Comme un symbole du foyer épidémique qui se déplace, l’hôpital de campagne installé par l’armée française à Mulhouse doit être déployé ces jours-ci dans l’océan Indien, à Mayotte. Alors qu’il n’accueillait plus aucun patient atteint du coronavirus dans le Haut-Rhin, ce dispositif permettra dans un premier temps d’ajouter dix lits de réanimation à un système de santé mahorais déjà au bord de la saturation. La ministre des armées, Florence Parly, a expliqué devant l’Assemblée nationale que les moyens militaires déplacés d’Alsace vers l’archipel des Comores seraient opérationnels d’ici à « la fin du mois » de mai.
Ce mercredi 13 mai 2020, l’épidémie de Covid-19 poursuit sa progression dans le 101e département français : 1 095 cas ont été détectés, 42 personnes sont hospitalisées et 12 décès sont à déplorer. Sur une île qui compte un peu moins de 300 000 habitants, c’est surtout la dynamique de contamination qui inquiète.
« Nous sommes décalés : ce que vous avez connu il y a quelques semaines en métropole au moment du confinement est en train de se produire à Mayotte, regrette Jamel Mekkaoui, directeur régional de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Dans le reste de l’outre-mer, la stratégie de confinement a plutôt bien fonctionné et le nombre de nouveaux cas est maintenant dérisoire mais à Mayotte c’est le contraire. Pour expliquer cette situation, il faut avoir conscience que nous avons un gros sujet de préoccupation sur les règles du confinement qui sont beaucoup plus difficiles à respecter qu’ailleurs, au regard des conditions de vie de la population ici. Au début du confinement, c’était un élément de contexte. Aujourd’hui, il éclaire grandement la situation du territoire. »
Dès les premiers jours du confinement, une crise alimentaire et sanitaire liée à la mise en suspens de l’économie informelle a frappé l’archipel [1]. « Des associations ont été mandatées par la préfecture afin d’effectuer des distributions de colis alimentaires mais malheureusement il existe encore des personnes qui ne sont pas recensées, déplore Solène Dia, chargée de projet à la Cimade de Mayotte. La crise est sérieuse parce qu’une grande part de la population vit sous le seuil de pauvreté et une partie des personnes qui survivaient grâce à la vente à la sauvette par exemple a été plongée dans la précarité à cause du confinement. De nouveaux publics sont venus s’ajouter à la liste de ceux qui ont besoin d’une aide alimentaire d’urgence pour survivre. »
Délinquance, violence urbaine, insécurité grandissante : les maux qu’endure la population de Mayotte ne sont pas nouveaux mais ils ont été exacerbés par le confinement. « L’opération militaire Résilience est sur le terrain, l’état et l’île de La Réunion font preuve de solidarité avec Mayotte, tout le monde est sur le terrain », voulait rassurer la ministre des outre-mer Annick Girardin, lors de la séance des questions au gouvernement de ce mardi 12 mai. Elle répondait à une question du député (LR) Mansour Kamardine, qui demandait des renforts de police « afin d’éviter la catastrophe ».
Que l’épidémie continue sa progression rapide ou qu’elle soit endiguée, l’État devra de toute façon prendre une décision dans les tout prochains jours sur la poursuite du confinement. Les mesures de fermeture des commerces non essentiels et les restrictions de circulation ont été prolongées jusqu’au 18 mai. Ce jeudi 14 mai, une réunion interministérielle statuera sur une éventuelle prolongation de ces mesures au-delà du 18 mai ou bien décidera d’un allégement progressif. La réouverture des écoles est un enjeu énorme. Lorsque les établissements scolaires sont ouverts, une part substantielle des enfants ne mange qu’une fois par jour, à l’école.
La jeunesse de la population mahoraise est d’ailleurs le seul point positif dans ce tableau épidémique bien sombre : seulement 4 % de ses habitants ont plus de 60 ans. La pyramide des âges et la faible répartition des personnes à risque laisse donc un peu d’espoir. À titre de comparaison, la population française dans son ensemble compte en son sein plus de 24 % de personnes de plus de 60 ans.
Une seule chose est certaine : c’est bien avec l’aide de l’autre département français de l’océan Indien, La Réunion, que sera gérée cette crise sanitaire mahoraise. Hors épidémie de Covid-19, les évacuations sanitaires de Mayotte vers La Réunion sont monnaie courante. Cette fois, elles ont lieu grâce à des vols spéciaux, un « pont aérien » mis en place par l’État. « Les patients dont le pronostic vital ou fonctionnel est engagé sont naturellement prioritaires [pour une évacuation vers La Réunion – ndlr], quel que soit leur statut virologique, écrit la préfecture de Mayotte. Des “évasans” [évacuations sanitaires – ndlr] de patients Covid + en vue d’une hospitalisation, d’une réadaptation respiratoire ou de soins de suite, en l’absence d’établissement spécialisé à Mayotte, sont également programmées. » En poussant les murs au maximum, l’hôpital de Mamoudzou pourrait parvenir à un total de vingt-six lits de réanimation.
Alors que La Réunion est en vert sur la carte épidémiologique régulièrement mise à jour par le gouvernement, Mayotte est rouge et paraît devoir rester dans cette situation encore un certain temps. Si la situation s’aggrave, il est aussi à craindre que les transferts de patients d’un département à l’autre génèrent des tensions sociales, entre deux îles dont les populations se connaissent bien tout en ayant parfois des difficultés à vivre ensemble.
Les deux DOM sont confrontés – bien qu’à des degrés différents, Mayotte étant beaucoup plus touché que La Réunion – à une épidémie de dengue [2], une maladie virale transmise par un moustique. La dengue est mortelle, « elle brouille les pistes sur le plan statistique », s’inquiète Jamel Mekkaoui, le directeur régional de l’Insee. « Comme partout en France, nous avons des données à propos de la surmortalité par rapport à l’année dernière mais il est très difficile de dire si cette surmortalité (30 % par rapport à 2019) est due à la dengue ou au Covid-19. Deux épidémies en même temps, c’est très compliqué, surtout que les facteurs de comorbidité sont importants. »
Les symptômes de la dengue et du Covid-19 sont proches, sans être semblables. La distinction entre les deux causes de surmortalité est d’autant plus difficile à faire qu’une large part des décès n’a pas lieu à l’hôpital mais plutôt au domicile. L’agence régionale de santé (ARS) de Mayotte a estimé que le pic épidémique de Covid-19 ne sera pas atteint sur l’Île aux parfums avant le 20 mai.
Les projections économiques de l’Insee, elles, tablent sur une baisse de l’activité économique de 18 %. C’est moins qu’en métropole où la baisse d’activité due au confinement est plutôt évaluée autour de 36 %. Mais les projections mahoraises ne prennent pas en compte l’activité informelle et « l’économie de survie » propre au 101e département français. Là, les conséquences sont tout bonnement incalculables.
Julien Sartre