Les postiers de Bédarieux et du Bousquet-d’Orb ont repris le travail après 16 jours de lutte. A la question « Pourquoi êtes-vous partis en grève ? », la réponse d’un facteur part comme une fusée : « Le ras le bol ! » C’est à dire ? « Promesses non tenues, tournée inadaptée donnée à un collègue handicapée, compensation non accordées face au trafic exceptionnel de décembre et janvier, rappel des agents en vacances (remise en cause des congés légaux), grignotage des RTT (Réductions du Temps de Travail), non payement d’heures sup., et tout le reste… ».
Voici comment La Poste précise les « missions » des facteurs dans une proposition de recrutement : « Vous contribuez au développement du chiffre d’affaire de La Poste, en prenant en charge les opérations des clients (vente de timbres, opérations financières, prise de rendez-vous avec les Conseillers de La Poste) ». Et La Poste appelle cela : « évoluer vers un vaste horizon ». Chacun aura bien compris qu’on ne parle plus d’usagers, mais de « clients » qui deviennent, dans l’objectif de l’entreprise La Poste, de la volaille à plumer.
Interview de Geneviève (CGT) et Marc (SUD), facteurs à Bédarieux
Vous avez participé à une longue grève. Qu’est-ce qui vous a déterminé ?
Geneviève : D’abord il y a eu une accumulation de revendications. Nous avions signé des accords avec la direction, mais tous non pas été suivi d’effet.
Marc : Cela durait depuis deux ans. La Poste nous devait des heures supplémentaires qui allaient en s’accumulant. On en était à 1300 h sup. qui étaient dues au 31decembre 2006 ! Les facteurs ici travaillent 40 h par semaines, mais ils ne devraient travailler que 35 heures. Ils acceptent de travailler 40 heures à cause de l’organisation des tournées. La Poste leur doit 5 heures sup. par semaine, les facteurs titulaires de leur tournée récupèrent une semaine chaque 7 semaines mais les facteurs remplaçants cumulent les heures et ils n’en voyaient pas la couleur. La direction ne veut pas payer et ne peut rendre les journées faute de personnel. Pourtant la Loi donne 2 mois à un employeur pour payer tout salaire. Certains collègues avaient un an de retard dans les versements !
Quelle a été l’attitude de la Direction de La Poste ?
Geneviève : Le Mépris ! Elle a toujours joué l’usure. Elle nous a ignoré pendant plusieurs jours. Pourtant nous avions déposé un préavis de grève de 10 jours alors que c’est légalement 5 jours. Pour les heures sup., elle jouait l’usure en pensant qu’avec le temps, on accepterait de travailler sans être payés. Nous avons été trop patients.
Marc : Il y a beaucoup de mauvaise volonté et de calculs mesquins. Par exemple : une factrice faisait 22 h à Bédarieux. Suite à un accident du travail, on lui a proposé un poste de 15 heures à Sète, sans aucun égard pour sa situation ! C’était une provocation pour la pousser à la faute. Elle a évidemment refusé. Comme elle était contractuelle, elle a été licenciée. C’était ce que la direction cherchait.
Geneviève : La Poste sait y faire pour jouer la diversion. Elle a envoyé une lettre au maire de Bédarieux en proposant une groupe de travail élus & postiers comme si nos revendications n’étaient pas le problème principal.
Quel soutien avez-vous reçu ?
Marc : On a reçu un soutien énorme dans la population. Ca nous a surpris. Nous avons reçu beaucoup de dons en argent. Les habitants comprenaient nos problèmes. Des viticulteurs nous ont donné du vin, de très nombreux commerçants des bons d’achat ou des lots. On va le distribuer dans un loto organisé pour payer nos jours de grève.
Geneviève : Nous avons reçu des soutiens moraux d’autres sections syndicales CGT ou SUD, qui nous ont écrits et qui ont écrit à la direction de La Poste. Le syndicat SUD POSTE 91 nous a envoyé une lettre des facteurs de Sainte-Geneviève-des-Bois qui ont fait grève 11 jours ce qui nous a vraiment émus, et en plus ils nous ont envoyé 100 Euros à titre de « première aide avant de pouvoir faire mieux » comme ils nous ont dit !
– Geneviève : Nous avons aussi reçu un soutien actif de plusieurs élus et ça a pesé pour que La Poste nous écoute.
Avez-vous obtenu le payement des jours de grève ?
Geneviève : On a 11 jours non payés sur 16 jours de grève à Bédarieux. On a 5 jours prélevés en février et 2 jours par mois ensuite.
Marc : Nous avons obtenus 2 CDI. Les tournées trop dures seront arrangées. Mais il manque 26 h 30 en moyens supplémentaires, pour régler les dépassements de tournées. Il y aura encore des problèmes.
Geneviève : On est sanctionné pour avoir contraint la direction a respecter la Loi et à organiser correctement le service ! Le versement par La Poste de ce qu’elle nous doit va servir à payer les jours de grève ! C’est elle qui devrait être sanctionnée.
Quand Jacques Tati a mal au dos
Le métier de facteur est dur. Il faut commencer à 6 h 30 pour trier la tournée. Celle-ci se fait à horaire fixe car les usagers comptent sur la ponctualité du facteur. C’est un métier physiquement difficile. On ne compte plus les lombalgies et les accidents du travail, sans parler des morsures de chiens et autres agressions en tous genres que les facteurs subissent.
Les facteurs ont un rôle social dont la direction de l’entreprise La Poste n’a cure. La poste traditionnelle était la seule entreprise en France capable de toucher tous les logements 6 jours sur 7. Maintenant la tournée est calculée pour être lucrative. Plus question de rendre un service ou d’apporter sa pension à une personne âgée. « On distribue en moyenne 50 kg de papier par jour, pli par pli ». Le salaire n’est pas mirobolant : 1070 euros net à l’embauche (la LCR exige 1500 euros net pour le SMIC). Pour être embauché, il faut un BEP ou un CAP, et le permis B est exigé, avec en plus « de bonnes aptitudes physiques ». Le facteur du film d’époque Jacques Tati n’en aurait pas rêvé.
Défendre le Service public en le privatisant ?
Dans une question écrite au Ministre de la Fonction Publique, le député PS de la 5e circonscription de l’Hérault, Kléber Mesquida, met l’accent sur « la dégradation du service public de La Poste, notamment sur le secteur de Bédarieux, qui porte préjudice aux populations mais aussi au tissu économique des communes desservies ». A part une courte référence à la remise en cause des congés et des RTT, Mesquida demande au Ministre quelles mesures il compte prendre pour interrompre « ce processus destructeur du service public postal ».
C’est oublier que ce gouvernement milite pour privatiser le service public et que l’ancien service public postal a déjà explosé en quatre branches… sans que les élus du Parti Socialiste émettent la moindre protestation. Venant d’un parlementaire forcément averti, pareilles assertions sont une tromperie délibérée. S’il en faut une preuve, voici comment le Président du groupe La Poste présente son entreprise : « Notre ambition est claire : faire du Groupe un opérateur postal leader en Europe… un modèle original de banque… nos résultats tant financiers que commerciaux sont en progression… etc. ». Ce sont là des considérations étrangères à tout service public. Et le Président de l’entreprise La Poste Jean-Luc Bailly ajoute, cela ne s’invente pas : « La confiance des pouvoirs publics et des élus s’est illustrée… à travers la Loi de Régulation des Activités Postales du 20 mai 2005, qui donne en particulier le feu vert au lancement de La Banque Postale » (Message du Président sur le site de La Poste). Ségolène Royal ne propose pas d’abroger cette Loi scélérate.
La Loi de Régulation découle de décisions de privatisation des Services publics signées par la France, sous un gouvernement d’Union de la Gauche. Elle vise une « concurrence libre et non faussée » que les élus socialistes soutenaient avec le projet réactionnaire de Traité Constitutionnel Européen en mai 2005. On peut se demander pourquoi il faut maintenant une grève des facteurs de Bédarieux pour qu’un élu PS soulève la question de la « destruction du Service public postal » ? En réalité, le PS soutient pleinement toutes les mesures de privatisation au niveau parlementaire et gouvernemental… tout en faisant le dos rond à la base, parce qu’une telle mesure n’est pas défendable face aux salariés concernés !
Une offensive libérale finale contre le Service public postal
L’Europe a décidé d’imposer la libéralisation totale du marché postal dès le 1er janvier 2009. (1) Ces « directives européennes » sont la plus belle arnaque qu’ont trouvés la droite et les sociaux-libéraux pour imposer des mesures qu’ils n’osent pas préconiser ouvertement dans les programmes électoraux de leurs pays respectifs. En France, aucun candidat n’introduit pareilles mesures dans son programme, mais certains se préparent à l’appliquer avec allégresse.
La Poste ne recrute plus de fonctionnaires. Elle embauche désormais sous contrat de droit privé. C’est ainsi que 4000 facteurs et opérateurs ont été engagés en CDI en 2006, les uns rattachés à un bureau de poste, les autres à un centre de tri spécialisé. D’un coté la distribution de plis, de l’autre celle des paquets.
L’ouverture totale du marché postal européen (avec privatisation des infrastructures entièrement payées par les usagers) se résume en six points :
– la réduction du nombre de bureaux de poste par suppression de tous les bureaux « déficitaires ». Déjà 17 000 bureaux fermés sur 30 000 en Allemagne ;
– une attaque généralisée contre l’emploi, la sécurité et la solidarité des travailleurs par le développement de l’intérim, du temps partiel et de la sous-traitance ;
– le nivellement des statuts par le bas par la remise en cause des conventions collectives et des attaques contre les engagements financiers comme les pensions ;
– une doctrine libérale suivie à la lettre : les opérateurs devront générer des bénéfices ou disparaître et il ne sera pas permis de tenir compte des disparités sociales ;
– la fin du service universel. Il est notamment prévu une augmentation des tarifs pour les petits utilisateurs et une baisse des tarifs pour les clients du courrier industriel.
– la fin de la péréquation tarifaire au profit de « zones tarifaires » : les envois n’auront plus le même prix selon les régions. Il n’y aura plus de timbres uniques pour tout un territoire, et encore moins de « timbres européens » !
Une opération « vérité des prix » en quelque sorte ! Pas au profit de tous.
Note
(1) Pour en savoir plus :
– sur le site « www.europe-solidaire.org » appeler le mot-clé « poste & communication »
– sur google, appeler « la face cachée de la directive postale 2006 ».