Quelle est la situation sanitaire dans le pays ?
A ce jour (23 avril), nous avons 8 171 cas de coronavirus déclarés et un nombre total de 435 morts en Pologne. Comme dans la plupart des pays du monde, le système de santé polonais s’est révélé inefficace. De nombreux hôpitaux ont été réorganisés pour ne prendre en charge que les infections au Covid-19, mais le personnel médical manque toujours de masques et de blouses de protection. Dans tous les hôpitaux, le nombre de respirateurs est insuffisant. Les personnes qui téléphonent pour demander de l’aide doivent attendre des heures avant qu’on les rappelle. La situation la plus désastreuse se situe dans les établissements pour personnes âgées (« les Ehpad ») : le personnel est en nombre très insuffisant et la population est à haut risque.
Quelles dispositions ont été prises pour les travailleuses et les travailleurs ?
Depuis le début de la menace épidémique, le gouvernement et le Parlement ont introduit trois fois des changements légaux majeurs. Les points les plus importants sont les suivants :
1. les employeurs peuvent réduire les salaires ou le temps de travail et modifier les horaires de
travail, si un accord est signé avec les représentant·es syndicaux.
2. Dans l’éventualité d’une baisse d’activité, les employeurs peuvent limiter les temps de repos
quotidiens et hebdomadaires minimum des travailleurs et travailleuses.
3. En cas de fermeture des jardins d’enfants, les parents peuvent bénéficier d’un fonds pour la garde des enfants.
4. Les visites médicales des travailleuses et des travailleurs ont été suspendues.
5. Les employeurs peuvent mettre les salarié·es en télétravail, y compris en l’absence de contrat régissant le travail à distance.
6. Dans les infrastructures critiques (par exemple, la distribution d’eau, la production d’énergie) les travailleurs et travailleurs peuvent être confiné·es sur leur lieu de travail.
Quelles sont les conséquences pour les travailleuses et les travailleurs ? Pour les populations les plus pauvres en général (chômeurs et chômeuses, sans-abris, personnes travaillant dans le secteur informel, etc.) ?
Les restrictions en termes d’emploi et de sécurité sociale se traduiront immédiatement par une augmentation du chômage. Les autorités prennent des décisions dénuées de raison. D’une part, on parle déjà de « dégeler l’économie » pour stopper la récession. D’autre part, les restrictions auront pour effet une baisse drastique des revenus dans de nombreux foyers. Dans de telles circonstances, il ne sera pas possible d’augmenter la demande. Dans une économie libérale, bien évidemment, les
plus pauvres (celles et ceux qui n’ont pas d’économies) en paieront le prix.
Comme à l’issue des mesures anticrise prises en 2008, nous verrons une augmentation des contrats de « pacotille » (emplois occasionnels, contrats intérimaires, travail indépendant etc.) qui, par exemple, ne garantiront pas des niveaux de santé et de sécurité adéquats. Marché du travail, le logement, la santé constituent un système de vases communicants. La faiblesse des uns entraîne celle des autres. Il ne serait donc pas surprenant que le nombre de personnes sans domicile augmente.
Quels sont les modes de résistance mis en place par les mouvements syndicaux ?
De nombreux syndicats mènent des campagnes d’information. Á l’heure actuelle, notre priorité est d’empêcher la mise en place d’accords défavorables dans les entreprises. Malheureusement, nous recevons de nombreuses informations indiquant que beaucoup d’organisations signent ces accords, sans aucune garantie de maintien de l’emploi. Nos deux plus importants comités, chez Volkswagen et Amazon, ont mené un combat acharné pour que ferment leurs établissements. Ils ont obtenu gain de cause à Volkswagen. Nous sommes d’avis que nous ne devrions travailler, dans les circonstances actuelles, que là où c’est indispensable à la société. Nous avons surveillé la situation sanitaire et la sécurité dans d’autres lieux de travail et nous sommes intervenus lorsque c’était nécessaire.
Existe-t-il des demandes pour une réappropriation collective, de l’autogestion, une prise de contrôle des salariés ?
Nous demandons :
1. la réduction de la journée de travail à sept heures, sans diminution de salaire, afin de faire baisser le chômage.
2. Des contrats à durée indéterminée pour tous les employé·es.
3. Le respect de la règle du 3/1 pour fixer les salaires (le plus haut salaire ne pouvant être plus de trois fois supérieur au plus faible).
4. La simplification de la procédure des conflits collectifs pour permettre à tous et toutes de faire grève.
5. La possibilité pour tous les syndicats de participer aux « équipes de crise » des compagnies, qui décident de l’organisation du travail dans ces périodes.
6. La suspension de l’aide publique versée aux entreprises privées qui opèrent dans des zones économiques spéciales.
7. La désinfection régulière des lieux de travail.
8. L’augmentation des allocations chômage et leur extension à de plus longues périodes. L’universalisation du droit à une assurance santé et à l’accès gratuit aux services du système de santé.
9. L’accès gratuit et universel pour tous aux soins de santé.
10.La sauvegarde du système de retraite basé sur la solidarité et l’augmentation du minimum retraite.
11. Le gel des loyers et des remboursements d’emprunt. La suspension des expulsions,
auxquelles des milliers de personnes devront faire face à cause de la crise. Des expulsions de masse ne feront que nous rapprocher d’un effondrement social.
12. La priorité, au sein du budget de l’État, au financement du système de santé publique.
13. L’établissement d’un programme de soutien financier pour le secteur de soins afin que les besoins des personnes dépendantes et ceux de leurs soignants soient satisfaits.
La crise actuelle, permet, une fois de plus, de mettre en question ouvertement le capitalisme : selon quelles perspectives, d’après vous ? Avec quelles forces populaires ?
En y regardant de près, nous sommes en prise en Pologne avec ce qu’il convient d’appeler un capitalisme dépendant (dans « La théorie de la dépendance de Wallerstein »). Ce système repose sur les faibles coûts de la main d’œuvre, la forte influence de sociétés étrangères et le paradigme de « l’état bon marché ».
Nous voyons qu’à l’heure actuelle ces piliers sont ébranlés. Mais pour parler de rupture décisive avec le capitalisme nous avons besoin de la mobilisation générale des travailleuses et travailleurs. C’est à cette seule condition qu’il sera possible d’introduire les principes d’une solidarité sociale, dans laquelle le capital ne prévaudra pas sur le travail.
Publié le 5 mai 2020
Marta Rozmystowicz, responsable des relations internationales
de la confédération syndicale Inicjatywa Pracownicza (Initiative des travailleurs), en Pologne. http://www.ozzip.pl/
Inicjatywa Pracownicza est membre du Réseau syndical international de solidarité et de luttes.