Le fait que, le 30 mars, le Parlement hongrois a voté une loi sur l’état d’urgence, et cela pour une durée indéfinie, a suscité l’attention et l’indignation des cercles et médias (surtout) libéraux en Europe occidentale. « Aujourd’hui, la démocratie a été mise en quarantaine », a déclaré après le vote Péter Jakab, président du… Jobbik – parti d’extrême droite dépassé par le Fidesz au pouvoir –, partenaire désormais incontournable de la coalition d’opposition anti-Orbán, composée également des socialistes, des sociaux-libéraux et des verts.
Des droits déjà largement hypothétiques
Mais le paradoxe de l’état des rapports politiques intérieurs de Hongrie ne s’arrête pas là. L’effet (immédiat au moins) du « coronacoup d’État » du Premier ministre hongrois sur les droits politiques fondamentaux est beaucoup moins important ici que celui des mesures similaires adoptées dans des pays démocratiques comme l’Autriche, le Royaume-Uni ou la France. C’est que ces droits élémentaires sont déjà très largement hypothétiques en Hongrie depuis plus d’une décennie. Dès que le Fidesz a remporté les deux tiers des élus en 2010, Orbán a fait réécrire la Constitution et les lois dites « cardinales » puis, à l’aide des mécanismes de désignation en vigueur, il a investi l’ensemble des organes de l’État, de la Cour constitutionnelle et des magistrats à la Banque centrale et aux médiateurs et même aux médias publics. En plus, il a mis la main – par l’intermédiaire de différents hommes de paille comme son ami d’enfance, le plombier Lőrinc Mészáros – sur des actifs productifs et immobiliers de plusieurs milliards de forint…
Orbán n’a(vait) donc pas besoin d’autorisation exceptionnelle pour gouverner le pays à sa volonté : c’est ce qu’il fait depuis de longues années. La nouvelle loi a pour objectif principal de saisir l’occasion de la pandémie pour discréditer et stigmatiser l’opposition. Il s’agit pour lui de démontrer que ses adversaires, en refusant la suspension de l’État de droit, ne peuvent et ne veulent pas surmonter leurs intérêts politiques étroits ; donc, ils ne sont – et ne seront pas d’ici deux ans, aux élections de 2022 – dignes de la confiance du peuple hongrois qui ne peut compter que sur le maintien de son dirigeant expérimenté et dévoué...
La politique d’Orbán dans le contexte de la crise actuelle
La première chose à souligner, c’est la continuité. Au-delà des changements, les actions du gouvernement Fidesz restent dans le cadre de sa politique antérieure : néoliberalisme économique + autoritarisme combiné de clientélisme et de népotisme = capitalisme oligarchique et « illibéral », archétypique de la périphérie d’Europe de l’Est.
Les destinataires/bénéficiaires principaux du « plan Orbán » sont d’abord les employéEs de la sphère publique (administration, forces armées, santé, éducation, entreprises d’État dites stratégiques), puis la classe moyenne composée des propriétaires et des employéEs des entreprises moyennes et les familles nombreuses (relativement) aisées : moratoire sur les crédits de toute sortes et des contributions dans des secteurs particulièrement touchés par la crise (tourisme, services culturels, de distraction et de sport, transport, etc.).
En revanche, les plus démunis, les familles éclatées, les personnes solitaires, handicapées ou socialement défavorisées (tsiganes et non tsiganes), soit un tiers au moins de la population, sont laissés, eux, au bord de la route. Conformément à cette politique affichée par le slogan « économie et société basées sur le travail », les prestations sociales individuelles de type revenu de base garanti, sont exclues, malgré la propagande quotidienne qui affirme : « Aucun Hongrois ne reste seul ! »
Un autre élément central de la politique d’Orbán est la volonté du maintien d’un sentiment de menace. Tout d’abord des « migrantEs » bien sûr, qui sont éloignés des frontières hongroises, dans des camps de réfugiés grecs et au-delà, en Turquie, mais qui pourraient, « demain », prendre la route, et, contaminés par le virus, représenter un danger. Un autre type de danger viendrait « d’en haut » : il s’agit de l’attaque spéculative de George Soros contre la monnaie hongroise. Derrière l’affaiblissement de près de 10 % du forint se cacherait la vengeance politique du milliardaire d’origine hongroise qui a, par ailleurs, en mars, apporté un soutien d’un million d’euros à la municipalité de Budapest (gérée depuis l’automne par l’opposition).
Enfin, un troisième élément, très probablement le plus important, est le renforcement de la tendance fascisante du régime d’extrême droite du Fidesz, et ce au sens « classique » du terme : fusion du grand capital (national et étranger) et du pouvoir hégémonique (personnifié par Orbán et ses « complices »), avec le rôle d’intervention et de « médiateur » extorqué par ce dernier dans le monde du travail, éliminant les représentations institutionnelles des deux côtés, les syndicats tout comme les organisations autonomes d’employeurs.
Victor Lugosi, rédacteur de la revue Eszmélet (Conscience)