Le 18 avril dernier, de bon matin, la police hongkongaise a fait irruption chez Jimmy Lai Chee-ying, le fondateur du groupe de presse Next Digital [éditeur notamment du très populaire et indépendant Apple Daily], pour procéder à son arrestation. Quatorze autres personnalités du clan démocrate à Hong Kong ont subi le même sort.
Parmi eux, le cas qui a retenu le plus l’attention est celui de Martin Lee Chu-ming, 81 ans, surnommé respectueusement “le Père de la démocratie” par les Hongkongais. C’était la première fois en plus de cinquante ans de militantisme en faveur de la démocratie que cet éminent avocat, défenseur de nombreuses personnalités du camp démocrate, était interpellé.
Plus de place pour les modérés
Cette vague d’arrestations est motivée par la participation illégale des personnes interpellées à des rassemblements non autorisés contre le projet de loi d’extradition l’an dernier. [Ce texte a provoqué l’ire des Hongkongais, qui y voient un affaiblissement du pouvoir judiciaire du territoire face à Pékin.]
Contrairement aux contestataires hongkongais plus jeunes, plutôt jusqu’au-boutistes, ces figures du clan démocrate sont pour la plupart des partisans d’une réunification démocratique qui demandent seulement à Pékin de tenir ses engagements en accordant une véritable autonomie étendue à Hong Kong selon le principe “un pays, deux systèmes”.
Ces événements montrent qu’il n’y a quasiment plus de place pour la ligne modérée, que ce soit au sein de la société hongkongaise ou pour Pékin.
Résultat d’une escalade
Il faut donc voir dans cette vague d’interpellations un symbole. Voici ce qu’a tweeté à ce propos Tim Culpan, écrivain et chroniqueur de Bloomberg, résidant depuis longtemps à Taïwan :
“Selon moi, le 18 avril 2020 restera une date historique, celle du jour où la Chine a renoncé à prétendre vouloir ‘réunifier pacifiquement Taïwan’. La façon dont Pékin traite Hong Kong ne peut être dissociée de celle dont elle compte traiter Taïwan.”
En fait, les nouvelles qui se succédaient laissaient présager une répression imminente.
Le 13 avril, les deux Bureaux de Hong Kong (le Bureau des affaires de Hong Kong et Macao, organe de l’administration chinoise chargé des liens avec les deux villes, et le Bureau de liaison avec la Chine) avaient accusé violemment le député du Parti civique [démocrate] Dennis Kwok de faire de “l’obstruction parlementaire” pour retarder l’élection du président de la commission des lois [du LegCo, l’assemblée législative], estimant qu’il violait ainsi son serment parlementaire.
Le 14 avril, des hauts magistrats confiaient à l’agence de presse Reuters leur inquiétude de voir l’indépendance judiciaire de Hong Kong menacée par la tentative de Pékin de peser sur leur droit de statuer en dernier ressort.
L’article 23 au cœur du contentieux
Le fait le plus marquant a eu lieu le 15 avril. Ce jour-là, Luo Huining, le nouveau responsable du Bureau de liaison avec la Chine, en poste depuis janvier, a rouvert le dossier brûlant de la mise en œuvre de l’article 23 de la Loi fondamentale.
Cet article stipule que les autorités doivent introduire une loi sur la sécurité nationale avec pour objectif d’interdire les actes de trahison, sécession, sédition et subversion sur le sol hongkongais. [Cet article est controversé car considéré comme portant atteinte à la liberté d’expression à Hong Kong et au principe “un pays, deux systèmes”.]
Luo Huining a souligné que, depuis sa rétrocession à la Chine en 1997, Hong Kong constitue une brèche dangereuse pour la sécurité nationale de la Chine, en permettant l’intrusion de forces étrangères. Pour y remédier au plus vite, il a indiqué qu’il fallait prendre des dispositions.
Les administrateurs chinois s’imposent
Le 18 avril, dans la soirée, après la grande vague d’arrestations, les deux Bureaux ont par ailleurs tenu à rappeler que Pékin leur avait conféré la mission de s’occuper des affaires hongkongaises.
Ils avaient à ce titre le droit de les superviser au nom du gouvernement central, et ce sans se soumettre à l’article 22 de la Loi fondamentale qui stipule pourtant que “aucun département du gouvernement central ne peut interférer dans les affaires de la Région administrative spéciale de Hong Kong”.
Cette nouvelle interprétation de l’article 22 [qui garantit à Hong Kong l’indépendance de son système] par les deux Bureaux a soulevé un tollé dans la société hongkongaise.
Agir vite
Pékin ne voudrait-il pas profiter de ce que les États-Unis et la communauté internationale sont accaparés par la lutte contre l’épidémie pour se dépêcher de mettre à exécution ce projet, avant les élections législatives en septembre à Hong Kong ?
En fait, la nomination en début d’année de Luo Huining, qui n’a jamais géré de dossiers en rapport avec Hong Kong et Macao, qui connaît mal la sphère politique et les milieux d’affaires hongkongais, et qui a plutôt l’âge de prendre sa retraite, avait déjà été interprétée par de nombreux observateurs comme le signe qu’il aurait pour mission de mettre en place l’article 23.
De plus, ces derniers jours, le très controversé représentant du clan constructif [pro-Pékin], Junius Ho, a plaidé à maintes reprises pour l’application de l’article 23 ; avec le groupe Alliance 23 fondé par plusieurs organisations pro-Pékin, il a lancé une pétition en ligne en faveur de cette mesure, en prétendant qu’elle aurait recueilli 1 million de signatures.
Un territoire sous tension
Rappelons-nous ! La dernière fois que Pékin a tenté de faire passer l’article 23, c’était également en pleine épidémie, en 2003, alors que la crise sanitaire du Sras venait d’éclater à Hong Kong. Plus de 500 000 manifestants avaient défilé dans les rues pour protester contre une telle décision, qui avait finalement été suspendue. Mais, dix-sept ans plus tard, les circonstances sont tout autres.
Peu après l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012, a éclaté le mouvement des parapluies,, qui a incarné durant soixante-dix-neuf jours le combat pour le suffrage universel du clan démocrate hongkongais.
L’an dernier, le mouvement contre le projet de loi d’extradition vers la Chine a secoué le territoire pendant plus de six mois, avec des manifestations qui ont fait descendre dans la rue jusqu’à 2 millions de personnes ; même la situation politique à Taïwan en a été profondément influencée. Cette année, Hong Kong est de plus confronté à une pandémie d’une ampleur inédite depuis cent ans. Les tensions à la fois intérieures et extérieures qui s’exercent sur le territoire sont bien supérieures à celles de 2003.
Une détresse invisible en pleine pandémie
Mais la détresse de Hong Kong est désormais moins visible du monde extérieur.
Le mouvement de protestation contre le projet de loi sur l’extradition, qui a démarré en juin dernier, est allé crescendo jusqu’à la mi-novembre, avec les universités de Hong Kong (HKU) et polytechnique (PolyU), théâtres de véritables batailles rangées.
Suite à ces événements, le clan démocrate a remporté une victoire écrasante avec 80 % des sièges lors des élections pour les conseils de district le 24 novembre. Il a alors mis en sourdine le combat qu’il menait depuis plus de six mois.
Du fait de la diminution des scènes sanglantes et héroïques d’opposition courageuse, et des ravages de l’épidémie dans tous les pays, qui, trop débordés, n’ont plus le temps de s’intéresser à la situation des autres, l’attention médiatique dont faisait l’objet Hong Kong a nettement reculé. Nul doute que les gouvernements hongkongais et de Pékin ont pris cet élément de compte.
Une volonté de tout écraser
Voilà donc que la promesse faite dans les années 1980 d’accorder à Hong Kong “un haut degré d’autonomie selon le principe : ‘un pays, deux systèmes’” fait l’objet d’une nouvelle interprétation quarante ans après ! Cela n’a rien d’étonnant pour ceux qui connaissent bien l’histoire du Parti communiste chinois.
Le PCC a toujours su réajuster merveilleusement et rapidement sa ligne au gré de l’évolution de la situation. Une fois qu’il tient bien en main les rênes du pouvoir, il peut tout à son gré interpréter ensuite les choses dans un sens favorable à ses propres intérêts.
“Il importe peu au gouvernement chinois, poussé par une logique de rapport de forces, que les Hongkongais s’éloignent de plus en plus de lui… Signe d’une volonté de tout écraser.”
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Lin Yiting
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