Le mouvement contre “les violences policières et le racisme structurel” envers les Noirs aux États-Unis a sa bande-son. Et même bien plus que cela. En un tour d’horizon, le média musical en ligne Pitchfork s’est attelé à montrer en quoi “la musique joue un rôle crucial pour rapprocher les gens lors des manifestations”. Parfois au point d’être qualifié d’“outil” de contestation. “Nous avons rassemblé, poursuit Pitchfork, des vidéos qui montrent les nombreuses façons dont la musique est utilisée dans les manifestations à travers le pays.”
Cuivres du Sud à New York
Le 6 juin à New York, relate le site américain, “le meneur du groupe du Late Show with Stephen Colbert [célèbre programme télévisé], Jon Batiste, avait invité le public à se joindre à lui pour l’événement ‘We Are : A Peaceful Protest March With Music’ [‘Nous sommes : une marche de contestation pacifique et en musique’]”. Originaire de Louisiane, le musicien “a été rejoint par un brass band [groupe de cuivres et de percussions typique de cet État du Sud] qui a accompagné les chants et joué des chansons comme We Shall Overcome et Lean On Me”, œuvres emblématiques de la culture noire américaine. Au cours de l’événement, Jon Batiste a été interviewé par la chaîne CNN et a lancé : “Plus que tout, nous devons combattre l’apathie. Nous devons nous battre pour les vies des Noirs. Maintenant. Si nous ne le faisons pas, personne ne le fera.”
La chanson Lean On Me, hymne soul appelant à l’entraide et à la solidarité et grand classique du musicien noir Bill Withers (mort le 30 mars dernier), a également “été entonnée en chœur par la foule près de la Maison-Blanche”, à Washington, le 3 juin, ajoute Pitchfork.
Techno à Détroit
À Détroit, la musique a été utilisée comme revendication : celle d’une fierté locale, pour cette ville déshéritée et à majorité africaine-américaine, et celle de la reconnaissance de la place des Noirs dans l’histoire de la musique.
En l’occurrence, c’est la techno qui était à l’honneur, “un genre musical inhérent à l’histoire politique de la ville”, explique Pitchfork. Selon les mots d’une manifestante (blanche, comme de nombreux participants au rassemblement) dans un tweet largement repris : “NOUS AIMONS CETTE P***** DE VILLE. Détroit est le lieu de naissance de la techno et la techno est NOIRE. #BlackLivesMatter.”
WE LOVE THIS FUCKING CITY ! Detroit is the birthplace of techno and techno is BLACK 🖤 #BlackLivesMatter pic.twitter.com/fJTSmGH1nK
— think for yourself&question 👁 (@madiidanae) June 6, 2020
“Punk hardcore latino” à Los Angeles
Même chose dans la métropole californienne, où “Vandalize – un groupe latino de punk hardcore et de powerviolence [sous-genre se rapprochant du metal] originaire de Pico Rivera [ville de la banlieue est de Los Angeles à forte dominante hispanique] – a embarqué son matériel à l’arrière d’un pick-up et circulé parmi les manifestations dans le centre-ville.” Et jusqu’en première ligne, face à une rangée de policiers antiémeute.
Go-go à Washington
Idem dans la capitale américaine, de façon encore plus symbolique. Le 7 juin s’y est tenu un rassemblement contestataire autour du go-go, ce dérivé du funk né dans les quartiers africains-américains pauvres de la ville à la fin des années 1960.
Mené par “le percussionniste go-go Malik Dope, raconte Pitchfork, le rassemblement a déferlé dans les rues de la ville” comme, là encore, une affirmation de la place des Noirs dans l’histoire, la culture et aujourd’hui la société américaines, bien au-delà de la question des violences policières. Comme l’a ensuite résumé Malik Dope sur les réseaux sociaux : “Je suis sorti pour répandre la lumière dans les rues, comme à l’époque, et c’est exactement ce qui s’est passé.”
Rap à New York
Pitchfork rappelle aussi que des morceaux de rap engagés “comme Fuck tha Police, de NWA, et This Is America, de Childish Gambino, enregistrent des rebonds significatifs sur les plateformes de streaming”.
Mais, en l’occurrence, le titre Move Bitch, du rappeur Ludacris, est plutôt “devenu un improbable hymne de résistance” et une technique (ou contre-technique) de manifestation, comme l’explique le magazine musical. En effet, “la police a commencé à utiliser la technique du nassage des manifestants, en les piégeant dans un espace confiné d’où ils ne pourront fuir pour échapper à une arrestation (ou à l’usage de la force)”. Et les paroles sans détour de Move Bitch (“Dégage, salope, pousse-toi de mon chemin”) “sont utilisées par les manifestants pour répondre” à cette technique de la police de New York.
Un “Happy Birthday” de Stevie Wonder ironique à New York
Toujours dans les rues de Big Apple, “les manifestants ont rendu hommage” à Breonna Taylor, cette habitante noire de Louisville (Kentucky) tuée par huit balles de la police à son domicile le 13 mars dernier, “avec une interprétation de la chanson d’anniversaire de Stevie Wonder”. Le 5 juin, jour de la manifestation, Breonna Taylor aurait eu 27 ans.
Thousands on Atlantic Ave singing Happy Birthday to #BreonnaTaylor on what would have been her 27th birhdsy pic.twitter.com/RFWOtJBKNO
— Kate Willett (@katewillett) June 5, 2020
Beyoncé à Minneapolis
Dans la ville du nord des États-Unis où la mort de George Floyd sous le genou du policier blanc Derek Chauvin, le 25 mai, a été l’étincelle du mouvement de colère contre les violences policières et le racisme, “une marée humaine a dansé sur la reprise par Beyoncé de la chanson Before I Let Go, de Frankie Beverly & Maze”.
Encore une fois, l’alliage d’une superstar africaine-américaine d’aujourd’hui et de références aux glorieux anciens de la musique noire, ici le R’n’B mâtiné de soul et de funk, a été un symbole fort.
La macarena à Atlanta
Enfin, parmi encore quelques autres exemples, Pitchfork en signale un qui n’a rien à voir avec l’héritage culturel africain-américain. Dans les rues d’Atlanta, la capitale de l’État de Géorgie, “alors que les manifestants commençaient à danser, une femme a invité les membres de la garde nationale à se joindre à eux. Et, apparemment, c’est comme cela que des images de la garde nationale et de manifestants dansant ensemble la macarena ont vu le jour.” Comme quoi, parfois, la musique semblerait aussi jouer un autre rôle : celui d’adoucir les mœurs.
Countdown to curfew in Atlanta pic.twitter.com/vvITsNMSdB
— Jenny Jarvie (@JennyJarvie) June 5, 2020
Pitchfork
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