Moubarak, d’origine très modeste, a vu son destin changé par son engagement dans l’armée de l’air. D’ailleurs, dans les hommages qui lui ont été rendus dans les médias officiels égyptiens, on ne parle que de son passé militaire : la réorganisation de l’armée de l’air après la défaite de 1967 et, bien sûr, pendant la guerre d’octobre 1973, l’attaque contre la ligne Bar Lev réputée imprenable.
Autoritarisme et néolibéralisme
Rien, en revanche, sur la multiplication des organes de sécurité pour se maintenir au pouvoir : en 2002 on estimait à un million leurs effectifs, soit 25 policiers ou soldats pour 1 000 ÉgyptienEs ! Rien sur l’état d’urgence instauré depuis l’assassinat de Sadate en 1981, sans cesse reconduit sous prétexte de contrer les islamistes armés et qui a permis de museler l’opposition. Rien sur la démocratie sans cesse évoquée mais toujours repoussée avec un Parti national démocratique (le PND) au pouvoir qui a détenu toutes les fonctions importantes et géré une majorité d’entreprises.
Rien sur les milliards de dollars recueillis après la guerre du Golfe, qui n’ont pas ranimé l’économie mais n’ont pas été perdus pour tout le monde…
Moubarak a poursuivi la politique économique néolibérale de Sadate en conformité avec les injonctions du FMI et de la Banque mondiale. En 2004, un nouveau gouvernement sous la houlette d’Ahmed Nazif accélérait les privatisations d’entreprises publiques pilotées par un cabinet d’affaires proche de Gamal, le fils d’Hosni Moubarak, et dont les membres étaient des diplômés ayant fait leurs études en Occident. Conséquence : hausse des prix, chômage accru et pauvreté. Ainsi, lorsque Moubarak annonce, en 2005, sa candidature pour un cinquième mandat, l’opposition dans toutes ses composantes se groupe sous un même mot d’ordre : « Kefaya » (Ça suffit ! ). Les mobilisations se sont alors amplifiées : entre 2004 et 2008, plus de 1,7 million de travailleurs ont participé à près de 2 000 grèves ou autres formes de lutte dont la plus marquante sera celle des filatures de Mahalla el Kobra en 2006.
Moubarak est parti, pas le régime
Les élections législatives truquées de novembre 2010 et la perspective de voir Gamal succéder à son père poussent les ÉgyptienEs dans la rue. À partir du 25 janvier 2011, des millions d’entre elles et eux, sur le modèle tunisien, réclament le départ du raïs. Le 11 février, lâché par les militaires, qui voient là un moyen de se débarrasser de Gamal, Hosni Moubarak démissionne et remet le pouvoir à l’armée. Il est condamné à la prison à vie le 2 juin 2012 pour avoir laissé les forces de sécurité tirer à balles réelles sur ses opposantEs sur la place Tahrir au Caire début 2011, ce qui avait entraîné la mort de 849 personnes et fait des milliers de blessés. Mais sans surprise, preuve que l’« État profond » existe bien, il sera définitivement acquitté puis libéré en mars 2017, sachant qu’il a passé la majeure partie de sa peine dans une chambre luxueuse de l’hôpital militaire de Maadi avec vue sur le Nil.
Sadate, Moubarak et Sissi sont les figures interchangeables de la vieille garde militaire qui n’est pas disposée à lâcher le pouvoir et les privilèges qui vont avec. En 2011, la fortune de Moubarak et de sa famille a été estimée à 700 milliards de dollars, dissimulés dans différents pays. Après de timides tentatives de l’État égyptien pour récupérer une partie de ces avoirs, il n’en a plus été question dès 2013. En 2011, son lâchage par les militaires n’était qu’une concession pour apaiser la contestation massive du peuple et faire en sorte que, de fait, rien ne change pour eux. Pas question que Gamal, un civil, puisse se retrouver à la présidence, sachant qu’il n’y avait aucune garantie qu’il préserverait le monopole de l’armée sur l’économie.
Trois jours avant le décès de Moubarak, ses deux fils, Gamal et ’Alaa, ont été acquittés dans une affaire de vente frauduleuse. Cela sous un régime qui a emprisonné 60 000 opposantEs politiques, torturé à mort et fait disparaître des centaines de personnes. Si Moubarak est mort, son héritage – corruption, népotisme et répression – lui survit, en pire, avec Sissi.
Hoda Ahmed