Alimenté par le futur complexe de barrages « Mokhtar Soussi-Aoulouz-Chakouken » en zone aride du Souss au Maroc, le projet de périmètre irrigué de El Guerdane [1]est prévu pour passer en DSP (Délégation de service public ou contrat d’affermage [2]) avec une concession de 30 ans. Il est possédé et géré par l’ONA (Omnium Nord-Africain, propriété du domaine privé de la Famille Royale et ancien conglomérat colonial du temps du Protectorat français) et financé par un prêt de la Banque Mondiale. Or l’ONA fait régulièrement « la une » de la presse marocaine pour sa mauvaise gestion et son degré de corruption [3].
La société française BRL abonde à hauteur de 10% du capital du consortium du périmètre de El Guerdane et en sera la société délégataire, dite aussi « société fermière » ce dès 2007. La SA BRL (Bas-Rhône Languedoc, anciennement Compagnie Nationale d’Aménagement BRL aux capitaux publics) voit une partie de son capital détenu maintenant par le Groupe Paribas Affaires, qui succède ainsi à la SAUR [4], filiale du Groupe Bouygues, depuis l’échec du projet de canal Rhône-Barcelone, et le reste est détenu par les collectivités territoriales de la région Languedoc-Roussillon, depuis la décentralisation, avec pour président Damien Alary, le président socialiste du Conseil Général du Gard.
L’eau sera vendue aux paysans de El Guerdane à 1,8 Dirham/m3 contre 0,25 Dirham/m3 ailleurs. Or les paysans de El Guerdane sont chaque jour harcelés par les autorités (Gouverneur, Caïds) et menacés par les policiers pour signer les contrats avec la société fermière. Seulement 30 % d’entre eux ont souscrit avec une mise de fonds de 1600 Dirham/hectare, mais tous les autres refusent encore.
Le contrat est cependant entaché d’une clause léonine qui stipule « qu’en cas de manque d’eau dans le nouveau barrage de »Mokhtar Soussi-Aoulouz-Chakouken« , la société fermière se verra compensée et dédommagée par l’Etat ». La privatisation a donc ses limites. Il n’y a donc pas de risques pour les investisseurs, le Maroc paiera de toutes façons. Soit les paysans, soit le budget public de l’Etat (à ne pas confondre avec celui de la Famille Royale). De toutes façons, la COFACE [5] doit bien assurer le tout.
On assiste ainsi à un étrange « partenariat public-privé » formule pourtant largement vantée par la Banque Mondiale.
Bruxelles, le 14 Décembre 2006.
Notes
1. 10.000 ha, 600 millions de Dirhams soit 55 millions d’Euros, 600 agriculteurs et 60% de la production d’agrumes destinés à l’export. Bel exemple d’exportation « d’eau virtuelle » du désert marocain.
2. Lettre d’information BRL, 2005.
3. Lire : Beau N., Graciet C., Quand le Maroc sera islamiste, La Découverte, 2006. pp. 167-170.
4. Société d’Aménagement Urbain et Rural, 3e poids lourd de la délégation de service public pour l’eau potable en France (environ 10% du marché).
5. Compagnie française d’assurances du commerce extérieur, Ministère de l’économie et des finances, Paris.