Le patronat va se sentir autorisé à licencier, d’autant que les milliards d’aides publiques qui sont déversées ne sont pas assortis de conditions pour le maintien de l’emploi. Parfois, les difficultés économiques auront bon dos : certains groupes vont se lancer dans une espèce de meccano pour se restructurer et élaguer des établissements.
Des suppressions d’emplois sous des formes diverses
Les licenciements dits économiques (notamment au regard des PSE – les plans dits sociaux – et autres catégories juridiques) ne constituent qu’une minorité des suppressions d’emplois. Celles-ci vont aussi prendre la forme de fins de CDD et de compressions des effectifs d’intérim. Il y aura aussi des ruptures conventionnelles.
Les formes des suppressions d’emplois peuvent rendre plus ou moins faciles les mobilisations. De plus, malgré les remises en cause des lois travail, il subsiste un écart important entre grandes entreprises et petites. Une bonne partie des suppressions d’emplois auront lieu dans des entreprises où il n’y a pas de syndicats, qui ne sont pas obligées de faire des plans sociaux et, qui, dans le contexte de crise, pourront connaître des difficultés réelles. Nombre de ces entreprises (dans l’industrie, le bâtiment, les services informatiques, le nettoyage…) sont dépendantes des grands donneurs d’ordres.
C’est dans ces conditions difficiles que, dans les entreprises, vont s’engager des luttes pour le maintien des emplois. Le mot d’ordre d’interdiction des licenciements correspond à cette situation où patronat et gouvernement vont faire des salariéEs les variables d’ajustement de la crise.
La nécessité d’une réponse d’ensemble
Les dégâts sociaux engendrés par les licenciements et suppressions d’emplois appellent de la part du mouvement ouvrier, politique, syndical, associatif, la formulation d’une réponse d’ensemble qui soit à même de prendre en compte la totalité des cas, y compris les licenciements individuels dans les petites entreprises. Deux idées sont essentielles.
Première idée : il n’y a aucune raison que les salariéEs pâtissent de choix de gestion dont ils et elles ne sont nullement responsables. Après tout, ce sont les employeurs qui dirigent les entreprises, et c’est le système de profit et de concurrence qui conduit aux restructurations et aux destructions d’emplois.
Seconde idée : si la question ne peut être traitée au niveau de l’entreprise, il faut néanmoins que ce ne soit pas les salariéEs qui subissent les conséquences.
Tout engagement de procédure de licenciement, toute suppression d’emplois doit s’accompagner de l’ouverture des « livres de comptes », de la comptabilité, aux représentantEs des salariéEs ou aux organes d’auto-organisation dont ils se seront dotés. Livres de comptes du groupe en France et hors des frontières, et pas seulement de l’établissement où doivent avoir lieu les licenciements. À partir de là, deux cas de figure : soit le groupe ou l’entreprise peut payer le maintien de l’emploi, soit il est vraiment en difficulté. Ce qui peut se produire dans une crise comme celle d’aujourd’hui, mais cela ne doit pas exonérer les patrons de leurs responsabilités. Si un patron particulier ne peut vraiment pas payer, c’est le patronat en tant que collectivité ne cessant de se présenter comme un « partenaire social » qui doit le faire.
Il faut donc mettre en place des fonds de mutualisation à la charge exclusive des entreprises dans la logique de l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des Salariés (AGS), qui permettent de financer le maintien des emplois et, si ce n’est pas possible, le maintien de la rémunération intégrale et des droits des salariéEs, ainsi que les possibilités d’une réelle reconversion, par-delà les aléas de la vie de telle ou telle entreprise. La participation à ces fonds devrait être obligatoire.
Construire le rapport de forces
Licenciements et suppressions d’emplois ne sont pas inévitables. Dans les grands groupes, ils résultent de la concurrence « libre et non faussée » et sont la contrepartie des dividendes des actionnaires et rémunérations exorbitantes des dirigeants, et de la volonté de tous ces gens de les ébrécher le moins possible. Dans les PME, il peut y avoir des difficultés mais, là aussi, les dirigeants et propriétaires veulent préserver leurs avoirs.
Face aux licenciements qui vont déferler, le rapport de forces doit se construire dans l’entreprise chaque fois que c’est possible. Les syndicats doivent essayer d’associer aux mobilisations tous ceux et toutes celles qui dépendent de l’entreprise, y compris les CDD, intérimaires, salariéEs de la sous-traitance ou prestataires.
Mais le rapport de forces se construit aussi hors de l’entreprise. Les salariésE n’ont pas à payer la crise. Il ne faut pas qu’État et patrons puissent se renvoyer la balle.
L’État ne doit pas être la « providence » des capitalistes en faillite. L’interdiction des licenciements et des suppressions d’emplois, c’est une remise en cause du pouvoir patronal sur la société. Un patronat qui nous conduit à la catastrophe sociale et écologique.
Henri Wilno et Robert Pelletier