Emmanuel Macron va une nouvelle fois à la rencontre du général. À l’occasion du 80e anniversaire de l’Appel du 18 juin, s’inscrivant dans le cycle de commémorations de “l’année de Gaulle”, le chef de l’État a un programme bien chargé ce jeudi. Dans la matinée, le locataire de l’Élysée filera au musée de l’Ordre de la Libération, où il s’entretiendra avec Hubert Germain, l’un des premiers compagnons engagés dans la France libre en 1940.
Il prendra ensuite la direction du Mont Valérien dans les Hauts-de-Seine, où se trouve le mémorial de la France combattante. Il y présidera une cérémonie durant laquelle l’Appel du 18 juin sera lu. Puis ce sera direction Londres pour Emmanuel Macron, où il remettra une Légion d’honneur à la capitale du Royaume-Uni et visitera -entre autres- les anciens bureaux du général de Gaulle. Un enchaînement de moments à très forte portée symbolique qui n’est pas sans provoquer le scepticisme de certains historiens, dont certains investis dans l’organisation de la cérémonie.
“Lien assez grossier”
C’est ainsi qu’un chercheur, aux premières loges des préparatifs fait part de son étonnement quant aux choix élyséens. “Il y a un lien assez grossier entre le de Gaulle de Montcornet, le de Gaulle du 18 juin et le de Gaulle de la Ve République. À titre d’exemple ce jeudi, Emmanuel Macron va s’entretenir avec Hubert Germain dans la salle de Gaulle du musée de l’Ordre de la Libération. Or, c’est une salle qui présente beaucoup d’objets liés au De Gaulle président. On a l’impression que ce mélange incohérent vise surtout à insérer l’actuel chef de l’État dans ce récit”, observe sous couvert d’anonymat ce témoin privilégié.
Contacté par Le HuffPost, Bernard Lachaise, professeur émérite d’histoire contemporaine à Science Po Bordeaux et spécialiste de Charles de Gaulle, explique : “ces ‘trois de Gaulle’ n’ont effectivement rien à voir. Ils ont chacun leur contexte et leur réalité. Mais nous sommes ici dans le champ de la mémoire, pas de l’histoire. Dans ce type de contexte, l’aspect scientifique est souvent tenu à l’écart”. Et l’historien, par ailleurs membre du conseil scientifique de la Fondation de Gaulle, d’ironiser : “pourtant, pour le général de Gaulle, l’importance des circonstances était justement fondamentale”.
Auprès de L’Opinion [1], son collègue de Sciences Po Paris Serge Berstein résume en d’autres termes les intentions élyséennes derrière ces mises en scène. “Ce qui est frappant pour les historiens, c’est qu’il a commémoré l’anniversaire de la bataille de Moncornet, une petite victoire locale qui n’a eu aucun effet dans une France qui s’est totalement effondrée en 1940. Emmanuel Macron a saisi l’occasion de célébrer ‘l’esprit français de résistance’. Il se pose implicitement en héritier du Général. Après tout, c’est à cela que sert l’histoire pour les politiques : se hisser à la hauteur de celui qui est considéré comme un modèle”, souligne-t-il.
La crainte d’une “privatisation de l’histoire”
Reste que, pour certains spécialistes de la période, c’est surtout la façon dont ces commémorations sont organisées qui pose problème. “Confier uniquement la responsabilité de ces événements aux fondations, en écartant de plus en plus les universitaires, n’est pas forcément gage d’une très grande objectivité et d’une importante rigueur scientifique”, euphémise une source impliquée dans les cérémonies du jour, redoutant une forme de “privatisation de l’histoire”.
Une tendance qui permettrait au pouvoir de façonner encore plus librement les événements historiques selon les impératifs politiques du moment. “D’autant que cela va de pair avec une restriction -pour le moins incompréhensible- de l’accès aux archives militaires post-1940”, ajoute notre interlocuteur.
Une décision qui avait provoqué une levée de boucliers de la part d’éminents historiens au mois de février ainsi que la colère de jeunes chercheurs il y a deux jours [2], en réaction à des propos attribués à Emmanuel Macron sur “l’impensé” que constitue selon lui la guerre d’Algérie [3]. “Au regard des approximations liées au 18 juin et au récit fait dans le cadre de l’année de Gaulle, on peut légitimement s’inquiéter de ce qu’il en sera quand ce sera l’Algérie qui sera à l’agenda”, grince un participant aux commémorations du jour.
Romain Herreros
• « Appel du 18 juin : l’Élysée confond les »3 de Gaulle« (et ça fait tiquer les historiens) ». Le HuffPost,. 18/06/2020 04:43 CEST :
https://www.huffingtonpost.fr/entry/appel-du-18-juin-lelysee-confond-les-3-de-gaulle-et-ca-fait-tiquer-les-historiens_fr_5eea20f4c5b69322bc19b8d2??ncid=newsltfrhpmgnews#EREC-101
Montcornet : pourquoi Macron célèbre cette défaite du colonel De Gaulle ?
Le chef de l’État s’est rendu ce dimanche 17 mai à Montcornet, où Charles de Gaulle tenta une contre-offensive contre l’Allemagne nazie.
POLITIQUE - C’était une première. Jamais un président de la République en exercice ne s’était rendu dans ce village de l’Aisne, qui plus est pour célébrer cette défaite fondatrice du mythe gaullien : la bataille de Montcornet. Ce dimanche, Emmanuel Macron a consacré son premier déplacement hors covid-19 à la commémoration de cette contre-offensive menée par le colonel de Gaulle le 17 mai 1940.
Selon l’Élysée, il s’agit de rendre hommage à cette “défaite courageuse” survenue dans la débâcle de la Bataille de France, “angle mort de la mémoire militaire française”. Toujours selon l’entourage du président, il sera question de “saluer le chef de guerre visionnaire” et d’honorer “le refus de la résignation et l’esprit de résolution et de résistance” dont a fait preuve le futur chef de la France Libre. Des éléments de langage qui résonnent d’une façon particulière en pleine crise du coronavirus, au cours de laquelle le chef de l’État n’a eu de cesse d’utiliser une rhétorique guerrière, parfois jusqu’à l’excès [4].
Faire d’une défaite une victoire
Sur la forme, cette commémoration déroute plus d’un historien. Auprès du HuffPost, et sous couvert d’anonymat, plusieurs chercheurs en lien étroit avec le ministère des Armées expriment leur scepticisme sur l’opportunité de célébrer cette défaite qui, de façon purement factuelle [5], est un échec sur le plan militaire de même qu’il est admis que les combats de Montcornet ont été instrumentalisés par les services de propagande britanniques pour renforcer la légitimité du général de Gaulle depuis Londres. Un mythe que l’intéressé a lui-même alimenté. “C’est à Montcornet que j’ai forgé mes résolutions”, écrivait le général de Gaulle dans ses Mémoires de guerre.
D’où cette volonté élyséenne de faire de l’événement l’acte de la renaissance française. “L’intérêt de célébrer Montcornet réside dans la place qu’elle occupe dans la construction du mythe gaullien par De Gaulle lui-même”, explique au HuffPost l’historien Frédéric Sallée, auteur de La Mécanique de l’histoire (éd. Cavalier bleu). “Pour De Gaulle -et c’est là tout le sens de la cérémonie de commémoration-, la bataille de Montcornet n’est pas une défaite mais une victoire de la résistance française face à une avancée allemande présentée comme inexorable et immuable face à une armée française inopérante”, poursuit-il.
Du mythe, au détriment de l’histoire donc, dont la pérennisation n’est pas sans arrière-pensées politiques, notamment dans la crise que traverse le pays. “Le recours à la comparaison historique est souvent utile pour mobiliser les consciences et lui octroyer la solennité de l’instant. Elle permet également de rassurer le contemporain, en faisant socle dans la continuité de l’Histoire, dans le temps long des crises qui ont fragilisé la nation. L’idée de l’exécutif étant de montrer sa perpétuelle maîtrise, y compris dans le rapport au temps”, note encore Frédéric Sallée, percevant également dans cette cérémonie la célébration du “perdant magnifique” qui, depuis Vercingétorix et Alésia, est une constante dans la construction du roman national.
“Obsession gaullienne”
Outre le parallèle que l’Élysée semble assumer entre cette défaite et la crise actuelle, cette cérémonie intervenant dans le cycle de commémoration de “l’année De Gaulle” est également une façon pour le chef de l’État de se placer, encore une fois, dans les pas du père de la Ve République. De sa “certaine idée de la France” à l’évocation des “Jours heureux”, le discours du 13 avril d’Emmanuel Macron, adepte du “dépassement”, était truffé de références à cette période historique. Des récurrences qui amusent Diane de Vignemont, une apprentie historienne qui recense sur Twitter tous les “gris-gris gaullistes” du chef de l’État [6], de la reproduction miniature de la voiture de Charles de Gaulle à l’insertion de la croix de Lorraine dans logo de l’Élysée en passant par une photo privée du général qui ne quitte plus son bureau.
Autant d’éléments révélateurs d’une “obsession gaullienne” qui rejaillit ce dimanche à l’occasion de la célébration du mythe de Montcornet. Pas étonnant dans ces conditions de voir un conseiller du chef de l’État souffler au Monde [7] que le locataire de l’Élysée a récemment fait de l’ouvrage De Gaulle à Matignon son nouveau livre de chevet. “Il y puise l’inspiration sur comment un homme d’État peut se servir d’événements dramatiques pour redresser la nation”, assure cette source. Toute ressemblance avec des événements récents étant ici parfaitement volontaire.
Romain Herreros
• Le HuffPost. 16/05/2020 18:35 CEST | Actualisé 19/05/2020 10:44 CEST :
https://www.huffingtonpost.fr/entry/montcornet-pourquoi-macron-celebre-cette-defaite-du-colonel-de-gaulle_fr