Paris, France — Le 13/03/07 - Une étude scientifique réalisée pour Greenpeace et publiée mardi 13 mars dans la revue américaine à comité de lecture Archives of Environmental Contamination and Toxicology [1], révèle que des rats nourris pendant 90 jours avec du MON863 [2], un maïs transgénique de Monsanto autorisé depuis 2005 en Europe, présentent des « signes de toxicité » au niveau des reins et du foie.
« C’est la première fois que des recherches indépendantes, publiées dans une revue à comité de lecture, prouvent qu’un OGM autorisé à la consommation humaine présente des signes de toxicité, affirme Arnaud Apoteker, de Greenpeace France. Il faut revenir d’urgence sur l’autorisation du MON863, d’autant que nous ne savons pas si ce maïs est présent sur le marché français et s’il est utilisé pour nourrir les animaux d’élevage ou pour produire des aliments destinés aux hommes. »
Tout commence en 2004, avec l’étude toxicologique réalisée par Monsanto pour l’homologation de son MON863. A l’époque, Greenpeace avait déjà tiré la sonnette d’alarme : les rats de laboratoire nourris avec ce maïs OGM présentaient des « effets » au niveau des reins et du foie. Ces anomalies — « non significatives... » d’après Mosanto — n’avaient pas empêché l’Union européenne d’autoriser l’importation du MON863 pour l’alimentation animale (août 2005) puis humaine (janvier 2006) [3].
Suite à cette autorisation, Greenpeace a chargé le professeur Gilles-Eric Séralini de réexaminer cette étude toxicologique. Les conclusions de ses travaux sont sans appel. « Notre étude démontre que les « anomalies » relevées il y a trois ans correspondent bien à des lésions hépato-rénales, affirme Arnaud Apoteker. Le MON863 comporte donc un risque réel de toxicité. Personne ne peut garantir qu’il n’est pas dangereux ! » Selon le professeur Gilles-Eric Séralini, les conclusions que Monsanto a tiré de son étude toxicologique ne tiennent pas la route. Par exemple, « la firme semble avoir tout simplement « oublié » d’étudier plus avant la différence significative entre le poids des rats nourris avec le MON863 et les autres, note-t-il. Et dans ses propres publications, Monsanto a même dissimulé des données cruciales provenant de tests d’urine. »
Cette affaire remet en cause l’ensemble du système d’autorisation des OGM en Europe. L’UE doit donc repasser au crible toutes les analyses sanitaires menées sur les OGM qu’elle a autorisés, à commencer par un autre maïs transgénique, le MON810, cultivé en France. « Il faut plus que jamais appliquer le principe de précaution et décréter un moratoire sur les OGM », réclame Arnaud Apoteker. Une telle mesure répondrait au souhait d’une écrasante majorité de Français. 86 % d’entre eux réclament une
interdiction - temporaire ou définitive - des OGM, et 62 % des agriculteurs souhaitent que le prochain président de la République décrète un moratoire sur les OGM [4]. « Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy est le dernier des candidats à l’élection présidentielle à rester sourd à cette demande, conclut Arnaud Apoteker. Il lui reste un mois pour changer d’avis. »
Pour mémoire : le MON863 a récemment défrayé la chronique sur Internet, avec le documentaire Les OGM sont-ils dangereux pour la santé ? L’étude qui accuse, présenté à tord comme censuré lors de sa diffusion télé et qui a été visionné par près de 3 millions d’internautes sur Google vidéo (dont vous pouvez retrouver des extraits sur Google Video, Youtube ou Dailymotion.
Notes
1. Bientôt sur :
www.springerlink.com/content/1432-0703. Synthèse (anglais) disponible sur demande.
2. Le MON863 est un maïs génétiquement modifié pour produire un insecticide dit « Cry3Bb1 modifié », qui élimine les insectes coléoptères (Diabrotica) et contient un gène de résistance à un antibiotique (Kanamycine).
3. Voir
http://europa.eu.int/eur-lex/lex/LexUriServ/site/en/oj/2006/l_034/l_03420060207en00260028.pdf
4. Sondage CSA/Greenpeace, septembre 2006. Et sondage Ifop/Fiducial/JDD, février 2007.
Compte rendu
Forts soupçons de toxicité sur un maïs OGM
Stéphane Foucart
Article paru dans le Monde, édition du 14.03.07
LE MONDE | 13.03.07 | 13h59 • Mis à jour le 13.03.07 | 13h59
Autorisé à la mise sur le marché en France et en Europe, le MON 863, un maïs transgénique conçu par Monsanto, est depuis plus de deux ans au centre d’une polémique sur son innocuité (Le Monde du 23 avril 2004). Ces débats pourraient reprendre après la publication, mardi 13 mars, dans la revue Archives of Environmental Contamination and Toxicology, d’une étude suggérant une toxicité de cet organisme génétiquement modifié (OGM) pour le foie et les reins.
Selon ces travaux, la consommation de maïs MON 863 perturbe plus ou moins fortement, chez le rat, de nombreux paramètres biologiques : poids des reins, poids du foie, taux de réticulocytes (jeunes globules rouges), de triglycérides, etc. La chimie urinaire est également modifiée, avec des réductions de sodium et de phosphore excrété pouvant aller jusqu’à 35 %. Les effets varient selon le sexe des animaux. « Chez la femelle, on observe une augmentation des graisses et du sucre dans le sang, une augmentation du poids du corps et du poids du foie par rapport au poids du corps, le tout associé à une plus grande sensibilité hépatique, dit M. Séralini, principal auteur de cette étude et par ailleurs président du Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (Criigen). Chez le mâle, c’est le contraire, avec une chute du poids du corps et des reins. »
Les auteurs de ces travaux ont utilisé les données tirées d’une expérience commanditée par Monsanto, qui a porté sur l’étude de 400 rats pendant 90 jours. Le traitement statistique appliqué à ces données par les experts de la firme agrochimique avait été publié, en août 2005, par Food and Chemical Toxicology. Ces travaux avaient bien mis en évidence des variations significatives de paramètres biologiques entre les animaux nourris au maïs MON 863 et ceux nourris avec son isogène - la même variété végétale, mais non modifiée génétiquement.
Les chercheurs de Monsanto avaient pour leur part conclu que ces écarts entraient dans le cadre de la variabilité naturelle des paramètres mesurés. Les effets produits par l’OGM n’avaient ainsi pas été considérés comme pathologiques. Quant à la « variabilité naturelle », elle avait été établie en mesurant les mêmes séries de données sur des rats nourris avec d’autres variétés de maïs non OGM, aux vertus nutritives différentes du maïs MON 863 et de son isogène.
Les données expérimentales brutes - plus d’un millier de pages - ont été tenues confidentielles par la firme agrochimique jusqu’à ce que Greenpeace en obtienne la publicité au printemps 2005, devant la cour d’appel de Münster (Allemagne).
Le Criigen a ainsi pu les examiner en détail et leur appliquer un nouveau traitement statistique. Celui-ci a notamment consisté, selon M. Séralini, à extraire des données brutes les effets les plus significatifs spécifiquement imputables à l’absorption de l’OGM.
« Sur les 58 paramètres mesurés par Monsanto, précise le chercheur, tous ceux qui sont altérés concernent le fonctionnement des reins ou du foie. » « En outre, Monsanto avait considéré que, puisque les mâles et les femelles réagissaient différemment, il n’y avait pas matière à inquiétude, poursuit M. Séralini. Or le foie, par exemple, est un organe qui réagit différemment en fonction du sexe. » De même, le fait que la réponse biologique mesurée ne soit pas toujours en adéquation avec la dose d’OGM reçue avait été interprété par les experts du semencier comme la preuve que le maïs transgénique testé n’était pas en cause. Un principe que conteste M. Séralini : « Lorsque les perturbations sont hormonales, par exemple, l’effet peut ne pas être proportionnel à la dose », dit-il.
Le toxicologue Gérard Pascal, membre, comme M. Séralini, de la Commission du génie biomoléculaire, juge erronées certaines conclusions du Criigen. « Je récuse l’analyse des courbes de poids des animaux, menée sans tenir compte de leur alimentation, dit M. Pascal. Mais je suis d’accord sur le fait que les réponses biologiques peuvent varier entre mâles et femelles et sur le principe qu’on ne doit comparer les effets d’un maïs OGM qu’avec son isogène, sans tenir compte des effets produits par d’autres variétés de maïs conventionnel. »
Selon M. Pascal, l’inadéquation entre dose d’OGM reçue et effets constatés sur les paramètres hépatiques disqualifie les conclusions de toxicité pour le foie. « Des différences significatives au niveau du poids des reins » et « les variations de sodium, de phosphore et de potassium urinaire » évoquent bien, elles, un effet rénal. « Mais, rappelle M. Pascal, la CGB avait poussé, à ma demande, les investigations sur les reins et n’avait trouvé en définitive aucune preuve de toxicité » (Le Monde du 15 décembre 2004). « Reste les variations des taux de réticulocytes et d’éosinophiles (globules blancs), ajoute M. Pascal. Cela, je ne sais pas l’interpréter, mais ce sont des paramètres qui bougent beaucoup dans les expérimentations. » Pour M. Pascal, les éléments apportés par le Criigen ne sont pas de nature à remettre en cause les avis favorables délivrés au MON 863. « Il ne s’agit là que d’une interprétation personnelle », ajoute le toxicologue.
Les travaux du Criigen ont été financés par Carrefour et Greenpeace, mais, justifie M. Séralini, « il n’existe aujourd’hui malheureusement pas de budgets publics pour mener ce genre de travaux ». Situation d’autant plus dommageable que, selon M. Séralini, « il faudrait refaire toute l’étude toxicologique en tenant des dosages hormonaux » et, surtout, poursuivre les tests bien au-delà de 90 jours, et sur d’autres espèces que le rat, pour pouvoir trancher.