Dîner avec des experts du climat ce mercredi 12 février au soir, passage sur la Mer de glace, « témoin de l’ampleur du dérèglement climatique » précise l’Élysée : Emmanuel Macron débute une visite présidentielle de deux jours à Chamonix (Haute-Savoie) sur le thème de la biodiversité et de la transition écologique. Autre temps fort, jeudi matin, il prononcera un discours afin de lancer l’Office français de la biodiversité (OFB) [1], nouvel organisme né de la fusion de l’Agence française pour la biodiversité et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). À cette occasion, le nouvel office a organisé un séminaire réunissant ses cadres dans la station alpine. Un événement fortement critiqué par les syndicats de personnels de l’OFB. Reporterre a interrogé Sylvain Michel, secrétaire adjoint du syndicat CGT environnement.
Reporterre — Pourquoi protestez-vous contre ce séminaire ?
Sylvain Michel — Il a été décidé à la hâte, sans préciser d’objectif ou d’ordre du jour. On réunit 360 cadres mais sans leur préciser dans quel but. Il semble que la venue d’Emmanuel Macron à Chamonix soit la principale raison puisque l’invitation a été lancée il y a à peine deux semaines. Et on a appris quelques jours plus tard dans les médias que M. Macron allait venir.
En quoi ce séminaire est-il selon-vous une gabegie ?
Déjà, le choix de l’endroit peut surprendre. Chamonix est une bourgade assez huppée. On est en plein milieu des vacances scolaires donc les prix de location de salle et d’hébergement flambent à cette période. C’est un peu le dernier endroit où il fallait organiser un séminaire de l’OFB. L’évènement va coûter, d’après notre estimation, 400.000 euros. Sans compter les coûts indirects et le temps de présence des agents sur place. Cela au moment où l’on découvre que le budget de l’Office sera bien inférieur à ce que l’on nous annonçait l’an dernier.
Le budget de l’OFB, une fusion de deux organismes, a donc diminué ?
On réalise avec surprise que le budget va être bien inférieur à tout ce qui avait été annoncé car il est amputé. Environ 41 millions d’euros vont être versés aux chasseurs, via la redevance cynégétique et 30 millions sont engloutis par le plan Écophyto [Le plan national Écophyto a été lancé en 2008 avec pour objectif une réduction de l’usage des pesticides de 50 % en dix ans.] qui, au passage, n’a jamais montré son efficacité [2]. Si on ajoute d’autres petits prélèvements, le budget de l’OFB se révèle inférieur à la somme des budgets de l’ONCFS et de l’AFB. On découvre que le budget disponible en début d’année pour certaines directions est déjà réduit d’un quart ou d’un tiers, et qu’il va falloir abandonner certaines actions et projets, revoir certaines missions à la baisse.
Quelles seront les conséquences de cette baisse budgétaire pour la biodiversité ?
Nos missions sont très variées car l’OFB doit s’occuper de biodiversité terrestre, d’eau douce, et des milieux marins. Il est donc difficile de dire quelles sont les missions qui vont le plus pâtir, car nous avons peu de visibilité sur les priorités de la direction pour cette première année d’existence. On a eu une alerte pour la direction de la Surveillance et l’évaluation de données. Donc, tout ce qui est acquisition de données, recensement ou suivi de la biodiversité, surveillance de l’état des milieux et des espèces, organisation et diffusion de ces bases de données, va devoir être revu à la baisse ou fonctionner de manière minimaliste. C’est assez paradoxal d’ailleurs parce que d’un côté, notre directeur, Pierre Dubreuil, assure que les missions de connaissance et de recherche sont très importantes pour lui, et en même temps on découvre que le budget est sérieusement raboté dès la première année.
Plongeur effectuant un suivi scientifique sur le site Natura 2000 de la baie de Morlaix.
On a aussi une crainte quant aux activités de nos collègues dans les services départementaux. Beaucoup de nouveaux chefs de service semblent vouloir mettre l’accent sur la police de la chasse, et plus on passe de temps à chercher des contrevenants, moins on s’intéresse à l’état réel des milieux et des espèces.
Vous dénoncez aussi une mauvaise gestion et une dégradation des conditions de travail des personnels chargés de la protection de l’environnement.
L’année de « préfiguration » de l’OFB, en 2019, s’est déroulée dans la douleur. Les représentants du personnel n’ont jamais été écoutés. Le directeur Pierre Dubreuil a toujours eu une façon très autoritaire de mener les choses. On se trouve avec plein de fonctionnements transitoires qui créent beaucoup d’inégalités entre collègues. Selon nous, il n’est pas un bon gestionnaire et il ne connaît pas la biodiversité. Quand on regarde son cursus, certes, il a passé plusieurs années au Muséum d’histoire naturelle. Mais ce n’est pas du tout un naturaliste. C’est un réformateur qui a été nommé à ses différents postes pour faire l’équivalent de plans sociaux dans les établissements publics.
De plus en plus de collègues sont en détresse, ne se reconnaissent plus dans l’établissement, sont en perte complète de repères, on leur demande explicitement d’abandonner des missions. On a tâché d’alerter notre direction là-dessus, mais il n’y a pas eu de réaction visible. C’est aussi cela que l’on dénonce : le fait que ce séminaire soit organisé au plus mauvais moment, quand les agents se sentent mal et ne se retrouvent plus dans ce nouvel établissement. Ils n’ont pas besoin d’un séminaire d’apparat qui ne concerne que certains cadres. À cela s’ajoute la surcharge de travail et la précarité de nombreux postes qui sont assurés par des personnes en CDD, en apprentissage, etc.
Dans ce contexte, Emmanuel Macron vient discourir jeudi 13 février lors du séminaire de lancement de l’OFB. Qu’est-ce que cela signifie de la politique du gouvernement en matière de protection de la biodiversité ?
La défense de la biodiversité, on en parle, en particulier avant une élection quand il s’agit de monter dans les sondages. Il y a là un procédé évident d’utilisation de la création de cet établissement pour faire croire que le gouvernement se soucie de la biodiversité.
Mais le gouvernement n’a pas de réelle volonté politique d’avancer dans la préservation de la biodiversité, de dégager des moyens nouveaux. On a l’impression de servir d’argument pour l’autopromo du gouvernement alors que pendant ce temps là nos missions sont loin d’être prioritaires et que nos moyens s’érodent presque au même rythme que la biodiversité. Ce que l’on vit de l’intérieur c’est plutôt un sentiment d’abandon et de relégation de nos missions au second plan. Clairement, la priorité au ministère de l’environnement c’est l’austérité, réduire les effectifs, baisser les budgets. Il faut savoir qu’il était prévu initialement que l’on perde 60 postes pour la première année. On a obtenu un sursis, mais dès 2021 il est prévu que l’on supprime des postes à l’OFB. Comme dans l’ensemble des établissements du ministère.
Propos recueillis par Marie Astier