Le 28 février 1947, l’armée chinoise réprimait violemment une marche de protestation contre l’arrestation d’une vendeuse de cigarettes. L’événement est resté dans l’histoire de Taïwan comme « l’incident 2-2-8 » - Februray 28, selon la date à l’américaine, er-er-ba en chinois. La répression a fait quelque 28 000 victimes, pour la plupart des Taïwanais d’origine, tués par les troupes nationalistes envoyées du continent par Tchang Kaï-chek. Le maréchal, qui régnait encore sur la Chine continentale avant de se réfugier à Taïwan, chassé par Mao Zedong, en profita pour détruire l’élite de l’île, intellectuelle et communiste. Le 28 février 1947 marque le début de la « terreur blanche », l’application de la loi martiale qui ne sera levée qu’à la fin des années 1980.
Depuis l’instauration de la démocratie et l’arrivée au pouvoir du président du DPP, le Parti démocratique progressiste, « er-er-ba » est un peu une fête nationale alternative, par opposition au 11 octobre, fête de la République de Chine (nationaliste). Une date souvenir pour les Taïwanais originaires de l’île, qui représentent aujourd’hui la grande majorité de la population, par rapport aux Chinois du continent repliés ici après la défaite des armées nationalistes.
Le 60e anniversaire est l’occasion pour le président Chen Shui-bian de pousser un peu plus loin la « détchankaïchekisation » de Taïwan. Il y a quelques mois, l’aéroport international de Taïpeh, qui portait le nom de l’ancien dictateur, a été débaptisé. Tchang Kaï-chek, qui a toujours son mausolée au centre de la capitale, est tenu maintenant pour responsable du massacre de 1947. Dans un premier temps, des sous-fifres avaient été mis en cause.
Mais Chen Shui-bian doit avancer prudemment. Le travail de mémoire engagé par les historiens est encore embryonnaire alors que les hommes politiques ont tendance à utiliser l’histoire à des fins électoralistes. L’examen critique du rôle de Tchang Kaï-chek est en effet une attaque contre le Kouomintang, le Parti nationaliste, au pouvoir pendant quarante-cinq ans et dont les chances de revenir au pouvoir lors des élections de 2008 ne sont pas minces.
Or le Kouomintang reste porteur du mythe de l’appartenance de Taïwan à la Chine, entretenu aussi par Pékin. Les dirigeants communistes préfèrent les héritiers de Tchang Kaï-chek, quand ils prétendent encore, malgré une évolution récente, représenter le gouvernement légitime de toute la Chine, aux indépendantistes taïwanais, qui mettent à mal le principe de l’existence d’« une seule Chine ».
Ainsi les démocrates taïwanais n’osent pas toucher à la Constitution de 1926, taillée pour toute la République de Chine et totalement inadaptée à une île de 23 millions d’habitants. Sous la pression des Etats-Unis, ils reculent devant tout ce qui pourrait apparaître comme un pas vers l’indépendance, donc comme une provocation envers Pékin. Il y a deux ans, à l’occasion, déjà, de l’anniversaire de « er-er-ba », le président avait annoncé l’abolition du Conseil pour l’intégration nationale, autrement dit pour la réunification avec la Chine. Washington l’a dissuadé de passer à l’acte. Le Conseil n’a pas été supprimé. Il a simplement cessé ses activités. En revanche le service du courrier qui s’appelait encore « poste chinoise » est devenu, au début du mois, « poste de Taïwan ». Petit symbole qui ne devrait toutefois pas pousser Pékin à déclencher la loi anti-sécession de mars 2005, qui prévoit des « moyens non pacifiques » pour régler le problème.
2008 sera une année cruciale pour Taïwan. Les élections pourraient y relancer les surenchères tandis que, à Pékin, les dirigeants communistes se sentiront les mains libres, une fois passés les JO.