La majorité des commentaires relatifs à la dernière élection présidentielle au Cameroun soulignent et saluent l’effervescence qu’elle a suscitée. Ce moment est apparu comme un tournant historique, laissant entrevoir la possibilité d’une alternance à la tête de l’Etat. Une analyse attentive des dynamiques déployées, montre pourtant, que l’ordre politique en vigueur n’a pas été fondamentalement modifié. Il reste structurellement autoritaire, mâlecentré, oligarchique et clientéliste. C’est ce dont témoigne l’expérience du personnel politique féminin camerounais très minoritaire, et, plus généralement, l’invisibilisation structurelle des femmes dans l’espace politique. Celle-ci a été particulièrement marquée lors de la présidentielle. Absentes des candidatures officielles, les Camerounaises le sont également de l’espace médiatique. Celles qui ont pu prendre part au système politique en transcendant la chape de plomb que leur imposent les contraintes sociales et économiques nourries par des représentations de genre, restent minoritaires et marginalisées au sein de cet espace. Interrogées entre 2011 et 2012 sur les dynamiques de l’espace public camerounais, et la manière dont elles s’y déploient, des figures politiques féminines (issues de la société civile, et des formations politiques de l’opposition comme du parti au pouvoir) ont livré des témoignages qui dressent un constat accablant. Toutes y dénoncent la persistance de contraintes sociales, économiques et politiques structurelles, qui entravent, non seulement, leur capacité d’agir politique, mais également, celle de l’immense majorité de la population. De plus, le régime ne fait pas l’économie du recours à la violence physique, face à ses adversaires potentiels ou avérés, comme le soulignent celles qui militent dans l’opposition. Ainsi, la position de ces femmes au sein de l’échiquier politique, tout comme leurs témoignages et les évènements politiques récents éclairent les dynamiques qui expliquent la pérennité du régime en place. Trois processus concomitant sont à l’œuvre. Il y a une tendance à la personnification et à la confiscation du pouvoir par une oligarchie, qui entretient, autant qu’elle se nourri, de la précarité sociale et économique d’une part, et recourt à des mécanismes autoritaires pour assurer le maintien de l’ordre dominant.
Le principe de l’expression de la citoyenneté camerounaise est l’universalité. Pourtant, dans les faits, lorsqu’elle se déploie au travers des institutions, elle est marquée par une exclusion sociale et de genre importante. Dans ce cadre, elle n’est pleinement endossée que par une oligarchie, dont les membres incarnent l’éthos du pouvoir politique au Cameroun, matérialisé par le tryptique masculinité, séniorité, notabilité. Les institutions politiques importantes (présidence de la république, Premier ministère Assemblée nationale et Sénat) sont dirigées par des hommes qui ont largement dépassé la soixantaine. On retrouve un schéma similaire au sein de l’exécutif de certaines formations politiques, parmi les plus visibles dans l’espace politique. C’est notamment le cas de l’UNDP (allié au RDPC au pouvoir), de l’UDC ou encore du SDF (partis d’opposition) qui ont émergées dans les années 1990, et dont les présidents ont entre 71 et 77 ans. De plus, convaincus d’incarner leur parti, comme la volonté du peuple et/ou le changement souhaitable, ces dirigeants s’accrochent à l’exécutif de leurs formations politiques. La conservation et la personnification du pouvoir sont donc bien souvent les moteurs de l’action politique des acteurs, au-delà des clivages éventuels. Là, réside sans doute une des raisons de l’impossible coalition de l’opposition, qui est une condition nécessaire, bien qu’insuffisante, pour renverser le régime actuel. La présence de candidats moins âgés lors de la présidentielle (4/9 avaient moins de 50 ans), n’a pas fondamentalement changé la dynamique. Chacun a endossé le rôle de l’« homme providentiel ». Et alors que le principe de séniorité semble avoir été ébréché, le consensus tacite d’un espace politique régit par un entre-soi masculin est sauf.
Cette attitude participe du maintien du régime. A cet égard, elle s’accommode, autant qu’elle entretient, un contexte socioéconomique caractérisé par une absence de justice sociale. Les militantes interrogées soulignent en effet, l’impact déplorable sur la représentation et l’agir politique de la majorité des populations, d’un contexte délétère, régit par des inégalités importantes dans l’accès aux ressources et aux droits sociaux, économiques et politiques. La paupérisation amorcée à la fin des années 1980 dans le cadre des politiques d’ajustement structurel, n’a fait que s’accentuer avec la mauvaise gouvernance caractéristique du régime. Enserrées dans des problématiques de survie (besoins alimentaires de base, accès à l’eau, à l’électricité, à la santé, à l’éducation …), les populations en sont réduites à l’urgence d’assouvir des besoins immédiats. Elles orientent plus leurs attentes vers des personnes identifiées comme détentrices de ressources sociales, économiques et politiques, que vers les institutions étatiques, dont la défaillance semble relevée de la norme. Cette dynamique se nourrit du discours officiel du RDPC, parti au pouvoir, qui tend à occulter la responsabilité du régime dans la paupérisation continue des populations. Suivant le discours officiel, les autorités, et encore plus le chef de l’Etat, ne sont pas comptables de la situation désastreuse du pays. Dans une rhétorique largement diffusée dans les médias, mais qui sert également de trame au fonctionnement des instances du parti, la charge de l’amélioration des conditions de vie est reportée sur les populations elles-mêmes. Celles-ci sont alors invitées « à prendre en main leur propre destin » (Petit guide économique et social du RDPC). C’est une logique qui tend à entretenir des dynamiques relevant de ce que Jean-François Bayart a appelé la « politique du ventre ». Les populations réduites à la subalternité, sont alors transformées en une clientèle électorale, qu’on entretient a minima, par la distribution ponctuelle de produits de premières nécessité, durant les périodes électorales notamment. C’est ce dont témoignent les actrices interrogées lorsqu’elles précisent que la mobilisation politique des citoyen·nes suppose de satisfaire au préalable leurs besoins urgents, et de prendre en charge les modalités matérielles et financière de leur action. Cette réalité s’applique à tous les échelons (national, régional, partisan) de la vie politique. Cet ordre social est entretenu par un mode de gouvernance politique autoritaire.
Celui-ci repose sur l’exercice d’une violence politique systémique aussi bien symbolique que physique. Les politiques publiques (lorsqu’elles existent), tout comme la participation des populations aux institutions modernes, sont présentées comme des gratifications que le chef de l’Etat accorde à ses concitoyen·ne·s. Le président est donc érigé en monarque absolu, voire même en une divinité, qui doit être célébré pour chaque action entreprise. C’est une approche qui tend à minorer, absorber, voire même, à nier, les mobilisations sociales et politiques, ainsi leur impact sur l’agenda social et politique officiel. L’objectif est de neutraliser toute perspective critique dans l’espace public, ou, à défaut, d’en contrôler les contours et l’impact, en organisant des scènes cathartiques, comme ce fut le cas pour le contentieux électoral d’octobre 2018, retransmis en direct. Lorsque ces stratégies s’avèrent inefficaces, et que la dissidence (qu’elle s’exprime dans un cadre institutionnel, ou en terme de mouvement social) brave les mécanismes de mise sous silence, le recours à la violence physique vient compléter l’arsenal autoritaire. Les autorités procèdent alors à des arrestations et détentions arbitraires, des personnes au comportement jugé séditieux, qu’il s’agissent de cadres et militant·e·s politiques, des journalistes, des acteurs sociaux, ou encore de citoyen·ne·s ordinaires. Tou.te.s font régulièrement les frais de la répression policière/militaire, et certain·e·s sont même soumis à des actes de torture dans ce cadre. C’est ainsi que les mouvements sociaux menés par des avocats et enseignants dans les régions anglophones en 2016, ont été violemment réprimés. Des journalistes, telles que Mimi Mefo (arrêtée et incarcérée du 7 au 10 novembre 2018), ou encore de Michel Biem Tong (en détention du 23 octobre au 15 décembre 2018), ont été incarcéré·e·s pour des affaires en lien avec l’exercice de leur métier. Dans l’espace politique, des militant·e·s des formations de l’opposition, comme des personnalités politiques de premier plan, sont également victimes de répression policière, lorsqu’elles initient ou participent à des activités contestataires. Ca a notamment été le cas de Michèle Ndoki, avocate et cadre du MRC, parti du principal challenger du président à la dernière présidentielle, ou encore de Kah Walla, présidente du CPP et coordonnatrice de l’initiative Stand Up for Cameroon, qui se présente comme un mouvement social protestataire en lutte contre du régime et sa mauvaise gouvernance. La violence du régime est encore plus féroce lorsqu’elle s’abat sur les mouvements contestataires issus des classes populaires. Cela a notamment été le cas en février 2008, lors des mobilisations des jeunes qui visaient, entre autre, à dénoncer la modification de la constitution.
En somme, le régime politique camerounais est un système qui s’organise autour d’un roi et de ses roitelets, dépositaires de la sainte providence. Par-delà des soubresauts ponctuels, sa pérennité est assurée au sein d’un espace public régit par la tryptique suivante : une gouvernance politique autoritaire, fondée sur une gestion personnelle et essentiellement gérontocrate et masculine du pouvoir, qui se nourrit, autant qu’elle entretient la subordination sociale, économique et politique des populations.
Rose Ndengue
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