L’hôpital public, déjà en situation critique avant l’épidémie, a réussi à accueillir, dans l’urgence, une grande partie des patientEs. Il a néanmoins été débordé dans certaines régions où, parfois, des choix éthiques déchirants (qui soigner ?) se sont posés. Ses professionnelEs, ses équipes ont réussi à faire face et à éviter que l’épidémie ne devienne plus dévastatrice. Faute de moyens, ils et elles n’y sont toutefois parvenus qu’au prix de risques considérables et d’un travail épuisant avec des conséquences durables pour leur santé.
L’absence de politique de santé publique permettant d’anticiper l’épidémie (révélée par l’absence de masques), les conséquences dramatiques de politiques d’austérité, de privatisation et de marchandisation de la santé menées depuis un quart de siècle sont devenues visibles pour touTEs. La question du droit à la santé et de soins accessibles à touTEs est l’une des grandes préoccupation pour construire le « monde d’après ».
Austérité et hôpital-entreprise
L’exemple est emblématique. Le 25 mars, à Mulhouse, Macron prononce un discours célébrant les soignantEs et annonçant un « investissement massif » pour l’hôpital, devant un hôpital de campagne monté à la hâte. Les hôpitaux de Mulhouse subissent alors le pic de la pandémie, les urgences sont sous pression, des patientEs doivent être évacués vers d’autres régions ou pays voisins. Mais la crise vient de loin. Revenons quelques semaines en arrière, dans la même agglomération.Le virus ne circulait pas encore. Pourtant, à Mulhouse, le « groupement hospitalier régional » devait temporairement fermer l’un de ses service des urgences à Saint-Morand d’Altkirch faute de médecins. Sur le site de Mulhouse, il ne restait plus que sept médecins aux urgences, sur un effectif théorique de 34, et les 17 internes affectés au service étaient en arrêt de travail pour épuisement professionnel.
Dans la même région, le 3 avril, en pleine crise, alors que les services saturés du CHU de Nancy combattent l’épidémie dans des conditions très difficiles, le directeur de l’Agence régionale de santé ne voit « pas de raison de remettre en cause » le plan de restructuration (COPERMO) qui prévoit 598 suppressions de postes et 174 fermetures de lits prévues d’ici 2025. Il sera muté, pour avoir parlé trop fort au mauvais moment, mais à Nancy comme ailleurs le COPERMO n’est que suspendu.
Manque de personnel, fermeture de 100 000 lits en 20 ans, de services d’urgences, de maternité, de chirurgie de proximité, regroupement dans d’énormes usines à soins déshumanisées mais plus « rentables » : les effets des politiques d’austérité, de régression des budgets hospitaliers, n’ont pas attendu l’épidémie pour se manifester. Tout au long de l’année 2019 les services d’urgences ont été en grève et les mobilisations hospitalières se sont succédé pour exiger, sans succès, un recrutement massif de personnel, l’augmentation en conséquence des budgets hospitaliers, la revalorisation des salaires (300 euros pour touTEs) qui puisse rendre attractif le travail difficile à l’hôpital. Les « plans » successifs de Macron/Buzyn n’ont en rien répondu à ces attentes.
Effets calamiteux
Les effets pervers de la gestion de l’hôpital public sur le mode de l’entreprise, dont la « tarification à l’activité » est l’un des principaux outils, ont été mis en relief par la pandémie.
L’hôpital étant rémunéré selon le nombre d’actes fournis, un lit vide est un lit « non rentable », et le « taux d’occupation des lits » doit être le plus élevé possible. Pas de place dans ces conditions pour anticiper des événements « imprévus », comme une épidémie.
La politique des gouvernements successifs a consisté à « externaliser » vers des opérateurs privés (cliniques privées commerciales, secteur social et médico-social associatif) une part croissante des missions de l’hôpital public, et en finir avec la place centrale de celui-ci dans le dispositif de soins.
Les effets de cette politique, même si l’État a dû en catastrophe « réquisitionner » une partie des établissements privés, n’ont été que trop visibles au cours des dernières semaines.
Les scandales d’un système de santé privé ont été tout particulièrement visibles dans les EHPAD, où la course aux profits s’est payée en nombreux décès, très certainement évitables. Malgré des tarifs prohibitifs et des profits insolents, ces groupes, comme Korian, sont accusés par de nombreuses familles ne n’avoir pas mis en œuvre les mesures indispensables à la protection des résidentEs.
Enfin, la volonté de basculer le système de santé vers des soins « ambulatoires » privés, confiés à une médecine de ville à bout de souffle, a montré au grand jour ses limites. Les médecins libéraux, contraintEs à un exercice solitaire, dans le cadre d’une médecine purement curative, à l’acte, ne peuvent répondre aux missions de prévention, de promotion de la santé, de dépistage, de mise en place avec la population de mesures sanitaires qui devraient être celles d’un service public de santé en période d’épidémie. Ils le peuvent d’autant moins qu’ils sont souvent débordéEs et en nombre insuffisant dans les déserts médicaux.
Les leçons de l’épidémie exigent un renforcement des moyens du service public de santé, qui ne doit pas se limiter à l’hôpital, à l’opposé de la poursuite et de l’accélération de ce qui n’a pas fonctionné depuis 25 ans et que veulent poursuivre Macron/Véran avec le « Ségur » de la santé.
Jean-Claude Delavigne