“Arrête-toi ici, ennemi, le Sacré-Cœur est avec moi” : tels sont les mots prononcés [le 18 mars], à l’occasion de sa conférence de presse quotidienne, par le président mexicain Andrés Manuel López Obrador, brandissant des amulettes qu’il venait de sortir de sa poche.
Outre l’honnêteté et le combat contre la corruption, voilà ses boucliers contre le coronavirus, a-t-il assuré. Le geste de ce président de l’un des pays les plus croyants d’Amérique latine, qui compte aussi parmi ceux ayant pris le moins de mesures de prévention face à la pandémie de Covid-19 [ces mesures ont été depuis renforcées], résume en une image l’obstacle que représentent les croyances individuelles dans la gestion des crises collectives.
Dans une situation qui nécessite le strict respect de normes scientifiques afin de réduire les risques, encourager la pensée magique ou les credo personnels quand on représente l’autorité peut avoir des conséquences tragiques.
Une foi aveugle
Des rassemblements religieux ont été identifiés comme des foyers de contagion dans des pays qui jusque-là présentaient un nombre de cas relativement bas [comme en France, avec le rassemblement évangélique de Mulhouse]. ].
Mi-mars, la Malaisie a annoncé qu’au moins 190 personnes avaient contracté le Covid-19 après avoir participé à une grande prière collective dans une mosquée.
C’est la plus forte hausse qu’ait enregistrée ce pays, et elle est venue rappeler le cas de la “patiente 31” en Corée du Sud : alors même qu’elle présentait déjà de la fièvre, cette femme, qui avait assisté à deux messes à l’église évangélique Shincheonji,, a contaminé plus de1 000 personnes à elle seule.
Le président colombien Iván Duque, lui aussi lors d’un événement officiel, a invoqué la protection de la vierge de Chiquinquirá, sainte patronne de la Colombie, pour surmonter la crise.
[Le 22 mars], le gouvernement costaricain, en collaboration avec les autorités ecclésiastiques, a organisé un survol du pays par une icône de la sainte patronne du pays, la Virgen de los Ángeles.
Tandis que les États latino-américains hésitent encore entre donner la priorité à l’économie ou à la santé de leurs citoyens, les cultes et leurs représentants conservent sur des millions de fidèles en quête de réconfort et de conseils une influence qui pèse plus lourd que toutes les recommandations de l’OMS.
Nier la réalité
En Colombie, alors que le premier cas de Covid-19 est venu d’une jeune femme qui s’était rendue à un office quatre jours après son retour d’Italie, les lieux de culte ont continué de faire le plein tous les dimanches. Le 15 mars, la basilique Notre-Dame de Guadalupe à Mexico, grand lieu de pèlerinage, était pleine à craquer [les églises catholiques ont depuis annoncé leur fermeture].
Au Brésil, les partisans de Jair Bolsonaro colportent l’idée, avancée par le président, que la pandémie n’est qu’une “hystérie”.
Parmi eux, le puissant Edir Macedo, fondateur de l’Église universelle du royaume de Dieu, l’un des principaux mouvements évangéliques néopentecôtistes du pays, présent dans toute l’Amérique latine et jusqu’en Europe. Dans une vidéo diffusée par WhatsApp, le pasteur affirmait :
“Il n’y a aucune raison pour que les gens soient terrorisés par quelque chose qui n’a rien à voir avec la réalité.”
Non content d’accuser les médias de semer “la peur parmi les peuples et les nations”, le chef de l’Église universelle du royaume de Dieu, homme d’affaires multimillionnaire et propriétaire de la deuxième chaîne de télévision du Brésil [Record TV] assène que “derrière cette campagne du coronavirus se cachent des intérêts économiques”.
Macedo se prévaut par ailleurs du témoignage du médecin pathologiste Ben Schmidt, qui propage de fausses informations sur le Covid-19 sur YouTube. Le prédicateur affirme ainsi :
“Mes amis, ne vous inquiétez pas du coronavirus. Ce n’est qu’une manœuvre de Satan, une manœuvre de plus. Satan manipule la peur, la terreur. Il prospère sur le doute.”
Quand la vidéo de Schmidt a disparu de YouTube, Macedo a supprimé son propre enregistrement de ses comptes sur les réseaux sociaux. Avant d’en diffuser un autre, où il demande aux évangéliques de ne pas chercher sur la pandémie informations ou recommandations médicales, mais de lire la Bible.
L’alarme a sonné tardivement
Au Brésil, qui enregistre le plus grand nombre de cas de Covid-19 de toute l’Amérique latine, d’autres représentants religieux s’entêtent à maintenir leurs rassemblements malgré l’épidémie, à l’image de Silas Malafaia, à la tête de l’Assemblée de Dieu, autre grande église évangélique du pays.
En Colombie, à Bogota, le 1er mars, comme tous les dimanches, les fidèles se pressaient dans l’église chrétienne La Casa sobre la Roca. Deux mille personnes étaient réunies pour l’un des trois rendez-vous organisés ici chaque jour. Parmi eux, la “patiente 1” du pays : cette jeune fille de 19 ans, rentrée de Milan quatre jours plus tôt, ne se savait pas malade.
Elle a pris place au milieu de l’assemblée et partagé avec d’autres le pain et le vin de l’eucharistie. L’Institut colombien de la santé a recensé par la suite au moins cent fidèles présentant des symptômes, sans confirmer si l’un d’eux avait été contaminé pour autant.
L’événement a cependant sonné l’alarme sur les risques que présente ce type de rassemblement dans des pays aussi pieux que la Colombie, dont les quelque 6 864 églises évangéliques et 4 000 paroisses catholiques sont autant de foyers épidémiques potentiels.
Un virus “condamné à s’éteindre”
Les dimanches suivants, ces églises ont continué de faire le plein. Les autorités religieuses se sont réfugiées derrière un communiqué du ministère de l’Intérieur suggérant aux “communautés religieuses et aux cérémonies liturgiques réunissant plus de 500 fidèles” d’organiser “des espaces au sein de leurs lieux de culte pour s’adapter à cette fréquentation.”
Les églises les mieux dotées ont renforcé le nettoyage des bancs et fourni à l’entrée un produit antibactérien. La Conférence épiscopale colombienne a suggéré que l’hostie soit déposée dans les mains, mais sans rien interdire à ceux qui souhaitaient continuer de la recevoir dans la bouche. Dans les grandes villes, la pratique du geste de paix [avant l’eucharistie, le prêtre prend les mains de chaque fidèle] a été suspendue.
Mais pas partout. “Ce virus a commis une erreur, celle de toucher l’Église, a ainsi estimé un pasteur évangélique. Il est donc condamné à s’éteindre sous trente jours. Toutes nos églises doivent rester ouvertes, là est l’espoir de la société.”
Suivre l’exemple du pape
Les jours passant, au fur et à mesure qu’étaient imposées des mesures, certaines églises ont cependant pris des décisions plus radicales. Alors que les pouvoirs publics autorisent encore les rassemblements ne dépassant pas 50 participants, certaines autorités religieuses ont annulé toutes leurs rencontres.
L’archidiocèse de Bogotá a suspendu tous les offices publics à l’exception des messes d’enterrement ou d’anniversaire, qui sont célébrées en petit comité, les fidèles devant entrer par une porte latérale. “Cela nous brise le cœur, mais c’est une décision qui s’impose pour la vie et la santé des Colombiens”, a déclaré le cardinal Rubén Salazar.
Pour convaincre les fidèles qui persistaient à vouloir se rassembler, il a fallu aux autorités cléricales sortir la carte papale – “c’est ce que le pape a fait, suivons son exemple.”
C’est dans les traditions populaires que se manifeste la plus forte résistance au respect des recommandations de la communauté médicale. La procession organisée chaque année pour Pâques à Iztapalapa, dans la banlieue immédiate de Mexico, a été annulée. Sa reconstitution de la crucifixion, proposée au classement au Patrimoine immatériel de l’humanité de l’Unesco, réunit traditionnellement des dizaines de figurants.
La messe en virtuel
Face à l’indignation, les organisateurs de l’événement et les autorités ont dû ouvrir le dialogue dans ce quartier sensible de la capitale mexicaine, et la décision a été prise d’organiser une représentation sans public. Il était pour certains impensable d’annuler cet événement qui se tient sans interruption depuis cent soixante-seize ans, plus précisément depuis une épidémie de choléra qui en 1843 donna naissance à cette procession en l’honneur du Señor de la Cuevita, que la population s’engagea alors à faire chaque année. Aujourd’hui, les festivités rassemblent plus d’un million de personnes pendant deux jours.
Au Nicaragua, la conférence épiscopale a fermement déconseillé le baiser à la croix du Christ, une pratique pascale très forte dans ce pays. Sans annuler les célébrations de Pâques, les autorités ont limité tous les rites qui passent par un contact physique.
Elles demandent en particulier aux croyants les plus vulnérables – “les plus de 60 ans, les femmes enceintes et les enfants” – de ne pas se rendre en personne aux messes et aux processions, et de les suivre depuis leur domicile sur les réseaux sociaux ou par l’intermédiaire des médias.
Malgré ces mesures annoncées par l’Église, le gouvernement sandiniste encourage la population à participer aux événements de la Semaine sainte et au Plan Verano 2020 [“Plan été 2020”, destiné à promouvoir le tourisme] promu par la vice-présidente Rosario Murillo. Le samedi 14 mars, le pouvoir nicaraguayen a laissé le monde entier pantois en organisant à Managua une “marche de l’amour au temps du Covid-19”. Ni le président Daniel Ortega ni la vice-présidente n’y participaient.
Felipe Betim
Catalina Oquendo
Jacobo García
Wilfredo Miranda
Eliezer Budasoff
Abonnez-vous à la Lettre de nouveautés du site ESSF et recevez chaque lundi par courriel la liste des articles parus, en français ou en anglais, dans la semaine écoulée.