La capitale restera six ans de plus rose, rouge et verte. Ainsi en ont décidé les électeurs parisiens qui ont réélu dimanche soir la maire socialiste sortante, qui conduisait une liste de coalition avec les écologistes et les communistes. Selon les premières estimations, Anne Hidalgo est arrivée en tête du scrutin, en obtenant entre 49,3 % et 50,2 % des suffrages exprimés.
Elle se hisse loin devant la candidate Les Républicains (LR) Rachida Dati (31,7 à 32,7 %) et celle de La République en marche (LREM) Agnès Buzyn (13,7 à 16 %). L’ancienne ministre de la santé n’a même pas recueilli suffisamment de voix pour obtenir un siège au Conseil de Paris. Dans son camp, c’est aussi le cas de la secrétaire d’État en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa (XIVe arrondissement) et de l’ancien conseiller en communication de François Hollande, Gaspard Gantzer (VIe).
Anne Hidalgo rempilera donc pour un deuxième mandat comme maire de Paris à l’issue d’un « 3e tour » où elle promet d’être réélue sans difficultés à l’Hôtel de Ville. Malgré une abstention record, cette victoire apparaît comme un triomphe personnel, mais aussi comme un message national envoyé à Emmanuel Macron. L’édile socialiste s’est en effet opposée, subtilement mais fermement, au président de la République durant toute la crise sanitaire.
Anne Hidalgo entourée de son équipe, dimanche 28 juin au soir. © AFP Anne Hidalgo entourée de son équipe, dimanche 28 juin au soir. © AFP
Il y a encore quelques mois, ceux qui pariaient sur la réélection de la maire de Paris se comptaient pourtant sur les doigts de la main. Le premier mandat d’Anne Hidalgo paraissait partir à vau-l’eau : des travaux qui n’en finissaient pas, les catastrophes industrielles de « Vélib’ » et d’« Autolib’ », les péripéties juridiques autour de la piétonisation des berges de Seine, la multiplication des départs dans son plus proche entourage…
Dans ce contexte, et dopé par les bons résultats d’Emmanuel Macron à Paris à la présidentielle (34,8 % au premier tour), aux législatives puis aux européennes, le parti présidentiel imaginait encore l’an dernier ne faire qu’une bouchée de la capitale. D’autant que la gauche partait alors en ordre dispersé : les écologistes pensant pouvoir capitaliser sur la « vague verte » des européennes, et La France insoumise (LFI), sur la vague Mélenchon… Mais rien ne s’est passé comme prévu.
Au fil des mois, les déchirements des candidats macronistes, les errements stratégiques des écologistes, l’émergence d’une figure de droite devenue l’alliée tactique d’Anne Hidalgo, la séquence de la crise sanitaire enfin, ont été autant d’aubaines sur lesquelles la maire sortante a su capitaliser. Les problèmes avec Vélib se sont tassés et les travaux ont été presque partout bouclés in extremis.
Là-dessus, quasiment trois mois de confinement ont fait oublier les bouchons dans Paris et la multiplication des pistes cyclables est soudain apparue comme le remède tout trouvé pour éviter les contaminations au Covid-19.
« Le secret de la “remontada”, c’est que les gens ont fini par voir les résultats de nos projets de transformation de la ville, qui avaient été très difficiles à mener », souligne aujourd’hui le directeur de campagne d’Anne Hidalgo, le maire du XIIe arrondissement, Emmanuel Grégoire. Celui qui a contribué à désamorcer tous les dossiers sensibles se dit persuadé que « l’équipe sortante a pu montrer pendant les épreuves son courage et sa vision ».
Même analyse de l’adjoint communiste, en charge du logement, Ian Brossat : « Un peu paradoxalement, les obstacles qu’on a rencontrés sur le chemin pendant six ans sur la réduction de la place de la voiture, la piétonisation ou les pistes cyclables, se sont avérés des atouts dans la bataille de 2020 : Anne Hidalgo est apparue comme une femme courageuse et capable de ténacité, ce qui, dans les moments de tempête, rassure. Elle a d’ailleurs fait un sans faute pendant le confinement. »
Un bilan qui force l’admiration du premier secrétaire du PS, Olivier Faure : « Anne Hidalgo a mené une politique sur l’écologie et le social à un moment où ces idées n’étaient pas à la mode. Aujourd’hui, les électeurs se sont dit : “Au moins avec elle, on sait pour quoi on vote”. » « C’est dans la période la plus douloureuse et la plus violente qu’Anne Hidalgo a forgé sa victoire », résume quant à lui Raphaël Glucksmann, eurodéputé Place publique et proche de l’édile.
Pour appréhender le chemin parcouru, il faut retourner en septembre 2018. À l’époque, la socialiste est au creux de la vague. Bruno Julliard, son premier adjoint, vient de refuser de devenir son directeur de campagne pour 2020. Il annonce sa démission dans un entretien accordé au Monde [1], dans lequel il dénonce les « défaillances », les « inconstances », les « erreurs », et l’« opportunisme » de l’exécutif municipal. Un départ très médiatique qui fait suite aux désertions de plusieurs « bébés Delanoë » : Mathias Vicherat, l’ancien directeur de cabinet, Julien Bargeton, l’ex-premier adjoint à la maire en charge des finances et de la culture, passé chez LREM, ou Gaspard Gantzer…
En réalité, les ennuis ont commencé dès l’automne 2017, avec la publication de Notre-Drame de Paris (Éditions Albin Michel), ouvrage dans lequel deux journalistes dressent un bilan à charge des trois premières années de mandat d’Anne Hidalgo, qualifiée – y compris de façon sexiste – de « reine des bouchons », de « pasionaria du social » ou encore de « sainte Anne du Bon Accueil [des migrants – ndlr] ».
Il faut dire que l’édile, accaparée par la candidature de Paris aux Jeux olympiques de 2024, et qui a eu, pendant plusieurs mois, un agenda très international, semble alors s’être éloignée des Parisiens. Ses détracteurs dessinent le portrait d’une maire à l’« autoritarisme excessif » et à la « gestion calamiteuse ». La preuve, avancent-ils : la fermeture des voies sur berge de la rive droite vient d’être annulée sur décision du tribunal administratif – la justice finira toutefois par lui donner raison.
Il y a aussi le fiasco de Vélib’ depuis que Smovengo a récupéré le contrat, puis l’arrêt brutal du service d’autopartage Autolib’. Sans parler de la saleté, de plus en plus visible, des rats qui colonisent les rues, et des travaux qui s’accumulent, densifiant la circulation intra muros. De quoi faire miroiter une élection imperdable à Benjamin Griveaux, qui brigue alors l’investiture de LREM. « Les Parisiens ne vont pas forcément vouloir une alternance, mais ils voudront du changement », veut croire, lui aussi, l’ancien conseiller de François Hollande à l’Élysée, Gaspard Gantzer, qui lance à l’automne 2018 son mouvement « Parisiens, Parisiennes ».
La conseillère de Paris de La France insoumise, Danielle Simonnet estime à la même période que l’on assiste à « la fin d’un cycle » à Paris.
Mi-janvier 2020, la campagne de la maire sortante est lancée, mais celle-ci reste très impopulaire. Pourtant, toutes les tentatives d’union contre elle ont en réalité d’ores et déjà échoué.
À sa droite, LREM doit faire avec la scission qui a eu lieu en septembre 2019 entre Benjamin Griveaux et Cédric Villani. Le psychodrame scabreux de l’ancien porte-parole du gouvernement [2], et son remplacement au pied levé par Agnès Buzyn, 27 jours avant le premier tour, finissent de doucher les espoirs du parti présidentiel.
« Contrairement à ce qu’on pourrait penser rétrospectivement, l’affaire Griveaux nous a rendus fébriles, se souvient néanmoins Emmanuel Grégoire. Non seulement il était déjà très bas et on craignait qu’Agnès Buzyn ne rattrape son retard, mais en tant que directeur de campagne, je sais que les facteurs exogènes ne sont jamais bons. » Les errances de l’ancienne ministre de la santé, et ses confidences catastrophiques au Monde [3], le 17 mars, où elle affirmait avoir su avant tout le monde que les municipales ne se tiendraient pas en raison de la pandémie, seront en tout cas un nouveau coup porté à l’hypothèse d’une alternance.
Le jeu maladroit des écologistes parisiens, emmenés par David Belliard, qui n’a réalisé qu’un petit 11 % au premier tour, a aussi réglé la situation du côté gauche de l’échiquier. Tactiquement, le rapprochement avorté avec le centriste Cédric Villani [4] n’a pas été compris. Sur le fond, si les élus écolos à Paris (15 conseillers) ont surligné leurs désaccords avec les socialistes sur l’urbanisme, le logement, la publicité ou la conception de l’attractivité économique de la ville, la maire socialiste a tiré à elle la couverture d’un bilan positif sur les questions écologiques : l’interdiction du diesel, la piétonisation, le bio dans les cantines scolaires, le plan Vélos…
« Vu ce qu’elle s´est pris dans la figure des lobbys de l’automobile pendant son mandat, elle a été sanctifiée par l’électorat écolo, estime Raphaël Glucksmann. Cette hostilité-là est devenue une arme. » « Il faut reconnaître qu’Hidalgo et Grégoire ont fait de la politique pendant que nous, on faisait de la communication, observe Jérôme Gleizes, membre de l’équipe de campagne de David Belliard, pour expliquer la déception du premier tour. Après, l’alliance entre Hidalgo et Génération.s [la formation des amis de Benoît Hamon – ndlr] a été un tournant : le PS, qui partait déjà avec le PCF au premier tour, est apparu plus rassembleur et plus en dynamique que nous. Ils ont été très habiles. » Résultat, les Verts sont retournés sans barguigner dans le giron de la majorité sortante avant le deuxième tour.
Autre élément favorable : la candidature de Rachida Dati, devenue l’adversaire idéale pour Anne Hidalgo qui craignait une démobilisation de son électorat [5]. L’ancienne garde des Sceaux de Nicolas Sarkozy, plus soucieuse de fédérer la droite autour d’elle que de gagner la mairie, s’est ainsi illustrée par ses sorties parfois caricaturales sur les pistes cyclables ou le logement. « Dati a déroulé, et comme nous, elle avait intérêt à repositionner le clivage droite/gauche pour installer le match et que LREM fonde comme neige au soleil », raconte Emmanuel Grégoire.
Pour les six prochaines années, la maire du VIIe arrondissement devient, de fait, la principale adversaire de sa rivale socialiste. Un mandat que la maire de Paris a juré vouloir mener jusqu’à son terme, en dépit des nombreux appels du pied qui lui ont été faits par son camp pour une candidature de la gauche et des écologistes à la présidentielle de 2022.
Pauline Graulle