Hôpital Châteauroux-Le Blanc : « Cette colère est due au manque de moyens humains et matériels »
Franck Blanc est brancardier aux urgences sur le site hospitalier de Châteauroux. Ce syndicaliste CGT a accepté de répondre à chaud à quelques-unes de nos questions.
La gestion de crise de l’épidémie de Covid-19 a profondément bouleversé le fonctionnement des structures de santé.
Quels changements d’organisation as-tu observés dans les services du site hospitalier de Châteauroux et quelles ont été les conséquences sur les conditions de travail des soignantEs ?
En effet, depuis la crise de l’épidémie le fonctionnement des structures de santé a connu de grands bouleversements, à l’image de la création des « unités Covid » dont la mise en place a été réalisée en catastrophe : nous avions un nombre d’infirmièrEs et d’aide-soignantEs trop bas par rapport à celui des malades. Il faut noter une nette dégradation des conditions de travail avec notamment une modification de la tranche horaire de travail passée à 12 heures sans la consultation des syndicats. Pour certainEs d’entre nous, cela atteignait 13 ou 14 heures ! C’est illégal et doit passer en CTE (comité technique d’établissement). Cette situation a révélé que nous étions démunis numériquement.
Dans cette période inédite, de nombreux services ont fermé, ce qui a entraîné un danger supplémentaire pour les malades atteints d’embolie pulmonaire ou ayant des risques cardiaques par exemple.
La CGT a tout de même réussi à mettre en place tous les mercredis des CHSCT extraordinaires durant cette période.
D’après la direction, une aide-soignante est décédée du Covid-19 et plus d’une centaine de soignantEs ont été contaminés. Peux-tu nous parler de l’état d’esprit des travailleurEs aujourd’hui ?
Suite au décès de cette aide-soignante et à la contamination de beaucoup d’agentEs, dont certainEs sont encore hospitalisés ou en convalescence, les agentEs ressentent plutôt de la colère. Même s’il est encore un peu tôt pour faire un constat avec elles et eux, il est clair que cette colère est due au manque de moyens humains et matériels. Nous espérons que cela se traduira par une mobilisation à la hauteur de cette crise qui a mis en lumière la santé de l’hôpital public après 30 ans de régression sociale. Si toutes et tous les agents à Châteauroux, comme partout en France, avaient été équipés de masques et de protections dès le début de l’épidémie, il y aurait certainement eu moins de soignantEs contaminés. Il faut dire qu’il y a eu une sorte d’omerta à l’hôpital ces dernières semaines, mais aujourd’hui les langues commencent à se délier. On ressent à présent de la part des agentEs un besoin de parler.
Evelyne Poupet, la directrice générale de l’hôpital Châteauroux-Le Blanc, a annoncé dans la presse locale que cette crise aura un coût financier et parle même d’une baisse de recettes de 4 millions d’euros. Quelles peuvent être les répercussions de cette situation sur les mois et années à venir ?
Cette crise aura un coût financier de 4 millions d’euros dixit Mme Poupet… Cela prouve bien son rôle de directrice qui est plus proche de la Finance que des agentEs !
Bien évidemment, ce déficit se répercutera sur les agentEs avec de nouvelles mesures pour faire encore plus d’économies (pas de création d’emplois, pas de remplacements, pas de nouveaux moyens pour les différents services…). Depuis la fusion de l’hôpital du Blanc avec celui de Châteauroux, une épée de Damoclès se trouve sur l’ensemble des services blancois. On pense notamment au service de chirurgie.
Nous observons depuis quelques jours se développer des Jeudis puis Mardis de la Colère, permettant aux professionnelEs de la santé de reprendre le chemin de la lutte malgré des conditions difficiles pour se mobiliser. Quelles sont aujourd’hui vos revendications et quelles actions envisagez-vous localement ?
Nous sommes en train de finaliser nos revendications mais nous demandons déjà une augmentation de salaire de 300 euros pour toutes et tous ainsi que le versement de la prime de 1 500 euros (alors que pour le moment dans l’Indre il ne serait question que de 500 euros), l’embauche massive de soignantEs pour améliorer les conditions de travail et la prise en charge des malades et la réouverture de lits et de services fermés ces dernières années (comme la maternité du Blanc par exemple).
Nous nous rendrons dans un premier temps à la manifestation organisée par l’UD CGT 36, mercredi 27 mai, dans l’optique de déconfiner nos colères. Le mouvement de grève aux urgences, qui avait été mis en sommeil durant le confinement, a repris depuis le 18 mai et nous sommes en train de préparer la grosse mobilisation qui aura lieu le 16 juin prochain.
• Créé le Mercredi 27 mai 2020, mise à jour Mercredi 27 mai 2020, 09:19 :
https://npa2009.org/actualite/sante/hopital-chateauroux-le-blanc-cette-colere-est-due-au-manque-de-moyens-humains-et
Mortagne-au-Perche : « Le développement d’un cluster est-il imputable à la volonté de maintenir la rigueur budgétaire ? »
Nous avons rencontré le secrétaire du syndicat CGT du Centre hospitalier de Mortagne-au-Perche (Basse Normandie). Un établissement particulièrement touché par le Covid19.
En quoi avez-vous été particulièrement touchés ?
Établissement de troisième ligne, nous aurions dû être l’arrière-garde de la lutte contre le Covid pourtant, aujourd’hui, nous sommes qualifiés de « Cluster ». Pour nous, la reconnaissance de cet impact sur le Centre Hospitalier par l’État s’exprime dans le décret du 14 mai 2020 sur la prime Covid où nous sommes nommés à l’annexe 2 permettant d’accéder à l’article 8 (prime de 1500 euros hors département les plus touchés). Nous sommes le seul établissement de troisième ligne de basse Normandie dans cette situation, les deux autres établissements concernés étant Alençon (deuxième ligne) et Caen (première ligne).
Quels sont les raisons de ces contaminations en « cluster » de patients mais surtout d’agents ?
L’explication invoquée, toujours à l’oral, par la direction est que les contaminations seraient du fait des soignants qui, en salle de pause, n’auraient pas suffisamment respectés les « gestes barrières », argument confortable pour justifier leurs propres manquements. Pour nous, le manque de communication, l’absence de concertation dans les décisions, et le peu de prise de position claire en cellule de crise sont à l’origine de ces contaminations.
Lors du premier mois de crise sanitaire, la direction semblait plus attachée à communiquer sur les dons des commerçants locaux que sur les éléments qui nous auraient éviter de « naviguer à vue » dans les services. En effet, il n’y a eu quasiment aucune communication sur le Covid. Sur le fond, nous manquions d’informations et de directives. Plusieurs agents ont été mis à mal dans leur pratique professionnelle face au Covid, jusqu’à subir des pressions importantes, alors que nous n’avions encore aucune directive de la direction. Par exemple, la première note d’information sur le port du masque est parue cette semaine au-delà d’un flash info mi-avril (adressé au grand public par l’établissement). Nous attendions des directives claires sur quels types de masques, de tenues, on devait porter où et quand... Actuellement, tous les personnels n’ont pas encore ces informations.
Nous avons donc décidé de fonder un syndicat au sein de l’établissement (nous étions jusqu’alors rattachés à celui du Centre hospitalier de L’Aigle). Nous avons, à la suite de cette fondation, réalisé deux tracts : un premier dénonçant la situation de l’établissement et un second réclamant la distribution de la prime Covid de 1 500 euros à tous les agents et la mise en place d’une consultation de la médecine du travail en lien avec les nombreuses contaminations d’agents (nous n’avons plus de médecine du travail depuis deux ans sur l’établissement).
Pour nous, cette situation exceptionnelle n’est pas tant le résultat de l’incompétence de notre direction à faire face à la crise mais semble plutôt liée à une volonté – même lors de la crise sanitaire – de maintenir la rigueur budgétaire de l’établissement coûte que coûte et de « passer pour le bon élève » auprès de l’ARS. Ainsi, 17 lits Covid ont été ouverts en Médecine dans un établissement qui compte 98 lits de Médecine et Soins de suite et réadaption. Les soignants Covid+ asymptomatiques ont été maintenus en activité dans les secteurs Covid. En plus de n’avoir d’autre choix que d’exposer leurs collègues, ils ont du eux même en faire les frais en venant travailler en étant contaminé (sentiment d’être des « pestiférés », terme loin d’être anodin et qui reviendra régulièrement dans la bouche des soignants). Les masques n’ont jamais manqué mais les surblouses ont fait défaut et il a été décidé de laver les tenues à usage unique (avec un important pourcentage de perte et exposant les agents qui étaient chargés de les nettoyer).
Combien d’agents contaminés ?
Nous n’en avons aucune idée car la direction ne communique pas non plus sur ce chiffre. Certains cadres ont eu le privilège de l’avoir les premiers jours puis l’information (inquiétante ?) a été confinée à la cellule de crise.
Au moment critique du « cluster », 169 personnes, dont une grande majorité d’agents du sanitaire, ont été testées par prélèvement nasal. Six ont été dépistés positifs. En l’absence de médecine du travail, c’est la DSI (direction des soins infirmiers) qui recevait les résultats personnels des tests et les donnait aux cadres des services. L’annonce s’est donc faite par le « bouche à oreille », sans aucun respect de la confidentialité et du secret professionnel alors qu’il s’agissait d’une donnée médicale…
Suite à l’évidence de ce « cluster », l’ensemble des services sanitaires (sauf les urgences et le SMUR) ont été fermés pour désinfection. Si cette décision est présentée comme étant celle du directeur, nous avons peu de doute sur le fait qu’elle découle de l’ARS Normandie et du CPias (Centre d’appui pour la prévention des infections associées aux soins). Les agents ont été placés en congés « forcés » ou réaffectés en EHPAD (logique pour préserver ces services du Covid…). Certains ont été affectés à la désinfection des locaux. Ces agents ont été rappelés la veille pour le lendemain sans aucun respect du délai de prévenance (pratique habituelle dans l’établissement).
Côté patient, des dizaines ont été transférés vers d’autres établissements. Certains à plus de 80km de chez eux. L’établissement n’a plus été en mesure d’assurer ses missions de service public sur le territoire.
Comment organisez-vous la résistance par rapport à cette situation ?
Notre syndicat naissant a signalé ces éléments par des tracts. Nous nous inscrivons dans les mar(re)dis de la colère organisés par l’USD CGT Santé. Un rassemblement a eu lieu mardi dernier devant le CH d’Alençon avec plus d’une cinquantaine de personnes, un autre est prévu mardi prochain devant le CH de L’Aigle. Étant encore peu implanté chez nous, nous avons décidé d’attendre pour ce type d’action. Nous nous réunissons, nous réfléchissons, nous échangeons par les divers moyens que nous avons à notre disposition, car forcément, nous n’avons pas de délégation syndicale étant nouvellement implanté.
Les informations nous arrivent au compte-goutte par la direction puisque nous ne sommes pas élus aux instances représentatives du personnel. A l’inverse, les agents nous font part, toutes les semaines, des dysfonctionnements de l’établissement. Néanmoins, en raison de la petite taille du Centre Hospitalier, les agents ont l’impression d’être facilement identifiable et redoutent donc de subir des représailles vis à vis de ce qu’ils nous communiquent. La dessus, je ne suis pas en reste, il y a quelques jours j’ai reçu de la direction une « invitation à discuter » sur mon positionnement professionnel... ce n’était jamais arrivé depuis que je suis sur l’établissement.
Au moins les choses bougent ! Après que nous ayons dénoncé l’absence de communication, toute une série de procédures internes ont été communiquées. Elles ont été publiées cette semaine mais semblent datées du début du mois... la veille de la parution de notre premier tract...
La création d’un syndicat CGT n’a pas été bien vécu dans l’établissement, les agents craignent de parler, nous avons même appris que des « enquêtes » auraient été menées pour savoir d’où venaient les informations que nous avions publiées dans nos tracts... Une belle criminalisation de l’action syndicale par une direction à la solde de la casse de l’hôpital publique depuis de nombreuses années et ce n’est pas terminé, malgré tout ça il est encore difficile d’obtenir de quoi se protéger du Covid. Dans les paroles, il est pourtant prétendu le contraire mais dans les actes la prévention et la protection des agents passent après la rigueur budgétaire. Nous nous préparons pour le retour à l’anormal.
Correspondante Santé
Références :
Page Facebook @CGT CH MORTAGNE
• Créé le Mardi 2 juin 2020, mise à jour Mardi 2 juin 2020, 10:25 :
https://npa2009.org/actualite/sante/le-developpement-dun-cluster-est-il-imputable-la-volonte-de-maintenir-la-rigueur
CHU : Succès d’un premier rassemblement à Pellegrin (Bordeaux)
Mardi 26, nous étions plusieurs centaines à l’appel des équipes SUD, CGT, FO et CNI, relayé par les réseaux militants. Entre 300 et 500 personnes ont occupé le vaste rond-point devant les Urgences de Pellegrin entre 12h et 15h, respectant bon an mal an la distanciation physique… mais resserrant les liens de la colère et de la lutte.
L’occasion qu’attendaient de nombreux hospitaliers et militants des luttes. Sous un soleil de plomb, passés les moments de retrouvailles, une longue minute d’applaudissements en colère a précédé les interventions, saluant les soignants touchés par le virus et ceux qui ont fait tourner l’hôpital partout dans le pays, qui ont permis d’éviter la catastrophe malgré une situation inacceptable, la mise à sac du service public de santé depuis des décennies.
Les interventions des militants présents ont dénoncé le cirque des « négociations » du Ségur de la santé, ont posé les revendications de 300 euros d’augmentation des salaires pour tous les hospitaliers, de toutes professions et statuts. Plusieurs interventions d’hospitaliers mais aussi de camarades d’autres secteurs, d’étudiants venus porter le soutien de la jeunesse, ont posé la question de la nécessaire riposte de l’ensemble du monde du travail non seulement parce que la santé touche tout le monde mais parce qu’il s’agit d’un même combat face à l’offensive globale en cours, la catastrophe annoncée.
D’autres rassemblements sont d’ores et déjà prévus devant des hôpitaux : jeudi 28 à 12h sur le rond point devant Haut-Lévêque à Pessac, le même jour à 12h30 devant l’hôpital Robert Boulin à Libourne… autant d’occasions de se retrouver, débattre et construire de nouveaux liens pour préparer la suite avec entre autre une première journée de mobilisation nationale dans la santé le 16 juin.
Créé le Samedi 30 mai 2020, mise à jour Samedi 30 mai 2020, 08:12 :
https://npa2009.org/actualite/sante/chu-succes-dun-premier-rassemblement-pellegrin-bordeaux
Caen : du monde sous le soleil… et devant le CHU
C’est un groupe de Gilets jaunes qui a initié l’appel à se rassembler ce samedi 22 mai à 14 heures devant le CHU en solidarité avec les salarié-e-s. En arrivant sur place à l’heure dite, nous n’étions pas bien certains d’être plus que la poignée d’individus qui avaient discuté deux jours plus tôt lorsque les Gilets jaunes avaient présenté leur idée au collectif « Plus jamais ça – le jour d’après » (comprenant les syndicats CGT, FSU et Solidaires et des associations, notamment écologistes). À la surprise générale, nous étions une bonne centaine au plus fort de l’action, en dépit de la concurrence des plages et du long week-end férié.
On remarquait des habitués des manifestations contre la réforme des retraites. Mais une bonne moitié de l’assistance était constituée d’un public plus éloigné du milieu militant caennais. Nous n’avons pas bougé de l’esplanade devant l’entrée des patients du CHU, mais on n’a pas eu le temps de s’ennuyer. Les initiatrices du rassemblement l’avaient organisé au millimètre : prise de parole, minute de silence pour toutes les morts illégitimes, puis minute de bruit en remerciement à tous les « travailleurs essentiels », chants (« On est là » dans sa version revisitée par Jolie Môme pour coller à l’actualité… qui est revenu bien vite à l’original sans doute pour le plaisir de taper sur Macron), et surtout des témoignages. Une patiente qui sortait de l’hôpital a remercié celles et ceux qui l’ont soigné et d’autant plus dénoncé la pénurie dans laquelle ils devaient se débattre. Une salariée d’un EHPAD privé de la région avait fait spécialement le crochet à sa sortie de poste pour venir affirmer sa solidarité avec les agent-e-s du public « parce que pour gagner, il faut qu’on soit ensemble public et privé ». Et une vraie ovation a accompagné l’annonce finale : la journée de grève de la santé du 16 juin.
Il n’est cependant pas dit que le CHU ne reçoive pas une ou deux autres visites d’ici là. Le public était assez motivé à l’idée de faire monter la mobilisation chez les salarié-e-s de la santé en élargissant les rangs des soutiens extérieurs.
• Créé le Dimanche 24 mai 2020, mise à jour Lundi 25 mai 2020, 14:14 :
https://npa2009.org/actualite/sante/caen-du-monde-sous-le-soleil-et-devant-le-chu