Hong Kong (Chine), correspondante.– Jimmy Lay, 71 ans, magnat de la presse et virulent opposant au Parti communiste chinois (PCC), a été arrêté samedi. La députée Claudia Mo, le député disqualifié Leung Kwok-hung et l’avocate des droits humains Margaret Ng figurent aussi au tableau de chasse des autorités. Interpellés pour leur implication présumée dans des manifestations non autorisées de 2019, ils ont été libérés sous caution et seront présentés à la justice le 18 mai. L’opposition dénonce « une répression massive d’une nouvelle ampleur ». Washington et Londres condamnent également ces interpellations qui surviennent alors que Hong Kong n’a pas connu de grosse manifestation depuis le 1er janvier, les opposants ne descendant plus massivement dans la rue par crainte du virus.
« À 11 heures samedi, des policiers ont frappé à ma porte avec un mandat de perquisition et m’ont confisqué mon téléphone et un tee-shirt. Je suis l’un des suspects habituels, donc cela ne m’a pas surpris », témoigne par téléphone Avery Ng, figure du Parti de la ligue des sociaux-démocrates. Au total, plus de 7 600 personnes ont été interpellées depuis le début de la contestation antigouvernementale en juin 2019, la pire crise depuis la rétrocession de l’ex-colonie britannique. « La surprise a été d’apprendre l’arrestation de Martin Lee, le “père de la démocratie” de 82 ans et qui est un avocat internationalement reconnu », raconte encore Avery Ng. Selon lui, « il s’agit de représailles claires et orchestrées de Pékin » qui « durcit sa stratégie en pleine pandémie et signifie ses priorités avec un signal très clair : que l’on soit vieux ou jeune, retraité ou actif, quiconque se battra pour défendre ses libertés sera arrêté ».
Les personnalités arrêtées l’ont été pour avoir organisé ou participé à des manifestations l’année dernière, en particulier celle du 18 août (initialement, un rassemblement autorisé et auquel avaient participé près de 1,7 million de personnes selon les organisateurs), et celle du 1er octobre, jour de la fête nationale chinoise où avaient eu lieu de violents affrontements avec la police. Les protestataires dénonçaient un projet de loi autorisant les extraditions vers la Chine continentale, abandonné à l’automne, et réclamaient l’avènement d’un véritable suffrage universel.
Selon Avery Ng, si le chef d’accusation n’est passible que de « quelques semaines de prison », c’est le message sous-jacent qui est le plus inquiétant. « Ceux qui défendent leurs libertés iront en prison. Le Front civil des droits de l’homme s’est vu refuser à plusieurs reprises la tenue de manifestations pourtant calmes et pacifiques. En retirant le droit de manifester ou de nous exprimer, les autorités forcent les gens à devenir des “criminels”. »
Le gouvernement hongkongais fait, lui, valoir l’État de droit, indiquant qu’« à Hong Kong, personne n’est au-dessus de la loi ni ne peut la violer sans en assumer les conséquences ». Or, cet État de droit, l’un des piliers de Hong Kong et de sa stature de centre financier international, est menacé par cette vague de répression, craignent plusieurs ONG et associations de juristes. Et la polémique en cours depuis la semaine dernière n’est pas pour les rassurer.
Le 13 avril, des remarques du Bureau des affaires de Hong Kong et Macao à Pékin – l’agence chargée de superviser la région – ont mis le feu aux poudres. Elles ciblent les méthodes d’obstruction systématique employées selon lui par l’opposition pour « paralyser » le Parlement local. Pékin a averti que cette tactique pourrait constituer une violation de leur prestation de serment, et donc être passible de disqualification. Le 15, le chef du Bureau de liaison, représentant le plus direct du gouvernement central à Hong Kong, a enfoncé le clou en appelant le gouvernement hongkongais à adopter une loi antisécession « le plus vite possible ».
Accusé d’ingérence illégitime, le Bureau de liaison a rétorqué être dans son droit et n’être pas soumis aux restrictions énoncées par la mini-constitution locale. L’article 22 de cette « Basic Law » interdit pourtant aux services du gouvernement central de s’ingérer dans les affaires locales qui sont sous la juridiction de l’administration de la région autonome. La cheffe de l’exécutif Carrie Lam s’est contentée de déclarer que le « haut degré d’autonomie de Hong Kong [prévu pendant une période de cinquante ans à partir de la rétrocession en 1997 dans le cadre d’« un pays, deux systèmes » – ndlr] ne signifiait pas que Pékin n’avait aucun pouvoir ».
L’opposition crie depuis à la « trahison ». « De plus en plus de signes indiquent que Pékin durcit ses mesures et ouvre la voie à une domination plus directe, ce qui met en péril la liberté de la ville », a dénoncé lundi le parti Demosisto co-fondé par Joshua Wong, chef de file du mouvement de protestation des « parapluies » de 2014. Certains craignent déjà que l’interdiction de rassemblement de plus de quatre personnes instaurée fin mars pour juguler l’épidémie ne perdure après la crise sanitaire et ne muselle définitivement la contestation. D’autres craignent aussi que cette reprise en main ne préfigure une confiscation des élections législatives de septembre prochain.
Margot Clément