“J’avais mis un masque, j’étais incog-negro”, glousse-t-il. “Et quel bonheur pour mes yeux fatigués de voir là tout New York, des Blancs, des hispaniques, des Amérindiens, des Noirs, réunis pour dénoncer les pouvoirs constitués.” Spike Lee, 63 ans, raconte au Washington Post avoir rejoint une manifestation contre le racisme et les violences policières, le 3 juin.
Et son état d’esprit du moment tient de l’optimisme prudent. Certes, le mouvement est d’une ampleur comme les États-Unis en ont rarement vu depuis les années 1960 et le mouvement des droits civiques. Pour autant, “ne nous échauffons pas trop”, prévient-il. “Attendons le 4 novembre au matin [lendemain du scrutin présidentiel à venir] pour voir où nous en sommes. Parce que peu importe ce qui se passe en ce moment, si l’agent orange est réélu, ça n’aura servi à rien.”
Position militante
Le président Trump se trouve ainsi comparé au composant chimique hautement toxique que l’armée américaine répandait sur la forêt par avion, lors de la guerre du Vietnam (1955-1975). Et ce conflit est précisément le cadre du dernier film de Spike Lee, qui sort ce vendredi 12 juin sur Netflix. De quoi démontrer, encore une fois, que c’est sans faux-semblants ni superficialité que le réalisateur (qui aurait dû présider le Festival de Cannes cette année) aborde les thématiques politiques, détaille le Los Angeles Times :
Spike Lee a amplement sondé la plaie originelle de l’injustice raciale aux États-Unis et ses nombreuses et diverses suppurations au fil de l’histoire. Aujourd’hui, alors que les fléaux s’accumulent, c’est une autre époque troublée qu’il observe, celle de la guerre du Vietnam, dans son long-métrage ‘Da 5 Bloods’, pour constater une fois encore à quel point le passé a du mal à passer.”
“Plus encore, comme il l’explique au Washington Post, sa vision implique que la politique est imbriquée dans l’art. Les créateurs ont donc particulièrement leur mot à dire quand les temps sont troublés. Les crises, affirme-t-il, “ont donné naissance à des chefs-d’œuvre dans la musique, dans le cinéma, au théâtre, dans toutes les disciplines, parce que des artistes estiment qu’il est de leur devoir d’analyser ce qui se passe, ou simplement de tendre un miroir à ce qui va mal”.
Un cinéaste inimitable
Cette idée se retrouve tout au long du parcours de Spike Lee. Les critiques rappellent qu’en 2018 BlacKkKlansman, (le récit de l’infiltration du Ku Klux Klan par un policier noir dans les années 1970) traçait déjà des parallèles avec l’Amérique sous Trump et les manifestations des suprémacistes blancs à Charlottesville. La douloureuse juxtaposition de l’actualité et de la fiction prend une résonance encore accrue dans le cas de Do The Right Thing, le premier triomphe du cinéaste en 1989. Une scène présente le personnage de Radio Raheem asphyxié à mort par la police, dans des circonstances pratiquement identiques à la mort de George Floyd le mois dernier ou d’Eric Garner en 2014. Si bien que le réalisateur, relève le quotidien californien, a posté un montage sur Twitter mêlant les images, réelles et fictives, de ces trois scènes. Pour insister sur l’insupportable répétition de l’intolérable.
Mais en dépit de ces représentations d’une violence insoutenable, ce qui caractérise le cinéaste est de ne jamais se départir d’un “humour sous-jacent qui a le don de désarmer instantanément ses détracteurs les plus virulents”, avance le journal de la capitale fédérale. En somme sa personnalité infuse ses films, inimitables. “Il fait partie de ces réalisateurs qui ont façonné un langage cinématographique à nul autre pareil, reconnaissable au premier coup d’œil.”
Hugo Florent
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