En 1984, Daniel Defert, compagnon de Michel Foucault, écrivait dans Libération : « Face à une urgence médicale certaine et une crise morale qui est une crise d’identité, je propose un lieu de réflexion, de solidarité et de transformation, voulons-nous le créer ? ». Ce lieu, Daniel l’a créé, c’est Aides. Depuis vingt ans, nous nous battons pour la plus grande autonomie des personnes confrontées au Sida. Rien ne nous aura été épargné dans le combat contre une société française ou internationale rétive aux changements. En France, nous parvenons très péniblement à cantonner l’épidémie, qui con¬tinue de faire des ravages, parmi les gays et les populations précarisées par la migration. Au plan international, nous sommes dans la crainte qu’après l’Afrique, l’explosion épidémique gagne la Chine, l’Inde et la Russie.
Sur ces questions, qui n’épargnent aucun domaine de la vie en société, les candidats à la présidentielle ont choisi de ne rien dire. Généralement silencieux sur la santé, qui est pourtant la deuxième préoccupation des Français, ils sont particulièrement muets sur le Sida. À Aides, nous avons décidé de poser des questions concrètes, celles qui grattent et nécessitent une réponse concrète. Nos propositions ne renvoient à rien de flou, ni à la totalité du champ de la lutte contre le Sida.
La liberté de circulation des personnes séropositives est pour nous un sujet de première importance. De nombreux obstacles étatiques à la circulation des personnes séropositives perdurent alors que la garantie du droit d’aller et venir d’un pays à l’autre serait un des signes de leur acceptation sociale. En France, l’enquête d’Aides, faite il y a un peu plus d’un an maintenant, révèle que, d’une préfecture à l’autre, les personnes séropositives d’origine étrangère ne sont pas considérées avec les mêmes attentions, dans un contexte général de rejet de leur demande d’autorisation de séjour. Il n’y a pas à s’étonner de la baisse du nombre de personnes séropositives d’origine étrangère... C’est le résultat de plus de 26 000 reconduites à la frontière en un an !
L’engagement d’Aides est aussi marqué par son ancrage historique dans le combat pour la reconnaissance des personnes pour ce qu’elles sont, pour ce qu’elles vivent, et pour ce qui les engage. C’est ainsi que la reconnaissance du mariage entre personnes de même sexe et l’adoption plénière par les couples de même sexe figurent dans l’expression de nos attentes. Nous voyons avec effroi combien les partis politiques français restent frileux sur ces sujets alors que la très catholique Espagne a accompli en quinze ans des évolutions inouïes. Elle vient notamment de reconnaître un statut aux transsexuels. Quel retard que celui de notre pays en matière de droits des gays et des lesbiennes !
Pour nous, la situation des femmes doit être mise en exergue dans la campagne présidentielle. Avec un souci d’égalité réelle avec les hommes, les femmes doivent avoir les moyens financiers et les outils de prévention pour se protéger. Tout comme elles ont conquis le droit de disposer librement d’elles-mêmes par l’avortement et la contraception, elles aspirent à conquérir le droit à des relations sexuelles protégées. Il faut que cela soit possible en fait. En mettant à leur disposition des fémidoms1, à un prix comparable à celui du préservatif masculin, et en renforçant la mobilisation financière pour plus de recherche sur les outils de prévention à destination des femmes, comme les microbicides.
Sur la réduction des risques chez les usagers de drogue, nous avons fait des pas substantiels avec sa reconnaissance légale et la création des centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour les usagers de drogue. Mais ces efforts n’ont pas porté sur tous les fronts. La prison reste un endroit de prise de risques face au Sida car aucun programme d’échange de seringues n’a été mis en place et l’accès à la substitution est inégalement offert selon les endroits. Cela doit figurer dans la future loi pénitentiaire qui ne peut pas faire l’impasse sur la santé en prison parce que c’est une question de dignité humaine.
Au plan international, dans l’attente du vaccin, l’espoir réside dans l’accès universel au traitement. Il faut donc mobiliser des fonds pour garantir la gratuité des traitements pour tous. C’est-à-dire qu’il ne doit y avoir aucun retour en arrière sur les acquis du mandat précédent, notamment concernant la taxe sur les billets d’avion pour financer la lutte contre le Sida, la tuberculose et le paludisme. Et il faut amplifier la mobilisation en faveur des pays du Sud, en mettant notamment l’aide publique au développement de la France à la hauteur des engagements qui ont été pris, à savoir 0,7 % du revenu national brut.
Parlons enfin des conditions de vie. Bien sûr, celles du Nord sont incroyablement plus aisées que celles du Sud. Pour autant, la situation des malades dans un pays comme le nôtre est loin d’être convenable en raison des exclusions dont sont victimes les personnes séropositives, écartées du travail ou du logement. De quelle dignité parle-t-on au Nord quand on ne peut disposer d’un toit pour abriter sa santé, ni d’un revenu pour prendre soin de soi ? C’est pourquoi nous insistons pour qu’un revenu de dignité, équivalent au Smic, soit garanti aux personnes séropositives qui ne peuvent travailler. Ces six orientations peuvent et doivent être engagées dans la lutte contre le Sida. Si les candidats veulent que leur mandat de président fasse la différence !
Note
1. Préservatif féminin.