DES MILLIONS DE MORTS ? La grippe aviaire est une maladie animale,
due au H5N1, virus très pathogène qui s’attaque presque exclusivement
aux oiseaux. L’épizootie de la grippe aviaire a déjà causé l’abattage
de centaines de millions de volailles et le décès de cent à deux
cents personnes dans le monde. Les autorités sanitaires
internationales disent craindre que la combinaison de ce virus avec
celui de la grippe humaine n’entraîne une épidémie qui pourrait
causer la mort de millions d’êtres humains. Pour parer la menace,
elles préconisent des mesures drastiques d’abattage et de confinement
des volailles, associées à de gigantesques campagnes de vaccinations
préventives.
Qu’en est-il du risque réel et de sa supposée prévention
?
L’industrie de la viande malade
Les virus de la famille Influenza aviaire circulent chez les animaux
sauvages sans provoquer aucun symptôme. La mutation qui rend le virus
virulent survient là où existe une forte concentration de volailles
sensibles, c’est-à dire dans les élevages industriels, et non dans
les petites exploitations.
Les grandes épizooties de peste aviaire sont apparues à la fin des
années 1950. Elles correspondent au développement des élevages
industriels. Elles redoublent depuis les années 1990 dans le Sud-Est
asiatique où le cheptel de volailles a triplé en dix ans. Cette
production asiatique a été réalisée à partir de deux races très
productives importées d’Occident. Les animaux y sont caractérisés par
leur profil génétique peu variable (résultat d’une forte
consanguinité), leur dépendance aux produits chimiques et leur faible
résistance aux maladies naturelles.
Ce n’est pas le virus qui est épidémique mais les conditions
d’élevage qui créent, chez les volailles, un terrain propice à
l’expression du pouvoir pathogène de certains virus. Quant aux
oiseaux sauvages, ils sont les victimes de la peste aviaire, et non
ses vecteurs. Ce ne sont pas eux qui contaminent les élevages
industriels, mais l’inverse.
Les recherches menées par les scientifiques pour retrouver le chemin
suivi par les virus pathogènes ne les ont pas menés sur la trace des
oiseaux migrateurs mais sur celle des grandes firmes de la filière
aviaire, par exemple la compagnie thaïe Charoen Pokphand, première
productrice de volailles et d’aliments pour volailles d’Asie, dont
les implantations correspondent aux zones des élevages contaminés :
Thaïlande, Vietnam, Cambodge, Chine, Indonésie,Turquie...
Au beau milieu des pays du Sud-Est asiatique touchés par la grippe
aviaire, un seul, le Laos, reste épargné. Pourquoi ? Le Laos est un
pays de petites fermes familiales. Il n’a connu que quarante-cinq cas
d’infection en 2005 ; quarante-deux provenaient d’élevages intensifs
industriels. Les trois poulaillers contaminés se trouvaient à
proximité de grosses exploitations.
Psychose rurale
Le H5N1 n’est pas adapté à l’homme et il ne peut le transmettre.
Seules peuvent contracter le virus des personnes fragiles et rendues
sensibles à la maladie, vivant dans une grande promiscuité avec des
volailles malades. Sur les deux milliards d’hommes exposés au virus
dans le monde, cent à deux cents sont morts de la grippe aviaire en
quatre ans, alors que la grippe humaine tue deux mille personnes
certaines années en France. La transmission d’homme à homme
supposerait une mutation du H5N1. Or ce virus extrêmement répandu
circule depuis 1959 sans avoir muté et personne ne peut savoir si une
hypothétique mutation aggraverait son pouvoir pathogène, ou si elle
le diminuerait, et encore moins si elle déboucherait sur une épidémie
humaine.
Malgré cela, le gouvernement français a mis en place début 2006 un
dispositif de prévention digne de Groland revisité par Hitchcock :
appel aux maires et à la gendarmerie pour effectuer le recensement et
surveiller le confinement des volatiles, circulaires des autorités
sanitaires recommandant de stocker les poisons et les gaz destinés
aux oiseaux sauvages et domestiques, les masques de protection, les
cercueils, les places dans les cimetières, appels à la délation dans
les campagnes pour signaler tous les particuliers et les paysans dont
les poules picoreraient en liberté...
Ainsi, par un habile tour de passe-passe, le confinement des
volailles, responsable du caractère pathogène du virus, devient-il
subitement la panacée pour se protéger dudit virus. Le problème
devenant la solution et la solution le problème ; voilà qui ressemble
fort à une manipulation bien orchestrée. Or, en système capitaliste,
qui dit manipulation dit forcément profit sonnant et trébuchant.
Le salaire de la peur
Officiellement, cette application grand-guignolesque du fameux «
principe de précaution » vise à protéger les exportations françaises
de volailles, lesquelles, soit dit en passant, inondent les marchés
africains de bas morceaux vendus à prix subventionnés qui ruinent les
producteurs locaux.
En réalité, le lobby de l’agriculture industrielle ne veut pas
laisser passer une pareille occasion de se débarrasser des éleveurs
indépendants qui l’empêchent d’accéder au contrôle total de la filière.
La présomption se confirme lorsque l’on examine de près les
dispositions applicables en cas de foyer avéré. Celles-ci prévoient
l’interdiction de la commercialisation des volailles à trois
kilomètres à la ronde, sauf si elles sont « thermisées » à 70°C, ce
qui ne peut concerner que les exploitations industrielles.
De plus, les barèmes d’indemnisation varient selon les labels, mais
ne sont accessibles qu’aux aviculteurs disposant d’un bâtiment clos
d’au moins deux cents mètres carrés !
Autrement dit, l’agro-industrie profite du désastre dont elle est
responsable pour faire disparaître les petits producteurs, en
aggravant au passage le risque de nouvelles épizooties, puisque ce
n’est que du cheptel diversifié de ces élevages que peut venir le
processus de sélection naturelle de souches résistantes de volailles.
Cette politique aberrante a été appliquée partout dans le monde sur
les recommandations de l’OMS et la FAO, toutes deux dominées par les
Américains. Son application dans les pays du Sud a pris la forme d’un
zoocauste d’une brutalité répugnante. Si elle ne rencontre aucune
opposition, elle plongera dans la famine les centaines de millions de
familles pauvres pour lesquelles l’appoint d’une bassecour constitue
un facteur de survie.
Un pactole pour l’industrie pharmaceutique
Tout problème sanitaire provoque aussitôt la montée au créneau d’un
des lobbies les plus puissants du monde, celui de l’industrie
pharmaceutique.
Celle-ci, par ailleurs intéressée au plus haut point à la prospérité
de la filière agroalimentaire, qu’elle fournit abondamment en
médicaments de toutes sortes, multiplie les pressions pour qu’un
programme mondial de vaccination obligatoire soit entrepris : des
centaines de millions de volailles, un vrai pactole !
Malgré le peu de fiabilité des produits existants et l’existence
prouvée d’épidémies de peste aviaire d’origine vaccinale en Chine et
en Italie, le lobby pharmaceutique a fini par obtenir de l’OMS le
stockage préventif de millions de doses d’antiviraux. Dès la nouvelle
connue, les actions des laboratoires se sont envolées. Décidément,
voilà encore une catastrophe qui ne fera pas que des perdants.
Ne manque plus au tableau que le poulet génétiquement modifié pour
résister à la grippe aviaire. Rassurez-vous : une équipe britannique
l’annonce pour bientôt. À terme, les multinationales de
l’agroalimentaire voudraient breveter quelques souches dans chaque
espèce et éradiquer les autres afin de contrôler absolument et
irréversiblement la totalité du marché.
Ne soyons pas les dindons de cette farce
La restructuration permanente de l’économie vers une concentration
toujours accrue pour générer de plus en plus de profits est inscrite
dans la nature même du capitalisme. Elle passe par la standardisation
des productions et l’élimination ou l’assujettissement de toutes les
entreprises moyennes, petites et individuelles.
Sur le gigantesque marché stratégique de l’alimentation, tous les
moyens sont bons : la guerre sur les prix à coup de subventions, la
cascade de normes pseudo-sanitaires avec leur cortège de contrôles,
la marchandisation des gènes, et la désinformation à grande échelle.
La santé publique voudrait que l’on favorise la biodiversité dans les
petits élevages naturels où vivent des animaux en bonne santé. La loi
du profit exige de faire l’inverse. Pendant qu’il est encore temps,
il existe un moyen simple pour les consommateurs de ne pas être, une
fois de plus, les dindons de la farce : boycotter toutes les
productions alimentaires industrielles. C’est facile en zone rurale,
et en zone urbaine se multiplient les AMAP’s qui permettent d’acheter
directement à des petits producteurs bios.
Au bout du compte, le plus effrayant dans tout cela, c’est la
facilité avec laquelle s’organise la désinformation généralisée qui
entraîne les gouvernements, les instances internationales, les
médias, les systèmes sanitaires et de santé publique, les élus, les
forces « de l’ordre » et les populations dans une politique mortifère
et contraire au bon sens élémentaire.
Le risque totalitaire, lui, est décidément bien réel.
Sources :
Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments.
Confédération Paysanne de Haute-Provence : communiqué du 15 avril 2006.
Site du Grain.
Cahier du Gène, avril 2006.
Ligue de Protection des Oiseaux, l’Oiseau magazine, n° 81.
Site interministériel de préparation à un risque de pandémie grippale.
Site de l’Organisation mondiale de la santé animale.
Jean Alain, vétérinaire, « Influenza aviaire : la grippe du poulet et
le virus H5N1 », supplment technique n° 97 de la Dépêche vétérinaire
du 24 décembre 2005.
Paul Polis, vétérinaire, Que la peste soit avec vous et avec votre
porte monnaie !, mars 2006.
Bernard Vallat, directeur général de l’Office international des
épizooties.