A peine entré dans le parc des Beaumonts, voilà qu’un joli « sirrrr » provoque une poussée d’adrénaline. Un cri si inhabituel qu’il fait se dresser l’oreille et se lever le regard de tout ornithologue. L’oiseau est en vol, à quelques mètres seulement : pas besoin de jumelles pour voir qu’il ne s’agit ni d’un étourneau ni d’un geai, auxquels il pourrait de plus loin ressembler. Un jaseur boréal !
L’oiseau se perche sur une branche, bien en vue, au-dessus du « dromadaire » (le mur d’escalade). Il tourne la tête à droite à gauche, observe et, peu farouche, se laisse observer, longuement. Le spectacle vaut le déplacement. Un plumage brun-beige aux dégradés rosés et gris cendrés. Une large huppe ocre-roux. Un masque et une bavette noire d’encre. Des marques blanches, jaunes et rouges aux ailes et à la queue. Une beauté.
On est le 6 mars 2005. Il y a des jours comme ça, où ce qui est attendu advient. Car nous l’attendions, le jaseur ! Oiseau sibérien et scandinave qui niche au nord de la limite des arbres, il n’a pas pour habitude de fréquenter nos contrées. Il apparaît parfois en hiver aux Pays-Bas ou dans l’est de la France, mais en tous petits nombres. Certaines années pourtant, le manque de nourriture provoque une migration massive vers le Sud. La dernière « invasion » de ce genre, en Ile-de-France, remontait à 1965-1966. Quarante ans plus tard, c’est à nouveau le cas. Des centaines de jaseurs sont signalés depuis plusieurs semaines en Alsace (la télé en a fait un reportage !), des dizaines aux alentours de la région parisienne. Nous espérions qu’à l’occasion de la remontée vers le Nord, il ferait halte aux Beaumonts pour goutter aux baies du gui, offertes en abondance et qu’il affectionne.
Un, deux, trois jaseurs volettent autour du « dromadaire », disparaissant parfois dans les boules de gui (il devient alors bien difficile de les repérer). Vingt minutes plus tard, ils s’éloignent hors de vue, juste avant que deux amis ornithos n’arrivent, alertés par téléphone. Pas moyen de les retrouver… Mais après une heure d’angoisse (l’un d’entre nous n’a encore jamais vu de jaseurs), en voici deux qui viennent se poser littéralement sous nos yeux et s’offrent à nouveau en spectacle. Pas gênés par la présence bruyante de jeunes et moins jeunes qui font de la luge au pied même de l’arbre où ils sont perchés (le parc est encore sous la neige). Nous pouvons cette fois les contempler à la longue-vue et non plus seulement aux jumelles. Des promeneurs profitent de l’occasion pour jeter eux aussi un œil à travers l’oculaire. Magnifique.
Le 9 mars, un couple d’habitués redécouvrira huit jaseurs dans le parc. Le 10 mars, un oiseau sera observé une dernière fois en vol au-dessus de la savane.
Faudra-t-il attendre à nouveau quarante ans pour revoir en région parisienne notre ami sibérien qui a pour nom savant Bombicylla garrulus ?