La crise d’Airbus (lire page 5) est un puissant révélateur politique. Les actionnaires (Lagardère, Daimler), après avoir vendu au bon moment, veulent quitter un projet insuffisamment efficace (pas assez financiarisé, pas assez mondialisé) pour leur soif de profits rapides. Le plan « Power 8 » veut faire payer cette débandade à 10 000 salariés européens.
Première leçon : la gestion privée est à la fois insuppor table et totalement disqualifiée. Deuxième leçon : la méthode Jospin de 2002 - « L’État ne peut pas tout » - est devenue insoutenable, c’était une lâcheté sociale-libérale. Troisième leçon : l’Europe n’existe que pour la finance, et non pour des projets utiles aux populations : Airbus était le résultat d’un accord entre puissances publiques, « on » veut maintenant en faire un groupe sur le modèle de Boeing. Les traités européens interdisent toute politique publique indépendante du marché, au nom de la « concurrence libre et non faussée ».
Ces trois leçons convergent dans la conscience populaire et la bataille présidentielle. Les « grands » candidats se font concurrence sur le thème de la volonté politique qui doit agir, aux antipodes de la vulgate libérale. Le 29 mai 2005 n’a pas été une victoire vaine. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. L’entrée des régions (Ségolène Royal) dans le capital d’Airbus ne sera qu’un pas vers l’Europe des régions mises en concurrence pour licencier. L’augmentation de la part de l’État (version Sarkozy) ne vise qu’à socialiser les difficultés (comme pour Alstom), en attendant les superprofits. Ni Ségolène Royal, ni Nicolas Sarkozy ne veulent bloquer le plan de Gallois.
L’alternative durable doit refuser tout diagnostic de crise et viser à la construction d’une entreprise européenne publique autour d’accords entre États. Cela implique la réappropriation d’Airbus France (renationalisation sans indemnités) avec un droit de gestion des salariés. Cela implique indissociablement la définition d’un service 100 % public du transport aérien en Europe, préservant les équilibres écologiques et complémentaires au rail. Cela implique une Europe qui fasse « la preuve » qu’elle vise l’intérêt des populations, avec de nouveaux traités fondateurs basés sur la promotion des droits sociaux, des biens publics, de la démocratie.
Dominique Mezzi
Séisme sur l’emploi
Airbus a confirmé la suppression de 10 000 postes, malgré ses profits.
Le nombre de suppressions de poste que la direction d’Airbus a annoncé, dans le cadre du plan « Power 8 », est tombé : 10 000 ! Trois usines seront vendues : Nordenham en Allemagne (2 500 salariés), Méaulte en France (1 200 salariés), Filton en Grande-Bretagne. Trois autres vont être fermées : Saint-Nazaire (800 salariés), Laupheim Allemagne (1 200 salariés) et Varel Allemagne (700 salariés). Les 10 000 suppressions de poste touchent pour une moitié les salariés ayant le statut Airbus et, pour l’autre, les salariés de la sous-traitance sur les sites Airbus. C’est donc une hécatombe pour les salariés dont le travail a fait la force de cette entreprise, et à qui on veut faire payer les prétendues imprévoyances de dirigeants incapables ou cyniques, dont certains n’ont pas hésité à spéculer sur les retards de livraison des avions, en revendant leurs actions juste à temps...
Car, contrairement à ce qu’on nous dit, les raisons principales de la « crise » d’Airbus ne sont pas liées à des pro blèmes d’organisation ou monétaires (l’euro fort), mais à un système qui ne vit qu’en recherchant toujours plus de profits. En ce qui concerne les retards de livraison, non seulement les compagnies aériennes décommandent très peu, mais certaines en achètent ! Dix-sept exemplaires supplémentaires ont ainsi été commandés en 2006. En fait, les retards produisent surtout un décalage dans le temps des rentrées d’argent, ce qui est intolérable pour ceux qui misent avant tout sur des bénéfices rapides. Quant à la mauvaise parité euro-dollar, c’est une situation que l’entreprise a déjà connue sans être menacée de disparaître.
« Renationaliser »
Les dirigeants d’Airbus et nos gouvernants nous parlent de « crise », mais le chiffre d’affaires d’Airbus et de l’ensemble de ses filiales a littéralement bondi - plus de 17 % en 2006 -, la productivité a explosé. Airbus croule sous les commandes. Jamais l’entreprise n’aura produit autant d’avions. Il faudra en produire 20 % de plus cette année. D’ailleurs, le jour de l’annonce du plan de suppressions d’emplois, les salariés toulousains ont reçu une lettre leur si gnifiant qu’ils devaient travailler... quatre jours de plus en 2007 ! Du boulot, il y en a à revendre ! L’entreprise fait des profits, mais pas assez. Et c’est la clé du problème. Les actionnaires demandent toujours plus de dividendes. Non seulement ils ont empoché des milliards d’euros (2 milliards pour Lagardère, 2,5 pour Daimler-Chrysler), mais ils en veulent toujours plus. D’ailleurs, les investisseurs se bousculent pour spéculer sur Airbus et les recettes sont les mêmes : baisse du coût du travail, en licenciant, en fermant des usines, en délocalisant dans les pays à faible coût de main-d’œuvre, en augmentant la sous-traitance, en durcissant les conditions de travail des salariés. En même temps qu’elle supprime des milliers d’emplois, la direction d’Airbus, sui vant ainsi les conseils de Sarkozy, augmente la pression sur ses salariés en les faisant travailler plus.
Nous sommes tous concernés, car la situation d’Airbus concentre les inégalités qui pèsent sur la vie de millions de salariés et de chômeurs. D’un côté, il y a des milliards pour une minorité d’actionnaires et, de l’autre, les licenciements de milliers de salariés, le chômage pour 5 millions de personnes, la baisse du pouvoir d’achat, plus de 80 % de salariés gagnant moins de 2 000 eu ros. Enfin, nous sommes tous concernés, car lorsque nos gouvernants, de droite comme de gauche, nous disent qu’une des explications de la crise et du chômage réside dans le manque de formation et de qualification des salariés, les milliers de suppressions d’emploi chez Airbus leur infligent un cinglant démenti. Voilà une entreprise à forte densité technologique, avec des milliers de salariés formés, qualifiés, dont on liquide une partie essentielle des activités. Ce qui importe dans ce système capitaliste, ce n’est pas la qualification, la formation, c’est la rentabilité, le profit.
Cette situation est inacceptable. Les salariés d’Airbus qui se mobilisent aujourd’hui dans le pays comme dans toute l’Europe ont raison : il faut rompre avec cette logique du tout-profit. Il faut rejeter les propositions de Sarkozy, qui confortent les actionnaires, comme celles de Ségolène Royal, qui préconise une « modification des relations entre les actionnaires privés et l’actionnaire public [...], tout en garantissant au patronat le caractère privé de cette entreprise ». Pour elle, il n’est, bien entendu, pas question de revenir sur la privatisation d’Airbus, privatisation réalisée sous le gouvernement Jospin par le ministre PCF Gayssot.
Dans l’immédiat, nous proposons le refus de toute fermeture de site. Nous rejetons le plan de suppressions d’emplois. Nous exigeons l’interdiction de tout licenciement dans cette entreprise qui fait des profits. Plus un sou pour les gros actionnaires. Nous proposons que l’état prenne ses responsabilités. Il faut « renationaliser » Airbus, sous le contrôle des salariés et de leurs organisations syndicales, dans le cadre d’une entreprise publique aéronautique européenne.
François Sabado
Les salariés ne se résignent pas
Après l’annonce de la suppression de 10 000 postes par la direction d’Airbus, les salariés du site de Méaulte (Somme) se sont mis en grève, jeudi 1er mars. Amertume, incompréhension et colère sont les sentiments qui dominaient chez les salariés d’Airbus à Méaulte (Somme) ce 1er mars, au lendemain de l’annonce du plan « Power 8 » par le PDG de l’entreprise, Louis Gallois, confirmant la suppression de 10 000 emplois dans le groupe. Amertume, car les salariés ont l’impression, ici, d’avoir tout donné pour cette entreprise. Incompréhension, car le carnet de commandes est plein pour cinq ans, dans ce groupe présenté il y a peu comme le fleuron de l’industrie aéronautique européenne. Colère, car les dividendes servis aux actionnaires ont explosé ces dernières années.
Si certains se réjouissent que le site de Méaulte ne soit pas immédiatement vendu, voire fermé, l’inquiétude reste vive concernant la recherche d’un « partenaire » industriel capable d’injecter les 150 millions d’euros nécessaires, selon la direction, à la conversion du site vers la production en matériaux composites. On ne voit pas ici quelle entreprise autre qu’EADS elle-même aurait les moyens de réaliser de tels investissements. Une lettre de la direction distribuée dans l’entreprise laisse pourtant clairement entendre que le partenaire en question serait appelé à prendre le contrôle du site : il ne s’agirait donc que d’une cession qui ne dit pas son nom, avec tout ce que cela implique de nouvelles menaces pour l’emploi. Les promesses de Gallois, selon lesquelles il n’y aurait pas de licenciements secs, ne trompent personne : en admettant même qu’elles soient tenues, ce sont les travailleurs des entreprises sous-traitantes qui vont trinquer.
Si Chirac est ici accusé d’avoir lâché les sites français lors de sa récente rencontre avec Merkel, on ne relève aucune réaction anti-allemande parmi les travailleurs : « On est tous dans la même galère », disent-ils. Au contraire, des contacts sont pris entre syndicalistes des deux pays pour mettre sur pied une riposte à l’échelle du groupe européen. Pour autant, la tension est forte sur place entre les syndicats, FO d’un côté, la CFDT et la CGT de l’autre, le premier annonçant qu’il « prendra ses responsabilités en engageant des actions d’envergure » si ses revendications (maintien de l’emploi, refus de cession, etc.) ne sont pas satisfaites, les seconds appelant à la grève le 1er mars. À 13 h 30, au changement d’équipe, celle-ci était suivie par environ 30 % du personnel, mais, selon un responsable CGT, elle devait s’étendre au fil de la journée.
Plus que jamais, il faut refuser la fermeture des deux sites menacés et interdire toutes les suppressions d’emplois prévues. L’État doit prendre ses responsabilités. Il faut renationaliser Airbus sous le contrôle des salariés, sans indemnisation pour les gros actionnaires, et relancer la coopération entre plusieurs pays dans la perspective d’un service public européen de la construction aéronautique.
Correspondant
Tract LCR du 5 mars 2007
Airbus : mobilisation européenne pour interdire tout licenciement !
Il n’est pas acceptable qu’une entreprise comme Airbus annonce 10 000 suppressions de postes, la vente ou la fermeture de 5 usines, la délocalisation des productions vers des pays à « bas coûts ». Airbus a des carnets de commande pleins pour 6 ans. La maison mère EADS, qui rassemble des capitaux privés et publics sur 4 pays, a augmenté son chiffre d’affaires de 17% en 2006. Les bénéfices restent à 1,4 milliards d’euros. Alors pourquoi le PDG Louis Gallois veut-il tuer l’emploi ? Il n’y a qu’une seule explication : il veut faire d’Airbus une entreprise, avant tout, super profitable pour les actionnaires privés. Au lieu de s’attaquer aux mauvaises gestions des anciens dirigeants, qui ont abouti à des retards de livraisons et une baisse de l’action, il fait payer cette crise aux salariés. Car ce sont les actionnaires privés qui affaiblissent l’entreprise en retirant leurs capitaux au moment des difficultés. Certains PDG ont même spéculé sur leur propre entreprise en vendant leurs actions avant la chute de la Bourse ! C’est la preuve que la privatisation d’Aérospatiale par Jospin, en 2000, a été une erreur funeste.
Halte au modèle Boeing : ce n’est pas à la finance de décider !
Gallois veut gérer Airbus comme les constructeurs d’automobiles qui se font la guerre sur le marché mondial, et liquident des milliers d’emplois dans les usines sous-traitantes. Il veut gérer Airbus comme Boeing aux USA : quelques usines servant de niches à profits pour les actionnaires privés, et une sous-traitance en cascade des autres sites, avec des salariés taillables, corvéables, et licenciables à merci. Le plan Gallois accélère le démantèlement d’une industrie aéronautique autrefois basée sur le savoir-faire des travailleurs, la coopération entre Etats : tout sera liquidé dans des centres de profits, l’œil rivé sur les dividendes des actionnaires. On nous parle, sans arrêt, dans cette campagne présidentielle, de la « valeur travail », mais les PDG et les gouvernements à leur botte sabotent le travail et font des salariés de simples marchandises.
Exproprier les profiteurs
Airbus s’est construit en Europe par une décision des pouvoirs publics, des Etats. Il était utile de construire une industrie européenne de l’aéronautique. Mais sans privatisation, et complétée par un service public du transport aérien, non soumis aux impératifs des capitaux. Aujourd’hui, la remise des clefs aux mains du privé (Lagardère, Daimler) aboutit à une catastrophe. Le PS et sa candidate S. Royal proposent que les régions investissent dans le capital. Les pouvoirs publics, l’Etat, doivent agir, mais la gestion ne doit plus obéir aux critères du profit. Sinon, c’est de la pure perte et l’argent public servira à licencier. La solution est donc d’exproprier les profiteurs privés, et de décider une appropriation publique de cette entreprise en Europe, sous contrôle des salariés et avec un accord entre Etats, en commençant par une renationalisation en France. La solution passe aussi par la maîtrise écologique du transport aérien, pour éviter nuisances et pollutions à cause de l’embouteillage des vols.
Aucune suppression d’emploi n’est tolérable !
Les salariés se mobilisent en France mardi 6 mars. En Allemagne, des grèves et manifestations ont déjà eu lieu. Les syndicats préparent une journée européenne coordonnée. Une mobilisation unitaire de tous les partis de gauche en Europe s’impose. Il faut éviter à tout prix une division entre salariés français, allemands, britanniques, espagnols. L’efficacité contre les licenciements passe par la solidarité internationale. Pas de rivalité patriotique entre les syndicats et entre les salariés ! Tous ensemble, agissons contre le Pacte de stabilité et l’indépendance de la Banque centrale européenne, qui empêchent de développer des politiques publiques pour le bien de tous en Europe.