persistant?onglet=full