Cette loi, promulguée mardi 30 mai par la Chine, menace les libertés qui faisaient « l’exception hongkongaise » sur le territoire chinois.
La nouvelle loi sur la sécurité nationale imposée par la Chine à Hong Kong donne au régime communiste des pouvoirs judiciaires sans précédent dans l’ancienne colonie britannique.
Gardé secret jusqu’au bout, le texte de loi n’a été connu que mardi 30 au soir.
Son contenu, accusé par ses détracteurs de vouloir museler l’opposition à Hong Kong, inquiète les défenseurs des libertés et les puissances étrangères.
Les autorités n’auront même pas attendu 24 heures. A Hong Kong, sept personnes ont déjà été arrêtées par la police ce mercredi 1er, en vertu de la nouvelle loi sécuritaire imposée par Pékin.
Un texte adopté en Chine, par le parlement chinois, qui grignote encore l’autonomie et les libertés de Hong Kong. La ville, place financière puissante et internationale, est-elle menacée de disparition ?
20 Minutes a interrogé Jean-Philippe Béja, directeur de recherche émérite au CNRS, spécialiste de la vie politique en Chine et à Hong Kong et Valérie Niquet, responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique, et autrice de La puissance chinoise en 100 questions (Ed. Taillandier).
Comment cette nouvelle loi va-t-elle transformer le quotidien des habitants de Hong Kong ?
Depuis plus de vingt ans, Hong Kong appartient à la Chine mais jouit d’une large autonomie, en vertu du principe « un pays, deux systèmes ». Ses habitants bénéficient de la liberté d’expression, d’élections libres, de la liberté de la presse et d’une justice indépendante.
Mais cette nouvelle loi, entrée en vigueur mardi soir sans passer par le Parlement de Hong Kong, permet de réprimer quatre types de crimes contre la sécurité de l’Etat : subversion, séparatisme, terrorisme et collusion avec l’étranger. Elle réserve la prison à vie aux crimes les plus graves contre la sécurité nationale.
La loi prévoit que la justice chinoise pourra juger certaines infractions, alors que Hong Kong avait le droit d’avoir son propre système judiciaire jusqu’à ce jour. Les habitants de Hong Kong n’ont également plus le droit d’afficher leur soutien à l’indépendance de Taïwan, du Tibet et de la région Xinjiang. Même la défense de l’indépendance de Hong Kong est devenue contraire à la loi.
« Cela marque la fin de Hong Kong tel que le monde la connaissait », a réagi sur Twitter Joshua Wong, l’une des figures du mouvement pour la démocratie. « On peut être arrêté pour simplement avoir prononcé un slogan. C’est la fin des libertés à Hong Kong », lâche Jean-Philippe Béja. « Il y a de fortes inquiétudes que Hong Kong devienne « just another Chinese city » [juste une autre ville chinoise] », affirme-t-il.
Pourquoi Hong Kong bénéficiait-elle jusqu’à présent d’un statut à part ?
Pour le comprendre, il faut retourner vingt-trois ans en arrière. En 1997, le Royaume-Uni a rétrocédé Hong Kong à la Chine, sous la forme d’une « Région administrative spéciale ». A condition que cette ancienne colonie conserve certaines libertés, ainsi que l’autonomie judiciaire et législative pendant cinquante ans.
Une promesse en train d’être brisée par Pékin, selon Valérie Niquet. « Maintenant, le pouvoir chinois se sent assez fort pour imposer un contrôle complet sur Hong Kong sans respecter cette limite des 50 ans. »
Quelle est la stratégie de la Chine en faisant passer cette loi ?
« C’est une vengeance sur le mouvement de l’année dernière qui a concerné l’ensemble du territoire », analyse Jean-Philippe Béja, en référence aux manifestations pro-démocratie, qui ont commencé en juin 2019 à Hong Kong. « L’an dernier, avec les manifestations, tout le monde craignait que les chars de l’armée populaire de libération entrent à Hong Kong. En fait, ce sont des chars juridiques, mais c’est au moins aussi grave. La Chine se sent menacée par l’existence même d’une société chinoise libre », déplore Jean-Philippe Béja.
Les deux spécialistes s’accordent sur un point : ce virage « autoritaire » de la Chine date de l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping. « On est face à un pouvoir qui ne veut plus rien laisser passer y compris sur Hong Kong. Ils se moquent de l’image qu’ils peuvent projeter à l’extérieur », affirme Valérie Niquet. Elle voit dans cet épisode hongkongais une stratégie globale : « Avec l’épidémie de Covid-19, la situation économique difficile, le pouvoir chinois tente de s’affirmer en renforçant son côté nationaliste. On observe aussi une affirmation de puissance à sa frontière avec l’Inde ou avec ses manœuvres en mer de Chine », explique-t-elle.
La désapprobation de la communauté internationale peut-elle y faire quelque chose ?
« Aujourd’hui est un triste jour pour Hong Kong, et pour tous les amoureux de la liberté en Chine », a estimé le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo avertissant que « les États-Unis ne resteront pas les bras croisés pendant que la Chine engloutit Hong Kong dans sa gueule autoritaire ».
Le Royaume-Uni, ancienne puissance coloniale, se dit « très préoccupé » et son Premier ministre Boris Johnson promet de voir si la loi « entre en conflit avec la déclaration commune » de 1997. Des propos sans conséquence ?
« En adoptant cette loi, Pékin savait très bien qu’il y aurait des critiques mais c’est insuffisant », estime Jean-Philippe Béja. « Le seul moyen d’avoir une réaction qui touche la Chine, ce serait de reconnaître Taïwan, d’élever son statut diplomatique, en l’invitant au G20 par exemple. Cela provoquerait une véritable crise à Pékin. »
Quel avenir pour les habitants de Hong Kong ?
Pour certains habitants de la cité, inquiets pour l’avenir, il est temps de penser à partir.
– Taïwan a d’ailleurs ouvert un bureau destiné à accueillir les habitants désireux de s’installer sur l’île.
– Le Royaume-Uni a annoncé l’extension des droits à l’immigration, facilitant à terme l’accès à la citoyenneté britannique, pour les habitants de Hong Kong titulaires d’un passeport spécial, a annoncé ce mercredi Boris Johnson. Trois millions de résidents de l’ex-colonie britannique y sont éligibles.