L’annonce du confinement total (dont le mot n’a pas été prononcé) par Emmanuel Macron lundi 16 au soir, renvoie à plusieurs questions cruciales.
La priorité est évidemment d’enrayer une pandémie qui va avoir des effets graves pour la population. L’objectif d’un confinement, s’il est brutal dans son annonce, se comprend surtout quand les spécialistes de santé l’attestent unanimement. On peut s’étonner de la manière dont il a été mis en place alors que la veille 45 millions d’électeur·trices étaient appelé·es à voter.
Ni l’engagement fort des travailleuses et travailleurs qui sont en première ligne pour faire face, ni l’appel à une responsabilité individuelle nécessaire ne sont suffisants.
Il faut s’interroger sur les responsabilités politiques passées ou actuelles et sur ce qu’il convient de faire maintenant, se questionner quant aux politiques à mettre en œuvre à l’avenir particulièrement pour les services publics et la protection sociale qui sont nos biens communs, essentiels quand il faut faire face à des évènements tragiques.
Chacun-e risque de payer chèrement le prix des politiques de casse de l’hôpital public, dont les services de réanimation sont à saturation alors que le pic des contaminations n’est pas encore atteint.
La suspension du projet de loi sur les retraites ou le report de l’application de la réforme de l’assurance chômage sont une bonne chose, mais qui ne sont pas suffisantes : ces politiques antisociales doivent être purement et simplement abandonnées, la situation sociale actuelle l’exige.
Chacun et chacune est préoccupé·e par sa santé ou celle de ses proches, par les séparations d’avec sa famille, de parents en Ehpad ou éloigné·es.
Il est de la responsabilité des organisations syndicales de pointer dans les discours et les mesures pratiques, ce qui porte atteinte aux droits des travailleur-euses, à ceux et celles mis·es en marge de la société et à nos libertés publiques.
Les salarié-es doivent être dispensé-es des tâches non urgentes ou non indispensables
Nous prenons au sérieux la crise sanitaire et il est bien évident qu’un certain nombre de travailleuses et de travailleurs doivent aller travailler pour assurer les missions indispensables.
Néanmoins, en dehors de l’indispensable, tous·tes les autres travailleuses et travailleurs doivent cesser de travailler et rentrer chez elles et eux. Dans de nombreux endroits, des salarié-es se demandent pourquoi ils et elles sont encore là, soumis aux contacts (bien plus de 5 dans la journée), aux transports en commun sans précautions particulières. C’est un risque pour eux et elles et pour leurs proches.
Le choix des secteurs d’activités qui doivent persister ou fermer n’est pas suffisamment clair. Au-delà de ce qui permet de lutter contre les conséquences du virus et de ce qui permet à la population de subvenir à ses besoins fondamentaux, le gouvernement renvoie cette question en partie à la responsabilité des patrons.
Or certain·es ont clairement fait le choix de la continuation d’activité au détriment de la santé des travailleuses et des travailleurs et des risques de propagation (centres d’appels en open space qui ouvrent, livreurs et manutentionnaires de livraison sans aucune protection, déménageurs, ouvriers sur les chantiers, employé·es du nettoyage...). Dans le privé comme le public, les exemples sont multiples depuis quelques jours de mise en danger (et du coup de leurs proches !).
Le gouvernement met en place des mesures drastiques à l’égard des individus jusqu’à limiter le droit d’assister à des funérailles (!) et met un mouchoir sur ce qui se passe dans le monde du travail !! Ceci n’est pas tolérable et partout le droit de retrait est un outil pour se protéger ainsi que ses proches.
Nous exigeons que le gouvernement définisse avec les organisations syndicales des tâches nécessaires et fasse cesser les travaux dans les entreprises non concernées.
Cela implique le secteur privé, de nombreuses entreprises où l’Etat est présent, voire majoritaire (comme à la SNCF, la Poste ou Air France où des tâches sont maintenues rendant les risques importants pour le personnel voire pour les usager- ères et client-es) et la fonction publique.
L’Etat l’a fait pour les commerces, nous pouvons l’aider à le faire pour l’industrie et les services.
Pour l’Union syndicale Solidaires les choses sont claires : les activités non essentielles doivent cesser immédiatement.
Le maintien de La rémunération doit concerner tout Le monde
Le monde du travail a été atteint par la volonté des gouvernements et du patronat d’affaiblir sans cesse le salariat et de diviser ceux et celles qui travaillent.
Ainsi sous-traitance, intérim, intermittence, contrats à durée déterminée ou vacataires, agent·es public·ques contractuel·les, auto-entreprenariat à la merci des plateformes de service ou des grandes entreprises... aujourd’hui tous et toutes doivent être protégé.e.s pour que la crise sanitaire ne se transforme pas en désastre social.
De même en ce qui concerne les chômeurs et chômeuses qui doivent voir leurs droits prolongés ou accordés pour ne pas se trouver sans ressources.
Il faut donc que des engagements soient pris pour que toutes les personnes qui sont dans l’impossibilité de travailler aient leur rémunération maintenue quel que soit leur statut : l’Etat doit prendre des engagements pour les employeurs privés comme pour ses propres services. Les mesures de chômage partiel doivent pouvoir ainsi s’étendre à tous et toutes. La prise en charge des salaires doit être totale.
Nombre de salarié-es et de chômeurs et chômeuses se verront dans une situation de précarité soudaine, et leurs propres factures ne seront pas suspendues. Contrairement à des débuts de discussion avec la ministre du travail, l’interdiction de licenciements ne sera pas mise en place.
Soutenir l’économie, ce n’est pas aider les banques... et plomber la Sécurité sociale
Le gouvernement demande aux banques de soutenir l’économie (garantie de 300 milliards de l’État aux prêts aux entreprises) et les aide pour qu’elles prêtent aux entreprises.
Dans le même temps, il donne des gages aux entreprises en leur permettant de reporter leurs cotisations sociales, leurs impôts (à l’exception de la TVA et de l’impôt sur le revenu, prélevés à la source) ainsi que leurs échéances de loyer, d’eau ou électricité.
Nous craignons le retour de bâton demain. Les mêmes qui aujourd’hui ouvrent le porte-monnaie public pour les entreprises trouveront que nous devons nous serrer la ceinture pour apurer la dette de l’Etat et celle de la sécurité sociale. Nous voulons donc des engagements dans la durée.
Nous voulons aussi que les largesses annoncées soient ciblées selon les entreprises et conditionnées : pas de dividendes, pas de licenciements !
De même, le gouvernement envisage des mesures de nationalisation. Si cela peut permettre de maintenir l’emploi tant mieux, en revanche nous sommes très réticent·es à toute mesure qui viserait à socialiser les pertes par la nationalisation et à re-privatiser les entreprises dès lors qu’elles iraient mieux et seraient en capacité de faire de nouveaux profits.
Les salarié-es qui travaillent doivent être protégé-es et correctement rémunéré-es
Pour ceux et celles qui sont dans l’obligation de travailler à leur poste habituel, il n’est pas normal que leur personne ne soit pas protégée et leurs conditions de travail non aménagées. Il en est ainsi du besoin de masques, gants, gel hydro-alcoolique à disposition, mais aussi des distances de sécurité entre les personnes.
Dans les services publics, les transports, les commerces, les entrepôts, les chantiers du bâtiment ou du nettoyage, pour le personnel de sécurité, les livreurs, ces dispositions sont loin d’être partout respectées. Et plus la situation dure, plus les risques sont importants.
Il en est de même pour la sécurisation des trajets pour aller au travail. Macron a évoqué des taxis pour les personnels de santé, c’est positif mais loin d’être suffisant car des centaines de milliers de personnes se déplacent encore dans des conditions d’insécurité. La désinfection des transports publics n’est pas effectuée de manière suffisante, laissant aux seul-es passager-ères le soin de se protéger.
Ceux et celles, personnels soignants ou les nombreux autres qui continuent à permettre à toute la société de continuer à vivre sont précieux-euses et doivent être protégé-es et soutenu-es.
Nous savons que les inégalités sont nombreuses, elles touchent des domaines particulièrement importants en ce moment.
L’éducation nationale n’aura pas fait son travail si elle permet la continuité de la scolarisation pour seulement une partie des enfants. Ceux et celles qui sont déjà en difficultés se trouveront demain avec un retard de plus, parce que toutes les maisons ne sont pas équipées d’ordinateurs et/ou d’internet, qu’il n’y en a pas plusieurs par famille, que les parents ne sont pas toujours une aide possible.
La fracture numérique concerne les enfants comme les adultes, la solidarité individuelle, celle du voisinage est essentielle, mais quand il s’agit de joindre des services publics qui sont devenus subitement totalement absents ?
Il faut remettre des numéros de téléphone accessibles avec des personnes au bout et pas seulement des répondeurs ou des interfaces vocales numériques (cela concerne Pôle emploi, les services sociaux et plus généralement les services publics).
Les logements trop petits, indignes, concernent trop de personnes et vont être source de difficultés supplémentaires. Et quid des étudiant·es renvoyé·es des logements universitaires, des sans-domicile, des campements... Les associations du droit au logement doivent être reçues au plus vite par le gouvernement pour qu’en lien avec les mairies, elles puissent organiser la réquisition de logements vides ou utilisés à des fins spéculatives de type airbnb.
L’accès aux droits pour tous et toutes, familles et enfants
Le choix fondamental du partage des richesses se fait criant en cas de crise sanitaire : les SDF, les personnes en situation de grande précarité, sont les premières victimes...
Or rien n’a été mis en place à cette heure pour que les travailleurs-euses sociales aient les moyens de protéger ces personnes, en bénéficiant eux·elles-mêmes des protections nécessaires.
L’Union syndicale Solidaires exige du gouvernement des mesures d’urgences pour la population, du même niveau que pour les entreprises, notamment la suspension des loyers et des factures pour tous ceux et celles qui en ont besoin.
Les femmes sont particulièrement exposées au virus et aux violences domestiques
Parce qu’elles sont majoritaires dans les services de santé, (il y a par exemple 90% de femmes infirmières), qu’elles sont majoritaires dans les métiers précaires du nettoyage, du commerce, garde d’enfants etc... les femmes sont particulièrement exposées au virus.
L’accès à des services publics comme les centres d’IVG doit être particulièrement préservé, avec des moyens pour les personnels de les assurer au moins dans les mêmes délais qu’avant cette crise sanitaire.
Avec les mesures de confinement, les femmes sont particulièrement exposées aux violences conjugales, qui se sont par exemple aggravées en Chine.
Solidaires demande à ce que la dimension genrée soit prise en cours lors de cette crise sanitaire, et que des moyens particuliers et urgents soient mises en œuvre pour la prévention des violences conjugales, en lien avec les associations féministes.
Vigilance sur les droits démocratiques
Le choix d’un vocabulaire martial « nous en sommes en guerre » répétés à l’envie par Macron, l’application de dispositions dérogatoires au processus législatif qui donne un droit au gouvernement de légiférer rapidement par ordonnance, les mesures de fermeture des frontières, tout ceci n’est pas neutre. C’est faire intégrer qu’il est « normal » dans ces circonstances de détenir le pouvoir sans contrôle.
Aujourd’hui les syndicalistes ont les plus grandes difficultés pour remplir leur mission d’aide aux salarié.es qui se retrouvent potentiellement seul.es face à leurs patrons ou leur hiérarchie, ce n’est pas acceptable.
La limitation des libertés publiques a déjà été nettement engagée ces dernières années, avec les mesures d’exceptions de l’état d’urgence qui ont basculé dans le droit ordinaire, et une police et une justice qui ont largement participé à la répression du mouvement social.
Il nous faut rester vigilant et pointer sans cesse ces dérives autoritaires même si elles sont prises sous d’apparentes bonnes intentions. Le danger du virus ne doit pas nous le faire oublier. Le contrôle social exercé en Chine ne peut pas être un modèle, exigeons à chaque décision un contrôle démocratique et de réels contre- pouvoirs
L’Union syndicale Solidaires et ses adhérent.es et militant.es participent à la mobilisation contre le virus.
La santé de l’ensemble de la population, sans restriction, des plus précaires et les droits n’ont pas à être sacrifiés dans une situation d’exception.
Une fois sortie de cette crise, c’est bien l’ensemble du système qui nous y a conduit qu’il faudra changer, qui réponde aux urgences sociales, économiques, démocratiques et écologistes.
Toutes et tous ensemble, il nous faudra imposer un autre avenir.