Tout a commencé lundi 13 avril au soir lorsque Sofia Taloni, une transgenre marocaine comptant plus de 500 000 followers sur Instagram, fait un live dans lequel elle appelle ses fans à “démasquer” les homosexuels en révélant leur identité et en publiant leurs photos personnelles. Depuis plusieurs jours maintenant, de nombreux membres de la communauté LGBT+ font les frais d’une violente campagne d’outing, rapporte le site d’information indépendant Tel Quel.
“Je souhaite que ceux qui se cachent derrière des barbes alors qu’ils sont gays soient démasqués. […] À toutes les femmes voilées qui disent ‘mon mari n’a pas d’égal’, les mamans qui insultent les loubias [terme péjoratif pour désigner une personne homosexuelle], c’est l’occasion de découvrir l’orientation sexuelle de vos hommes”, a-t-elle lancé.
Les choses dégénèrent alors, et très vite, cet appel se transforme en un véritable lynchage sur les principaux réseaux sociaux utilisés par les Marocains. Qu’ils aient fait leur coming out ou non, les noms de dizaines de personnes, accompagnés parfois de numéro de téléphone et d’adresse, sont jetés en pâture dans un pays où l’homosexualité est taboue et criminalisée. “Les actes licencieux ou contre nature avec un individu du même sexe” sont passibles de six mois à trois ans de prison, selon le Code pénal du royaume. Chaque année, plusieurs dizaines de personnes sont arrêtées sous ce motif.
Captures d’écran de photos volées
“Des échafauds ont été érigés et alimentés à coups de captures d’écran de conversations ou de photos échangées (ou volées) sur les principales applications de rencontres gays, dans l’unique but d’exposer un mari, un amant, un voisin, un camarade de classe ou un simple inconnu car il est homosexuel”, explique Tel Quel.
Lorsqu’il découvre que ses photos circulent dans des groupes Facebook, Amine, 20 ans, panique :
“J’avais peur, je pensais au pire, car je suis très discret sur ma sexualité. Ma famille est conservatrice et stricte, et très peu de personnes savent vraiment que je suis gay. C’est un sentiment terrible et indescriptible de voir son intimité violée par des inconnus.”
Selon un tweet de l’écrivain marocain Hicham Tahir, un jeune homme, ne supportant plus la pression, se serait donné la mort le 17 avril. L’information est reprise et confirmée par le site d’information Le Desk. Il s’agirait d’un jeune de 21 ans, étudiant en France, mais qui était confiné chez sa famille à Rabat.
Difficile de porter plainte
Malgré la violence inouïe des attaques, aller voir la police et porter plainte est une démarche risquée pour les victimes au Maroc. “Parler avec vous anonymement est une chose, mais parler avec la police en est une autre. J’ai peur qu’ils connaissent mon identité, me fassent arrêter”, confie Amine à la journaliste de Tel Quel.
Selon le site d’information, les victimes s’inquiètent des “conséquences de l’après-outing”. Les activistes alertent notamment sur le fait que certains homosexuels ont été mis à la porte par leurs parents en plein confinement.
L’ampleur du phénomène est telle que l’une des applications de rencontres prisées par la communauté LGBT+ conseille désormais à ses utilisateurs d’éviter de “partager [leurs] photos et informations directement avec des personnes inconnues”.
Karim Ben Saïd
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