- Fatalisme et insouciance
- La zone gouvernementale : (…)
- Scènes de fraternisation
- Les Américains « partent (…)
- La C.I.A. et ses « couvertures
- Une société exsangue, rongée
- L’art de survivre
- L’aide étrangère et l’appui
- Attirer les investissements
- Les « grandes familles » (…)
- Spéculation et détournement de
- « Nous devons violer le (…)
- Le bombardement de Paksong
- Définir la neutralisation
- Une clé de la péninsule
- « Trouver le moyen de rester »
Laos trop fréquenté ; si délaissé pourtant ! Jadis, les « pronunciamientos » fleuris des généraux, puis les grands fiascos militaires alliés, faisaient accourir, pour un temps, la presse, internationale. Tout ensuite retombait dans le silence et dans l’oubli. Etat-tampon, carrefour stratégique, enjeu de toutes les convoitises, théâtre involontaire d’affrontements qui lui étaient comme étrangers, ce petit pays redevenait, dans l’imagerie populaire, le royaume du million d’éléphants et du parasol blanc. Une guerre, benoîte parfois, âpre souvent, s’y déroulait pourtant, au rythme de quinze mille victimes par an, pour une population inférieure sans doute à trois millions d’âmes – l’équivalent, pour la France, de deux cent cinquante mille morts et blessés chaque année. Une guerre à la fois civile et internationale, conduite par procuration, assumée comme par inadvertance. Un quart de siècle de conflit ; le plus fort tonnage de bombes jamais déversé dans l’histoire, et, au bout du compte, plus de neuf cent mille réfugiés. Un combat livré en toute impunité, ou presque. Laos, pays du viol à demi-consenti. Pays, aussi, de l’indifférence douloureuse.
La signature, souhaitée mais inattendue, logique mais ambiguë, de l’accord de Vientiane, le 21 février dernier, a suscité, momentanément, un regain d’intérêt et quelques bilans prématurés. Puis, de nouveau, l’oubli. Une commission mixte devait être créée immédiatement pour veiller à l’application de l’accord. Elle n’a pas encore vu le jour. Un nouveau gouvernement provisoire devait naitre avant la fin mars. Il n’en a rien été, et nul n’ose plus, désormais, risquer le moindre pronostic. Les pourparlers, tant politiques que militaires, entre le « côté de Vientiane » et le « côté de Samneua », s’enlisent. Le tout sur fond de déclarations alarmistes et de communiqués menaçants. Le cessez-le-feu, pourtant, s’est concrétisé, vaille que vaille, fragile, incertain – mais qu’a-t-il changé, au fond ?
Sur les pentes abruptes, frottées de brume, du Nord-Laos, la forêt s’arrache par plaques. Napalm ? Non : ray, la culture sur brûlis. Les troncs embrasés s’abattent sur le sol noirci. Lorsque les cendres auront bonifié la terre, à l’approche de la saison des pluies, on plantera le pavot ou le riz. Pour l’instant, les dernières caravanes de mulets descendent sur Houeï-Say, où les montagnards troquent la récolte d’opium de la saison précédente contre des barres d’argent.
Fatalisme et insouciance
Plus au sud, à Vientiane, l’âcre fumée du ray stagne, en fin d’après-midi, sur cette grosse bourgade somnolente au bord du Mékong aux eaux basses. Sans barbelés ni sacs de sable, sans guère d’uniforme de parade, cette préfecture d’ancienne France a toujours répudié son rôle de capitale administrative d’un pays en guerre. Ce ne sont pas les velléités de putsch des généraux qui préoccupent la rue, mais bien les caprices des phi, esprits bons ou néfastes, ou bien l’acquisition de « mérites » pour la prochaine réincarnation.
Tôt le matin, des femmes, accroupies sur le trottoir, coffret d’osier plein de riz à la main, attendent le passage des bonzes en quête de leur pitance quotidienne. D’autres, à la même heure, viennent de la plaine environnante vendre au nouveau marché leurs fruits et leurs légumes. Puis tout s’assoupit, dans la chaleur moite, et la poussière des faubourgs. La nonchalance est de rigueur jusque dans les embouteillages. Le soir, par contre, on se hâte de vivre ; jusqu’au couvre-feu de minuit, quasiment symbolique, l’air vibre des échos d’une « boum » : il y a toujours une fête en train chez le voisin ou à la pagode. L’approche du Pi Maï, le Nouvel An lao, en a multiplié les occasions.
Conformément à la coutume, l’année nouvelle a été célébrée dans tout le royaume à grands seaux d’eau, chacun arrosant copieusement son voisin pour le laver de ses péchés et de ses maux. En présence d’une foule en liesse, les éléphants royaux de Louang-Prabang ont reçu le traditionnel sermon...
Le même jour, à moins de 200 kilomètres de là, au sud de la plaine des Jarres, le village de Tha-Vieng était rayé de la carte, par vagues successives de bombardiers géants B-52 et de chasseurs-bombardiers américains venus de Thaïlande.
Accident de parcours – ou prémices d’une nouvelle escalade ? « Bo pen nian » (Peu importe) : c’est la réaction traditionnelle – fatalisme ou insouciance, – l’expression qui ponctue toutes les conversations... Le silence inquiet qui s’est abattu sur la plupart des champs de bataille, du nord de la plaine des Jarres au sud du plateau des Bolovens, suscite certes soulagement, incrédulité et méfiance mêlés. Le Laotien (celui des zones gouvernementales) sait trop bien que son destin ne lui appartient pas. La guerre d’hier a été décidée ailleurs, imposée et subie. La paix de demain (si elle prend forme) répond bien aux aspirations populaires, mais elle reste encore étrangère aux réalités locales, aux mentalités. Elle n’est pas encore vécue – le sera-t-elle jamais ?
Nul, aujourd’hui, ne se hasarderait à répondre. Ce qui frappe d’emblée, dans les zones gouvernementales, c’est l’absence d’information authentique, et, partant, le refus d’envisager l’avenir.
La radio du Pathet-Lao a diffusé le texte des accords de Vientiane à la vitesse de la prise sous dictée. Les cadres ont pu expliquer et commenter la portée de l’accord et ses implications. Les autorités de Vientiane, pour leur part, ont envoyé en province quelques rares généraux ou gouverneurs pour propager des arguments tels que ceux-ci : « Les vingt ans de guerre qu’a connus le Laos sont dus à la volonté des Nord-Vietnamiens de s’assurer le contrôle du territoire laotien. D’une part, ils prétendent lutter pour l’indépendance, alors qu’en fait le Laos est indépendant depuis de nombreuses années ; d’autre part, ils prétendent défendre la neutralité conformément aux accords de Genève de 1962, alors que leur invasion du pays remonte à plus de dix ans... » (1).
A ce niveau d’exégèse, que deviennent l’effort de compréhension, l’esprit de conciliation indispensables à un rapprochement ? A Bouam-Long, le poste gouvernemental le plus avancé dans le nord-est du Laos, à 200 kilomètres de Vientiane, le maitre des lieux, Jipao Mua, un des beaux-pères du général méo Vang Pao (2), ignorait que l’accord de Vientiane garantissait au Front patriotique (Pathet-Lao et neutralistes patriotes) la moitié des portefeuilles du futur gouvernement provisoire !
Interrogé sur les perspectives de paix, un capitaine de gendarmerie de la région de Louang-Prabang – la capitale royale, dans le nord du pays – nous a répondu : « Nous voulons tous la paix, nous ferons tout pour cela, mais les Vietnamiens ne nous laisseront jamais tranquilles.
– Etes-vous prêt, personnellement, à travailler côte à côte avec vos homologues du Pathet-Lao ?
– Certainement pas !
– Pourtant, le Pathet-Lao va participer au gouvernement. Comment pourra-t-on se réconcilier à tous les niveaux si vous, pour votre part, refusez de coopérer ?
– Nous attendrons des ordres de Vientiane. Alors, ce sera différent. »
La zone gouvernementale : une peau de chagrin
C’est que la donne actuelle n’est pas du goût de tous, tant s’en faut. En fait, les accords de Vientiane ne font que traduire le nouvel équilibre des forces au Loos, éminemment favorable au Pathet-Lao du prince Souphanouvong et à ses alliés, les neutralistes patriotes du colonel Deuane Sipraseuth.
Selon le Neo Lao Haksat (autrement dit le Pathet-Lao), les maquisards du Front patriotique contrôlent et occupent les quatre cinquièmes du territoire et administrent un million quatre cent mille personnes – soit environ la moitié de la population totale. Par contre, à en croire M. Sisouk na Champassak, ministre des finances, délégué à la défense et l’un des chefs de file de la droite, les « communistes » contrôleraient 136 000 kilomètres carrés sur 236 000 kilomètres carrés (soit les trois cinquièmes du pays), mais pas plus d’un demi-million d’habitants. Il est bien évidemment impossible de définir quel pourcentage de la population se trouve sous le contrôle de l’un et de l’autre camp, ou des deux, mais le chiffre d’un demi-million peut être utilement confronté à cet aveu d’un autre leader de la droite, le général Kouprasith Abhay, qui reconnaissait en privé, peu après le cessez-le-feu, que des élections libres donneraient 70 % de voix au Front patriotique (3).
Quant au terrain occupé, il suffit de consulter une carte. Alors que la ligne de cessez-le-feu de 1962 divisait le Laos en deux moitiés sur toute sa longueur, la zone gouvernementale est aujourd’hui réduite à la portion congrue. Elle suit toujours plus ou moins la vallée du Mékong, axe vital du pays, mais elle s’est transformée en une série de poches isolées les unes des autres.
A l’extrême Nord-Ouest, aux confins de la Birmanie et de la Thaïlande, l’influence gouvernementale ne s’étend pas ou-delà de 30 kilomètres autour de Ban-Houeï-Say, un des pôles du fameux « triangle d’or » de l’opium, et qui n’est desservi que par avion. De Paksane, au Centre-Laos, à Paksé, au sud, les autorités de Vientiane contrôlent un liseré de terrain de 10 à 40 kilomètres de large, rompu du nord de Thakhek (le chef-lieu de la province de Khammouane, encerclé, reste le théâtre de la plupart des violations importantes du cessez-le-feu) jusqu’au nord immédiat de Savannakhet. Dans les heures qui ont précédé le cessez-le-feu, le Pathet-Lao s’est avancé jusqu’à une vingtaine de kilomètres au sud de Champassak et son drapeau flotte de Ban-Khokkong, près de la frontière thaïlandaise, à la frontière du Vietnam – à l’exception de l’ile de Khong, sur le Mékong, base aérienne clandestine, garnison de soldats gouvernementaux cambodgiens et centre de ralliement des paysans qui ont fui les maquis khmers rouges. Attopeu, Poksong, Saravane, sont aux mains des maquisards, mais, pilonnées par l’aviation et l’artillerie, elles seraient à peu près effacées de la carte. Les forces gouvernementales ne se hasardent plus sur le plateau des Bolovens, entièrement libéré.
Reste, de Louang-Prabang à Vientiane, de Sayabouri à Paksane, le véritable poumon gouvernemental, mais amputé de la plaine des Jarres au nord-est, profondément grignoté à l’est et ou sud de la capitale royale, ainsi que jusqu’aux abords occidentaux de Soyabouri. Long-Cheng, la base jadis secrète de l’armée « clandestine » du général Vang Pao, demeure sous le contrôle de ce dernier, mais les positions plus au nord sont isolées, et ravitaillées uniquement par avion. On peut se rendre par la route (la R.N. 13 qui, longeant le Mékong, relie théoriquement Louang-Prabang à Saigon) de Vientiane à Vang-Vieng, à 100 kilomètres au nord, mais le tronçon Vang-Vieng -Louang-Prabang n’était pas encore rouvert à la circulation début avril, pas plus que la route Vang-Vieng – Long-Cheng, empruntée seulement par des convois militaires.
Presque partout, le front s’est stabilisé, mois les zones jugées stratégiques sont l’enjeu, aujourd’hui encore, d’escarmouches, d’échanges de coups de feu, voire de violents harcèlements.
Fidèles à la politique du secret qui a permis pendant si longtemps de masquer l’ampleur de la guerre dans ce pays, les autorités de Vientiane, les responsables américains, les chefs militaires régionaux, font tout pour décourager l’enquête, et, sans interdire les déplacements (nous nous sommes rendus à Long-Cheng et à Bouam-Long en voyage organisé aux frais d’Air America et de la C.I.A. – faute de mieux, évidemment), s’arrangent pour la rendre inefficace. Mais, pour autant qu’il soit possible de percer le barrage d’affabulations, de contre-vérités ou de silence auquel se heurte l’observateur, il semble que la quasi-totalité des violations du cessez-le-feu soient le fait des gouvernementaux.
Ainsi, lors de l’intervention des B-52 contre Tha-Vieng, Vientiane a dénoncé une autre « violation majeure du cessez-le-feu par les communistes » pour justifier des opérations militaires à l’autre bout de la plaine des Jarres, dans la région dite des « Quatre-Rivières », au nord de Bouam-Long. Or, lors de notre passage dans cette agglomération, moins d’un mois auparavant, Jipao Mua nous avait annoncé froidement son intention de reprendre cette région sous prétexte qu’en s’en emparant au moment du cessez-le-feu, l’ennemi (« Nord-Vietnamien », nous fut-il précisé) isolait son nid d’aigle d’autres postes proches !
Scènes de fraternisation
Nous avons tenté de gagner cette localité, avec l’intention d’atteindre Pok – Suong, où s’arrêtait la piste, et, là, d’emprunter une pirogue pour remonter le Mékong jusqu’à Pak-Ou. Mais, à Pak-Suong, le colonel Khamchane nous ordonne de faire demi-tour : « Je regrette, je ne peux assurer votre sécurité. Le commandant de la première région a donné des ordres. Faites une demande écrite à l’officier du 5e bureau, au service psychologique. » Inutile d’insister. De retour à Louang-Prabang, un piroguier nous propose ses services. Une heure et demie plus tard, nous sommes à Pok-Ou.
Deux soldats gouvernementaux, mal fagotés comme ils le sont tous, hèlent à la cantonade leurs homologues sur l’autre rive, où flotte le pavillon bleu et rouge à cercle blanc du Pathet-Lao. Presque invisibles parmi la végétation, deux uniformes verts descendent jusqu’au bord de l’eau. Une pirogue de pêcheurs, drapeau blanc flottant, s’approche et les fait traverser. Poignées de mains, accolades démonstratives avec les soldats de ce bord. Les deux jeunes maquisards (dix-neuf et vingt et un ans) sont venus sans arme. Casquette chinoise et pataugas, uniforme impeccable ; des poches dépassent une brosse à dents et le cordon qui retient un briquet à essence. Ils sont dans les maquis depuis cinq ans. Depuis le cessez-le-feu, ils viennent de temps à autre « faire un tour de ce côté » – confidence qui suscite des rires complices. Ils acceptent nos cigarettes, partagent l’eau tiède qu’un soldat vient d’apporter dans une boîte de « corned beef ». Faute d’un interprète émérite, notre conversation se bornera à peu de chose : ce sont des Lao-Theung (4), comme leurs interlocuteurs gouvernementaux, et ils préfèrent au lao, qu’ils parlent difficilement, semble-t-il, leur propre dialecte rocailleux. Nous ne pourrons passer sur l’autre rive, nous font-ils savoir, leurs officiers étant absents. Lorsque nous les quittons, un soldat gouvernemental les raccompagne, bras sur l’épaule, vers la rive.
Ces scènes de fraternisation à la base sont générales, d’un bout à l’autre du pays, autour de Louang-Prabang comme autour de Paksé. A Long-Cheng, le responsable américain nous a assuré qu’il s’en produisait aussi dans sa région, dans les « zones non stratégiques » – « mais nous ne les encourageons pas », a-t-il ajouté.
De fait, le lendemain du cessez-le-feu, des chefs du maquis de la région auraient invité des mercenaires thaïlandais à visiter leurs bunkers. Ceux-ci ayant refusé, les officiers se seraient rendus dans les positions tenues par les mercenaires – à la suite de quoi, Vang Pao aurait interdit toute fraternisation avec l’ennemi « au-dessous du grade de général » ! (Il est le seul général de la région.)
Au sud de Louang-Prabang, un vieux restaurateur vietnamien nous avait appris que neuf cadres du Pathet-Lao s’étaient rendus la veille dans un village gouvernemental au bord de la Nam-Khan, qu’ils avaient « bu du choum et dansé le lamvong » toute la nuit avec des officiers gouvernementaux, et que cinq autres avaient assisté, mais de loin, à une distribution de riz de l’USAID, dans un hameau de réfugiés. Un officiel laotien nous a prévenu : « Inutile de vous y rendre, les soldats et la population ont reçu l’ordre de ne rien dire. » Effectivement, les gens du cru n’avaient « jamais vu de soldats Pathet... ».
Quelle que soit la volonté de dissimulation des autorités, la multiplication de ces contacts au niveau du peuple ne peut manquer d’avoir des effets – déplorables de leur point de vue. Ici, les soldats gouvernementaux s’aperçoivent qu’on se nourrit mieux de l’autre côté que dans leurs lignes (une vieille paysanne, chargée de paquets au bord de la route : « Je vais rejoindre un de mes fils ; il est soldat dans l’armée irrégulière ; il gagne 16 000 kips par mois (environ 100 F, le double de la solde d’un caporal de l’armée royale), mais, vous voyez, il n’est pas nourri et si je n’étais pas là... ») ; ailleurs, les pêcheurs réquisitionnés par le Front pour un passage de troupes reçoivent des explications et un dédommagement en espèces – les troupes de Vientiane ne les ont pas habitués à tant d’égards.
Les Américains « partent mais ne s’en vont pas »
Pourtant, au moins dans les premiers temps, les combats ont très vite diminué d’intensité, les soldats laotiens mis l’arme au pied, les Américains et leurs séides étrangers ostensiblement plié bagages. La guerre s’éloignait, la paix prenait tournure, le fameux « dégagement militaire américain » du Laos, dûment programmé et appliqué, était bien près de convaincre de sa réalité les observateurs les plus sceptiques. Il est cependant nécessaire d’y regarder de plus près pour définir sa nature et sa signification.
L’étendue de la présence militaire américaine au Laos a toujours été soigneusement cachée. Cependant, divers recoupements, des indiscrétions, des témoignages et plusieurs rapports d’enquête (de commissions sénatoriales américaines en particulier) permettent de se faire une idée approximative de l’ampleur de cette présence au moment du cessez-le-feu.
Aux côtés de l’armée royale laotienne – forte de vingt mille à cinquante mille hommes, selon les estimations, y compris les six mille soldats des forces armées neutralistes (5), dont le quartier général est à Vang-Viengn – les Etats-Unis ont recruté, équipé, entraîné et payé quelque trente mille ou plus d’ « irréguliers ». L’essentiel appartient à la fameuse « armée clandestine » commandée par le général Vang-Pao. Elle a compté jusqu’à trente-six mille hommes en 1970-1971, mais une série de désastres militaires l’a réduite à une dizaine de milliers de combattants. Cette armée, composée à l’origine exclusivement de Hmongs (plus connus sous le terme jugé par eux désobligeant de « Méos »), a dû intégrer une forte proportion de non-Hmongs. Elle est encadrée par des officiers qui appartiennent officiellement à l’armée royale, par des mercenaires « alliés » et par des « civils » américains.
A l’armée clandestine, il faut adjoindre les « American commandoes », recrutés surtout parmi les minorités ethniques du Laos, Hmongs, Yaos, Khôs, etc. Ils jouent le rôle de cordons sanitaires et sont disposés en petits campements – postes et bunkers au sommet des collines, bidonvilles où vivent les familles en contrebas.
Ces unités relèvent exclusivement des Américains. Lorsque, muni d’une autorisation en bonne et due forme, signée du ministre laotien délégué à la défense (Sisouk na Champassak), nous avons voulu aller de Vang-Vieng à Long-Cheng, « Number One » (Vang Pao dans leur jargon) nous a fait savoir que seule était valable à ses yeux une lettre signée par l’ambassadeur américain...
La C.I.A. et ses « couvertures »
Relèvent également des conseil !ers » américains, et plus particulièrement des agents de la C.I.A., les « volontaires » thaïlandais présents au Laos. Recrutés et entraînés en Thaïlande par l’agence américaine, qui verse leurs salaires, leurs primes, finance le coût de leurs opérations, assure leur transport, on évaluait leur nombre en 1972 à l’équivalent, d’une vingtaine de bataillons – soit entre cinq mille et dix mille hommes. Cependant, trois mois après la signature de l’accord de Vientiane, le Pentagone admettait la présence au Laos de quelque quinze mille « volontaires » thaïlandais – chiffre sans aucun doute inférieur à la réalité.
La plupart de ces « volontaires » sont organisés en « Guerrilla Teams » (ou S.G.U., « Special Guerilla Units »), qui comprennent aussi des mercenaires sud-vietnamiens, philippins, sud-coréens, etc. Fin mors, dans la région de Vang-Vieng, sur des effectifs globaux de deux mille cent vingt hommes, on dénombrait deux cent soixante-treize mercenaires « G.T. », chargés de contrôler quarante-cinq villages.
Quant au nombre d’instructeurs militaires au Laos, il est tout aussi difficile à évaluer avec précision. Officiellement, il y a mille deux cents citoyens américains dans le pays : personnel de l’ambassade – dont quelque deux cent cinquante « conseillers militaires », – membres de l’USAID, de l’USIS, de l’ADO, de l’A.D.B., etc. (6). En fait, selon plusieurs sources, le chiffre réel avoisine les trois mille personnes (résidents permanents ou semi-permanents). De même que les militaires et techniciens français disposent, près de l’aéroport de Wattay, à Vientiane, d’un véritable complexe résidentiel, de même le personnel américain s’est retranché à « Camp Six », « village » de style californien clos et bien gardé, situé à six kilomètres de la capitale, sur la route de Dam-Lak. L’énorme ensemble de bâtiments de l’ambassade et des services américains près du monument « des » morts est à première vue ouvert à tous les vents, mais un certain nombre de bâtiments sont interdits aux Laotiens, et il faut véritablement montrer patte blanche pour y être introduit. Un « boy » venu remplir les distributeurs d’eau distillée installés à tous les étages ne mobilise pas moins de trois G.I. casqués et armés qui communiquent entre eux, d’un étage à l’autre, par interphone...
L’USAID, ce n’est un secret pour personne – son administrateur, M. John Hannah, en convenait lui-même lors de sa prise de fonctions (7), – est une des principales couvertures de la C.I.A. Un coopérant français nous a affirmé avoir vu à Poksong, à la fin de l’année dernière, un inspecteur de l’assistance publique de l’USAID interrompre une tournée dans une école pour diriger, walkie-talkie à la main, des tirs d’artillerie au moment d’une attaque... En outre, des institutions telles que l’Asia Foundation (distributrice de bourses d’études), la Tom Dooley Foundation (aide médicale), l’Asian Christian Service (secours aux réfugiés), etc., sont loin de se livrer uniquement aux activités philanthropiques inscrites dans leurs statuts.
Cet énorme appareil de guerre et de contrôle semblait effectivement en voie de démantèlement au lendemain du cessez-le-feu. « Notre personnel, trente-deux personnes actuellement, va être réduit de moitié dans les deux mois ; les départs sont programmés, et ils ont déjà commencé », nous a affirmé le responsable de l’USAID à Louang-Prabang. A Vang-Vieng et sur les autres aérodromes de quelque importance du royaume, l’intense trafic aérien montrait assez que « le déménagement est en cours », selon l’expression d’un interlocuteur américain. A Long-Cheng, un commandant américain explique : « Les boys en ont marre ; ils partent par petits groupes, comme prévu. Ils aiment l’action : aujourd’hui, l’action est ailleurs, le moral baisse avec le désœuvrement ; autant s’en aller. Nous passons la main. »
Peut-il nous assurer qu’il n’y aura plus d’Américains dans la région soixante jours après la formation du gouvernement provisoire bipartite (conformément aux stipulations de l’accord de Vientiane) ?
« Ce n’est pas à moi de vous répondre ; adressez-vous à l’ambassade américaine. » Surprenante réticence. Quelques jours plus tard, nous étions à Poksé, dans le Sud-Laos. La forte garnison de « volontaires » thaïlandais devait être évacuée le jour même. Il semble qu’il n’en ait rien été – bien au contraire, à en juger par les confidences, intéressantes à plus d’un titre, d’un de ces « volontaires » thaïlandais, rencontré un mois plus tard, le jeudi 19 avril, dans le nord de la Thaïlande.
Après trois ans dans l’armée en Thaïlande, ce jeune homme avait été affecté, le 1er avril de cette année, dans la région de Paksé, d’où il était rentré le 14 avril pour passer en famille les fêtes du Songkron (le Nouvel An thailondais). Il se rendait à la base américaine d’Udorn, nous a-t-il dit, « pour y recevoir des instructions avant d’être envoyé au Cambodge » avec son unité (qui s’est appelée successivement « Block Tiger » au Vietnam, « Fighting Tiger » ou Laos et allait s’appeler « Yellow Tiger » au Cambodge, toujours sous la direction d’un certain major Chansee (8).
« Vous êtes-vous battus au Laos ?
– Non, nous faisions des patrouilles dans la jungle autour de Paksé.
– Combien étiez-vous ?
– A Paksé, entre trois mille et cinq mille. Dans l’ensemble du Laos, entre vingt mille et trente mille. »
Le jeune mercenaire nous a encore précisé qu’il percevait une solde mensuelle de 300 bahts en monnaie locale (environ 12 000 kips, soit 15 dollars), ainsi que 450 bahts (23 dollars) à titre de primes spéciales versées directement en bahts en Thaïlande. Il nous a affirmé avoir conservé au Laos sa nationalité thaïlandaise (alors qu’une pratique courante consiste à donner aux « volontaires » se battant au Laos la nationalité laotienne, ce qui permet à Bangkok d’ignorer officiellement leur existence). Il nous a dit enfin que son unité était « conseillée par une demi-douzaine d’Américains ».
En présence d’un tel témoignage, on est en droit de se demander s’il n’y a pas eu, en fait, renforcement de la présence des mercenaires thaïlandais au Laos après le cessez-le-feu, en contradiction avec toutes les déclarations américaines et en violation flagrante de l’accord de Vientiane.
D’autre part, les Etats-Unis ont annoncé, le 9 avril dernier, leur décision de maintenir « jusqu’à nouvel ordre » leurs conseillers dispersés dans le royaume (9). Une semaine plus tard, ils faisaient à nouveau intervenir leurs bombardiers géants.
Le fait le plus remarquable dans la présence des conseillers et instructeurs américains au Laos est qu’une bonne partie d’entre eux ne résident pas dans le pays, mais en Thaïlande, d’où ils partent le matin et où ils rentrent le soir. Au-delà du coup d’arrêt donné début avril, c’est ce dispositif que les Américains entendent développer. Toutes les dispositions pour la résorption des forces étrangères au Laos concourent à le prouver. Il n’y a pas démobilisation, mais transfert ou substitution.
Dans la semaine qui a suivi la signature de l’accord de Vientiane, la totalité des forces irrégulières du général Vang Pao ont été transformées, d’un trait de plume, en réguliers de l’armée royale. Le général de division Vang Pao est désormais chef de la IIe région militaire. Il en va de même pour le matériel, les installations et l’armement : « Tout cela va rester à la disposition du général », nous a précisé le responsable américain de Long-Cheng. Les Américains se sont engagés aussi à renouveler, le cas échéant, son stock d’armement.
En outre, la diminution des effectifs américains au Laos est largement compensée par l’augmentation des forces américaines et « alliées » en Thaïlande (10). Le transfert dans les bases américaines de Thaïlande frontalières du Laos et du Cambodge représente, pour les opérations aéroportées, une perte de quelques secondes en vol supersonique, de quelques minutes en « Spooky » ou en « Porter ».
Sur l’aéroport de Vientiane, on peut voir, à côté de petits avions d’Air America ou de Continental Airways Ltd (deux des compagnies aériennes qu’utilise la C.I.A.), empaquetés et prêts à être expédiés, un certain nombre de C-123 et de « Caribous », notamment, qu’on est en train de repeindre aux couleurs de la Royal Lao Air Force, l’armée de l’air laotienne. Un programme de formation accélérée de pilotes laotiens est en cours, mais d’aucuns prévoient que l’utilisation de « civils » étrangers sous contrat sera encore nécessaire pendant de longs mois.
Les Américains renforcent donc le potentiel matériel et humain de l’armée royale, tout en allégeant leur propre système d’intervention. En fait, « ils partent mais ne s’en vont pas », selon l’expression d’un diplomate asiatique en poste à Vientiane...
Une société exsangue, rongée par la corruption
Un marché, n’importe quel marché de province. Melons d’eau, mangues, papayes, durions, un assortiment de fruits tropicaux à l’odeur forte, empilés sur des nattes ; morceaux de viande noirs de mouches des sacs de riz ou de maïs concassé, portant l’estampille américaine ; tabac chevelu en tas qu’une femme roule en grosses cigarettes dans du papier journal et vend à l’unité ; les poissons s’agitent encore dans les paniers ; des paysannes accroupies jacassent, joviales, devant leurs maigres produits : une poignée de soja, de pauvres légumes, dont elles tireront quelques dizaines de kips – et aussi une multitude de petits animaux et d’insectes, vivants ou grillés, en cage, en sachet ou en brochette, écureuils, grenouilles, cigales, larves... Impression de dénuement, de quasi-disette. Mais, sur les éventaires voisins, aux couleurs agressives, s’étalent les produits importés : cigarettes de luxe -Salem, Dunhill au tabac ranci, – parfums parisiens, montres suisses ou japonaises, transistors de Hongkong, papier de toilette parfumé, rasoirs électriques, jus de fruits en boite chipés aux P.X. américains, cashemires articles ménagers, vêtements et produits de beauté importés de Thaïlande.
Pauvreté des denrées locales et superflu des produits importés : tout le déséquilibre économique se révèle déjà. Un des rares pays asiatiques qui souffre de sous-peuplement (la densité moyenne est d’environ douze habitants au kilomètre carré, soit cinq à sept au kilomètre carré dans les compagnes), le Laos a une économie essentiellement rurale et de subsistance. Six Laotiens sur dix, en zone gouvernementale, échappent à l’économie de marché. Un million huit cent trente-neuf mille personnes vivent presque totalement hors du circuit monétaire (11).
Qui plus est, les neuf dizièmes de la population dépendent de l’agriculture, et plus particulièrement de la culture du riz, sur brûlis (ray ou sadang) sur les plateaux et les montagnes, en culture irriguée dans les plaines. Le ray mutile la forêt, épuise vite les sols, accélère l’érosion. La culture en plaine est tributaire des variations saisonnières. Les rendements sont étonnamment faibles (entre 0,7 tonne et 1,8 tonne à l’hectare, et jusqu’à 3 tonnes en culture irriguée de saison sèche). En 1971, le Laos n’a produit que 500 000 tonnes de riz. Pauvreté des terres, résistances traditionnelles, insuffisance des connaissances et des moyens (l’engrais est ignoré, l’irrigation et le drainage également, les semences sélectionnées sont inabordables) expliquent que le paysan, bien qu’il ne soit occupé véritablement que deux mois par an, ne sache ou ne puisse, à de rares exceptions près (projets-pilotes), tenter une seconde, voire une troisième récolte. Toutefois, dans les zones rizicoles qu’il contrôle, le Front patriotique obtient régulièrement deux récoltes annuelles. Les cultures secondaires (manioc, patates, pommes de terre, oignons) permettent difficilement d’assurer la soudure entre deux récoltes de riz. Les Américains ont cependant encouragé la culture du maïs (distribué sous forme de nouilles ou de farine aux réfugiés) ; sa production atteignait 28 000 tonnes en 1971.
Le coton est la seule culture industrielle qui soit exportée (sous forme de coton graine non traité). Tabac (entre 3 500 et 4 000 tonnes par an) et café (3 200 tonnes en 1970), de qualité médiocre, sont consommés localement. Alors que l’élevage était une ressource traditionnelle, le cheptel laotien a diminué des deux tiers, du fait notamment de la guerre et des réquisitions effectuées par les militaires – cependant que s’accroît la demande de viande dans les villes. Les trois principales richesses potentielles naturelles du Laos – l’énergie hydro-électrique, les ressources minières et la forêt – sont à la fois sous-exploitées et pillées.
Le Laos est riche en marbre, calcaire, gypse, chaux et kaolin, mais seul l’étain est exploité ; sa vente, tout entière dirigée sur la Malaisie, représente 60 % des exportations. Quant à la forêt, qui couvre les trois quarts du territoire, son potentiel annuel d’exploitation est estimé à un million de mètres cubes de bois. Toutefois, seuls 463 000 mètres cubes ont été exploités en 1970. En outre, « pour 1969, la direction du commerce a octroyé des autorisations d’exportation pour 484 000 mètres cubes de bois, tondis que le relevé des statistiques douanières thaïlandaises faisait apparaître que ce pays avait importé du Laos 606 800 mètres cubes de bois » (12). La sous-exploitation de la forêt est due à la dispersion, aux difficultés de transport et à la faible mécanisation. Il y a toutefois des exceptions : à Bouam-Long, le général Vang Pao possède une scierie, dirigée par un contremaître thaïlandais, où les troncs d’arbres sont transportés un par un des collines avoisinantes par hélicoptère !
Salaires de misère et inflation
« Le bilan de l’agriculture laotienne (...) est marqué par une série de sous-emplois : de la terre cultivable (un tiers est cultivé), des forêts, de l’eau (les crues ne sont pas maîtrisées), de la force animale (le collier d’épaule est inexistant), de la force de travail humaine (mal employée et diminuée par les maladies) (13). » En outre, tandis que les provinces du Sud-Laos ont une production de riz excédentaire et exportent du bétail, la province de Vientiane ne parvient à subvenir qu’à 35 % des besoins alimentaires de la capitale : l’autosuffisance alimentaire permettrait au Laos de réaliser une économie annuelle d’environ 7 à 8 millions de dollars.
Si le secteur primaire est prépondérant, le secteur secondaire ne représente que 2,8 % de la force de travail. L’artisanat se meurt. Les filets de pêche ne sont plus en chanvre mais en nylon. Les lattes de bambou tressé pour la toiture de la cabane sont de plus en plus fréquemment remplacées par des tôles...
Artisanat et petite industrie ne représentent guère plus d’une dizaine de milliards de kips de chiffre d’affaires annuel. Les capitaux vont vers les secteurs d’investissement à haute rentabilité immédiate (production d’articles de caoutchouc, de cigarettes, de boissons gazeuses, etc.), vers les secteurs spéculatifs non productifs, vers l’import-export – aux dépens notamment des industries d’équipement, tributaires de prêts étrangers ou nationaux d’origine publique, fort aléatoires. Le budget laotien consacre en moyenne moins d’un demi pour cent aux dépenses d’équipement, et autour de 3,5 % aux réalisations économiques (14) L’essentiel des sorties budgétaires vont à l’entretien de l’armée, de la police et d’une pléthore de fonctionnaires. Le secteur tertiaire représente 19 % de la population « active ». Le gouvernement emploie environ vingt mille fonctionnaires, l’USAID et ses sous-traitants plus de cinq mille cinq cents. Cinq pour cent au moins de la population en zone gouvernementale sont dans l’armée ou dans la police – l’équivalent de deux millions et demi de personnes en France !
Insuffisance de la production locale (le P.N.B. par tête était estimé à 55 dollars en 1971), sous-exploitation et dilapidation des ressources, essor des secteurs spéculatifs non productifs, existence d’une bureaucratie parasitaire : autant de caractéristiques d’un pays sous-développé à économie néo-coloniale. Il en est d’autres. Les importations (dont pas moins du quart est constitué de produits alimentaires) ne cessent d’augmenter. Elles l’emportent à vingt contre un sur les exportations. La balance commerciale a accusé un déficit de 97 % en 1965, de 87,2n % en 1968 et de 94,8 % en 1969.
Malgré les dévaluations successives du kip (la dernière, de 20 %, remonte au 8 novembre 1971), le coût de la vie ne cesse de croître. L’indice général des prix (base 100 en 1971) est passé à 162 en juillet 1972. Le sac de 100 kilogrammes de riz coûtait 9 000 kips en octobre-novembre derniers ; son prix est désormais de 13 000 à 14 500 kips à Vientiane. Ailleurs, à Louang-Prabang par exemple, la vie est en général de 20 % plus chère.
Si le salaire minimum est de 5 000 kips par mois, un seconde classe dans l’armée perçoit seulement entre 800 et 1 000 kips. « Nous sommes condamnés à des salaires de misère, mon bon monsieur, et les prix galopent, galopent », constate un sergent attablé devant un café glacé, en face du ministère de la défense. « J’ai six enfants, neuf ans d’armée et six ans de police ; eh bien ! ma solde est de 17 000 kips. Comment voulez-vous joindre les deux bouts sans recourir aux petits à-côtés ? »
Un colonel, père de trois enfants, aura droit à 44 000 kips par mois, plus 15 000 à 20 000 kips de frais de représentation ; tandis qu’un policier du rang gagne 6 000 kips. Un instituteur en fin de carrière se contentera de 15 000 à 18 000 kips, un professeur laotien licencié de 35 000 à 40 000 kips.
« Savez-vous, nous a dit un professeur français, que, sans parler du logement gratuit et de divers autres avantages matériels, je gagne dix fois plus que mes homologues laotiens, et quatre fois plus qu’un ministre ! Je ne suis pourtant que coopérant militaire : les civils touchent deux ou trois fois plus, ce qui ne les empêche pas parfois de se plaindre de leurs conditions de vie ! Savez-vous aussi que, sur Vientiane, quelque trente mille personnes dépendent, directement ou indirectement, des emplois fournis par l’USAID, Air America, etc.? Voilà qui promet du vilain quand les Américains auront fermé boutique ! il en va de même pour la prostitution, du reste, qui fait vivre entre un quart et un cinquième de la ville. On dénombre officiellement plus de douze mille prostituées à Vientiane. Il est vrai que toutes ne sont pas dans les “ night clubs ” et les “ salons de massage ” de la rue des Mille-Joies. Beaucoup ont émigré en Thaïlande pour y suivre le mercenaire... En revanche, ce pays ne compte que dix-sept médecins, presque tous à Vientiane d’ailleurs ! Et le taux d’alphabétisation ne dépasse pas 20 %. »
L’art de survivre
Pour survivre, tous les moyens – même honnêtes – sont bons. Le professeur donne des cours privés ; le policier et le fonctionnaire se transforment en chauffeurs de taxi après les heures de service. Mais la corruption sévit à tous les niveaux – inévitable et, au demeurant, rarement perçue comme scandaleuse. A cet égard, il est symptomatique que, lorsqu’on demande à des élèves de lycée quelle carrière les attire, leurs préférences vont au métier de douanier ou à celui de policier – à moins qu’ils ne convoitent une bourse d’études en France ou aux Etats-Unis, source de futures sinécures. Le poste de sapeur-pompier, également, doit être très couru, à en juger par ce témoignage : « Récemment, un violent incendie a éclaté près du marché du Soir ; les pompiers ont refusé d’intervenir tant qu’on ne leur aurait pas graissé la patte. Seul un Chinois a payé : sa maison est la seule qui tienne encore debout. »
Pour obtenir ou renouveler un permis de séjour (annuel), un étranger (15) doit verser 15 000 kips, 10 000 kips de taxe d’enregistrement, et de 2 000 à 3 000 kips de « bakchich », nous a-t-on dit aussi ; et encore : « La circulation est moins dense vers la fin du mois : les policiers ayant épongé leur solde trouvent toujours un phare cassé ou un pneu lisse à votre véhicule. Il faut payer – ou rester chez soi... »
Deux histoires ont fait le tour de Vientiane : celle d’un commerçant chinois qui a obtenu une énorme subvention en dollars pour l’importation de cent machines à calculer, et qui s’est empressé de faire venir de Hongkong... des bouliers ; et celle de la construction du monument « des » morts (un Arc de triomphe qui aurait mal tourné, au bout de ces Champs-Elysées de Vientiane qu’est l’avenue Lane-Xang). Cette prétentieuse pâtisserie aurait coûté 8 milliards de kips et englouti en ciment trois fois son cubage plein ; dans le même temps que surgissaient, parmi les cabanes en planches et les palmiers de la banlieue, de somptueuses villas en dur, complètes avec piscine, statuettes sur gazon et éclairage psychédélique !
Tout est matière à trafic, à contrebande ou à prébendes : l’or et la viande, les pierres précieuses et le riz, les armes et les devises, les surplus américains, les motos et les faux papiers, sans oublier, bien sûr, l’opium.
Mais ce dernier trafic n’est plus ce qu’il était, gémit-on aujourd’hui à Vientiane, depuis que les Etats-Unis ont décidé qu’il était temps de « faire quelque chose » dans ce domaine. En 1971-1972, Washington a fourni au Laos un million de dollars pour la lutte contre les stupéfiants. Cela permet notamment à l’USAID d’organiser des crémations publiques de drogue (qui sent parfois très fort le riz moulu, chuchotent les mauvaises langues). La dernière en date a eu lieu le 19 mars dernier, à Ban-Na-Kong, près de Houeï-Say, en présence de la presse internationale et sur le thème : « Aujourd’hui, 150 kilogrammes d’opium sont retirés du marché mondial des stupéfiants » (« dixit » un prospectus de l’USAID). Une semaine plus tard, cependant, un expert français, de passage dans la localité, s’est vu proposer par les paysans une livre d’opium brut, à un prix très avantageux...
« L’opium ? Pas de problème ! s’exclame un jeune réfugié Hmong. Mon oncle, qui est colonel d’aviation, ramène régulièrement de Houeï-Say dans son appareil ce qu’il faut aux vieux du village (16). Bien sûr que nous allons reprendre la culture du pavot dès que nous serons revenus dans nos terres – que voulez-vous que nous fassions d’autre ? »
Allons, les beaux jours ne sont pas tout à fait finis, même si le général Vang Pao, en serviteur compréhensif de la cause américaine, a préféré se reconvertir à d’autres « hobbies », ou même si le général Ouane Rattikoune, ancien chef d’état-major général de l’armée royale, a été admis un peu abruptement à faire valoir ses droits à la retraite. Simplement, une certaine discrétion s’impose – ne serait-ce que pour éviter la fâcheuse mésaventure survenue en 1971 à M. Chao Sopsaysana, le conseiller juridique personnel du prince Souvanna Phouma. Cet ancien président du Centre culturel français à Vientiane, chaudement recommandé par M. André Ross (l’ambassadeur français de l’époque), venait à peine d’être nommé représentant de son pays à Paris qu’il dut être rappelé : une de ses valises, momentanément « égarée » à son arrivée à l’aéroport d’Orly, fut retrouvée pleine de sachets d’héroïne pure. Qu’on se rassure cependant : il en faut davantage pour briser une carrière. M. Chao Sopsaysana est toujours vice-président de l’Assemblée nationale.
Tel apparaît donc le Laos gouvernemental : une société exsangue, en faillite permanente, rongée par la corruption, à l’économie déséquilibrée – et qui n’a trouvé d’autre remède à ses maux que le recours à l’aide étrangère.
L’aide étrangère et l’appui thaïlandais
Le Laos, un des principaux pays producteurs d’opium, est à ce point drogué par les injections d’argent étranger qu’il est difficile qu’il puisse s’en passer. Il reçoit 65 millions de dollars d’aide économique par an – soit 40 à 50 dollars par tête. Entre 1969 et 1972, les aides ont contribué en moyenne pour près de 70 % au financement du plan cadre gouvernemental ; les prêts étrangers, pour 24 % environ. Rude contrepartie : le remboursement annuel de ces dettes représente près de la moitié des recettes en devises provenant des exportations. Le FOC (Fonds d’opération des changes), créé en 1964 pour stabiliser l’économie et enrayer l’inflation, fournit 90 % des devises du pays et comble le déficit budgétaire, qui dépasse souvent la moitié du budget (17).
L’introduction de l’aide américaine au Laos remonte à 1950. L’avènement de la Chine populaire entraîna Washington à ventiler les 85 millions de dollars de crédits qu’il destinait à Pékin dans les pays indochinois, conformément à la nouvelle politique américaine de « containment » de la Chine par ses voisins, définie par le China Area Act du 5 juin 1950. Toutefois, ce n’est qu’après Dien-Bien-Phu (1954) et le départ des Français d’Indochine, que les Etats-Unis entreprirent, discrètement d’abord, puis ouvertement, d’assumer les intérêts du « monde libre » dans les trois pays indochinois. En quelques années, ils devinrent le principal bailleur de fonds et tuteur du Laos.
Aujourd’hui, l’aide américaine civile représente 80 % de l’aide étrangère reçue par le Laos. En 1972, elle se chiffrait à un peu plus de 50 millions de dollars, surpassant largement le montant du budget national laotien (36,6 millions de dollars). Outre cette aide officielle, fournie par l’USAID, des sommes non négligeables sont déversées dans le pays par le canal d’organismes semi officiels tels que l’Asia Foundation, la Tom Dooley Foundation, etc.
Pour ce qui est de l’aide militaire, dont les chiffres sont tenus secrets, elle était évaluée à 162 millions de dollars en 1971, et à 252,1 millions de dollars en 1972 (soit une augmentation de 55 % !) ; en outre, le budget de la C.I.A. au Laos était estimé à 70 millions de dollars, compte tenu du coût d’entretien des mercenaires thaïlandais et autres « alliés », ni, bien évidemment, des opérations aériennes américaines, émargeant à la colonne budgétaire « Thaïlande » (18).
Ces données rendent à peine compte du caractère universel de la présence américaine au Laos : impression des portraits en couleurs du roi Savang Wattana, qui ornent tous les intérieurs ; la conduite des opérations militaires et financières ; prise en charge des réfugiés, que leurs bombardements ont suscité ; formation d’enseignants et de travailleurs médicaux... Les Américains collectent les taxes douanières, réglementent la circulation, légifèrent sur les stupéfiants, font et défont les carrières militaires (ils paient assez cher pour cela) et se mêlent même d’aseptiser les mœurs.
Si après des années d’un flot incontrôlé de dollars, l’économie laotienne demeure à un niveau primitif, ce n’est pas seulement parce que cet argent s’est dilapidé en produits de luxe au lieu de s’investir dans les réalisations sociales et dans le développement de l’infrastructure : la classe compradore, engraissée par l’aide américaine, s’est tout simplement attachée à la transférer sous des cieux plus sereins et dans des marchés plus profitables. « Sur les 18 millions de dollars fournis chaque année pour soutenir directement la monnaie nationale, les économistes estiment que peut-être jusqu’à 95 % de cette somme disparaît dans le “ dollar drain ” (19). »
Attirer les investissements
Discrètement, les Etats-Unis attirent l’attention sur les possibilités d’exploitation du pays. Le Livre blanc de l’USAID sur l’aide étrangère au Laos note en particulier : « Pour aider les investisseurs, un nouveau code d’investissement a été formulé, qui, en sus des exemptions d’impôts pour les cinq premières années d’opération et de la suppression des taxes sur les importations de capitaux, assure une période de taxation fixe garantie, n’implique aucune obligation de réinvestir des profits hors taxe et supprime la taxe à la vente. » Aucune loi laotienne ne contrôlant la fuite des capitaux et nul, semble-t-il, n’ayant jamais fait valoir sa nécessité, la cause est entendue.
Un document confidentiel (20), émanant du ministère laotien du plan et de la coopération, rédigé il y a trois ans par un haut fonctionnaire formé aux Etats-Unis, jette quelque lumière sur la façon dont les Etats-Unis envisagent l’avenir du Laos. Ce document définit un ordre de priorité qui ne place l’accélération du développement économique qu’en troisième position, derrière le maintien de la souveraineté du pays et de la stabilité du gouvernement. Néanmoins, il insiste particulièrement sur la « nécessité de créer un environnement favorable aux investissements », ainsi que sur « l’institution de l’intégration économique régionale ». En somme, il s’agit d’amarrer plus solidement le Laos aux autres pays de la région, sous la domination du capital américain.
Il n’est donc pas surprenant que, tout en empoisonnant les terres et les eaux indochinoises, les Etats-Unis aient parrainé notamment l’ambitieux projet d’aménagement du cours du Mékong, où le Laos tient un rôle privilégié.
En effet, selon le comité du Mékong, organisme international émanant de l’ECAFE, ce pays « contient entre 60 % et 70 % du potentiel total de production hydro-électrique du bassin inférieur du Mékong. » Il offre également des possibilités d’irrigation énormes qui permettraient de doubler la superficie des terres cultivables. Trois barrages ont été construits au Laos ; le dernier en date, inauguré en décembre 1971, retient les eaux de la Nam-Ngun, affluent du Mékong, à 70 kilomètres au nord de Vientiane (21). Quatre autres sont également prévus. Les perspectives d’exploitation sont immenses, mais le moins qu’on puisse dire est que leur réalisation pose d’énormes problèmes.
Le problème n’est pas seulement de développer le potentiel économique du pays pour une exploitation plus rentable, mais de s’en servir pour lier entre eux les pays de la région, défendant une idéologie commune à travers des intérêts communs. Le pays, plus particulièrement destiné par les Etats-Unis à tenir dans ce concert le rôle de deuxième violon est la Thaïlande, le bastion de l’anti-communisme en Asie du Sud-Est continentale.
Outre sa loyauté à Washington, Bangkok a d’autres qualifications pour tenir ce rôle. Les généraux thaïlandais ont toujours considéré le Laos comme leur sous-fief naturel. Les liens familiaux entre l’élite thaïlandaise et l’élite laotienne sont très étroits. L’exemple le plus net est celui du général Phoumi Nosavan, neveu de feu le dictateur thaïlandais, le maréchal Sorit Thonarat Depuis les années 50 surtout, Bangkok accorde, dans ces considérations stratégiques, une place importante au Laos, en tant qu’Etat-tampon avec la Chine et le Vietnam du Nord. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que la police fluviale sur le Mékong soit assurée par les Thaïlandais (avec des canonnières fournies par les Américains), que la Border Patrol Police, la police des frontières thaïlandaise (corps entièrement contrôlé par les conseillers de la C.I.A.) ait le loisir d’intervenir d’un côté ou de l’autre de la frontière (ce n’est le cas pour aucune autre frontière thaïlandaise, à l’exception de celle du Cambodge), ou encore, bien entendu, que des milliers de « volontaires » thaïs aient été envoyés au Laos.
En outre, la Thaïlande s’est vu affecter une part copieuse du gâteau économique américain servi au Laos. Ce pays sous-développé, sans ouverture sur la mer, est une aubaine pour la Thaïlande. Non seulement Bangkok fournit à Vientiane sa seule ouverture terrestre sur le monde extérieur, mais encore la « bonne conjoncture thaï » – comme disent pudiquement les économistes – permet à la Thaïlande d’absorber au moins 75 % des exportations laotiennes, de l’approvisionner en riz et en produits de consommation, en échange de dollars américains. En 1971, avec 26 % des importations laotiennes, elle était le premier fournisseur du pays.
La Thaïlande s’intéresse à l’extension de ce marché quasiment réservé à sa porte. En tant que membre actif du comité du Mékong, elle a aidé à la construction du barrage sur la Nam-Ngun, en fournissant du ciment, d’une valeur de 1 250 000 dollars, qu’elle se fait rembourser sous forme d’énergie électrique. « Le Laos remboursera également l’énergie thaïlandaise fournie pour la construction du barrage et des installations annexes et pour la satisfaction complémentaire des besoins électriques de la ville de Vientiane », peut-on lire dans un rapport de l’USAID, qui omet de préciser que la centrale thermique de Vientiane a été mise en sommeil, précisément pour construire ce barrage, que les « installations annexes » sont notamment deux lignes de force bénéficiant directement à la Thaïlande, et que les conditions de rachat du surplus de production électrique de la Nam-Ngun par !a Thaïlande n’ont jamais été clairement définies. Dans la même foulée, Bangkok a offert de former dans ses propres centrales les techniciens laotiens affectés à celle de la Nam-Ngun...
Cette suprématie économique a pour corollaire une certaine domination culturelle – qu’encouragent les Américains. Sur plus de trois cents bourses qu’accorde chaque année l’USAID, les quatre cinquièmes sont des bourses de stage ou d’études en Thaïlande. Ce pays fournit aussi des instructeurs à l’école normale Don-Dok de Vientiane. Il n’y a pas encore de station de télévision laotienne, mais le Laos compte plus de trente mille téléviseurs (importés du Japon, grâce aux dollars américains) qui captent les émissions thaïlandaises – notables pour la place qu’elles accordent aux « flashes de formation anticommuniste » – au point que les professeurs laotiens se plaignent de la « pollution linguistique thaï » dans le vocabulaire de leurs élèves !
Ce rôle de protecteur tenu par le grand frère thaïlandais a fourni l’arrière-plan économique et militaire idéal au développement de la classe parasitaire, grâce à laquelle les Etats-Unis se sont assuré le contrôle du Laos.
Les « grandes familles » menacées
La colonisation française avait soutenu l’aristocratie féodale, tout en suscitant la naissance d’une petite bourgeoisie commerciale et bureaucratique. L’accession à l’indépendance a favorisé le développement de la bureaucratie. La guerre a privilégié les militaires. C’est sur cette superstructure sociale-féodale, bureaucratique et militaire, que se sont appuyés les Etats-Unis pour barrer la route au « communisme ", qui allait faire tomber un à un les « dominos » indochinois. Les hostilités interdisant toute rentabilisation de la terre, ainsi que des investissements industriels importants, c’est tout naturellement vers les spéculations commerciales que s’est orientée l’élite, d’autant plus que l’aide massive déversée par les Etats-Unis assurait des taux de profit fabuleux. L’aristocratie féodale a donc été amenée à jouer un rôle de comprador croissant, tandis que la petite bourgeoisie acquérait le plein statut de bourgeoisie compradore.
Le patriarche de la famille Champassak, le Prince Boun Oum, règne en seigneur incontesté sur le Bas-Laos. Il a littéralement droit de vie et de mort sur ses sujets. Héritier de la maison royale de Chompassak à Paksé, vice-régent de par la grâce des Français en 1947, deux fois premier ministre, cosignataire des accords de Genève de 1962 avec les princes Souvanna Phouma et Souphanouvong, « le vieux gaga », comme le désigne courtoisement l’attaché de presse de l’ambassade américaine, se consacre depuis vingt ans à élargir son immense empire commercial, tout en retenant les fonctions purement honorifiques d’inspecteur général du royaume. Propriétaire des meilleures rizières du Laos, d’immeubles à Vientiane, qu’il loue à des Américains, d’usines de ciment et d’une fonderie à Paksé, de scieries dans les provinces de Sédone et de Savannakhet (d’où est originaire son épouse, née Insisiengmay, autre grande famille laotienne), ce septuagénaire obèse, à la santé chancelante (il s’est fait hospitaliser fin mars à Bangkok), a placé son innombrable clientèle et ses vassaux aux postes militaires et administratifs les plus lucratifs et les plus influents du Laos méridional.
Lorsque nous nous sommes rendus en son palais de Champassak (une bourgade endormie, étirée au bord du Mékong, à une quarantaine de kilomètres au sud de Poksé), le prince était à la frontière thaïlandaise pour y régler, nous a-t-on dit, des problèmes de transport de matériaux : il se fait construire un énorme et disgracieux palais à arcades à Paksé, et un autre, identique mais plus petit, à Champassak. Doté par Air America d’une flottille d’hélicoptères et de Dakota, que la C.I.A. utilise dans le Sud-Laos (les Boun Oum Airlines) (22), ce potentat semble également entretenir des rapports privilégiés avec les forces patriotiques : celles-ci, nous a-t-on fait remarquer, se sont toujours abstenues d’attaquer ses propriétés ou ses biens. Serait-ce en raison de ses attributs quasiment royaux, ou plutôt du fait des services qu’en politicien avisé il n’aura pas manqué de rendre à l’autre côté ? Un responsable de l’USAID à Vientiane, pourtant peu suspect d’étroitesse d’esprit dans ce domaine, nous a confié être rentré écœuré d’une visite dans le Sud, qui lui avait permis de constater l’étendue des trafics – d’armes notamment – auxquels se livraient de « hauts personnages de l’endroit ».
Dans la capitale administrative, l’autre grand représentant de la famille est le ministre de la défense et des finances, Sisouk na Champassak, réactionnaire intelligent et disert que chacun considère déjà comme un porte-parole désigné de la droite dans le futur gouvernement bipartite. Un autre Champassak, le prince Boun Om, ancien ministre des affaires religieuses – poste important dans un pays où les bonzes jouissent d’une grande influence – a dû démissionner, officiellement pour raisons de santé, en fait pour prévarication trop flagrante.
Spéculation et détournement de l’aide
La famille Sananikone, pour sa part, détient les postes les plus haut placés du régime. Sa figure de proue, M. Phoui Sananikone, fut premier ministre d’août 1958 à avril 1960, après l’échec, favorisé par les Américains, du premier gouvernement d’union nationale (dans lequel le Front patriotique était représenté). Vice-président de l’Assemblée nationale, il s’est efforcé de conduire la révolte des parlementaires au lendemain de la signature de l’accord de Vientiane. Sa « demande d’explication » en forme de mise en demeure envers le prince Souvanna Phouma s’est heurtée à une fin de non-recevoir. Si le gouvernement provisoire bipartite voit jamais le jour, il devrait en être une des premières victimes. Il a repoussé notre demande d’interview d’un sec : « Impossible, je suis malade. » Parmi ses proches parents figurent le ministre des travaux publics, le chef d’état-major de l’armée royale, huit députés (mais la circonscription de certains d’entre eux est désormais sous contrôle Pathet-Lao) et de nombreux hauts fonctionnaires placés aux postes-clés de l’administration.
Par le mariage, les Sananikone s’étaient trouvé un allié de poids (à tous les sens du terme, d’ailleurs) en la personne du général Kouprasith Abhay, chef de la place de Vientione. Mais ce dernier a su louvoyer au gré des intérêts américains et se range aujourd’hui aux côtés de leur favori, le prince Souvanna Phouma. Les Abhay, originaires de l’ile de Khong, comptent aussi un secrétaire d’Etat à la santé publique et plusieurs « grands commis » du ministère des finances.
On pourrait citer d’autre « clans ». Celui des Insisiengmay, dont le représentant national est l’actuel vice-premier ministre, Leuam ; avec les Voravong, autre famille originaire de Savannakhet, ils contrôlaient jadis la droite laotienne, mais la chute du général Phoumi Nosavan (leur protégé et ancien « homme fort » de la C.I.A :, aujourd’hui en exil doré à Bangkok) a marqué le début de leur déclin ; les Intavong, famille pléthorique de commerçants avisés qui se tiennent à l’écart des remous politiques, les Sopsaysana, les Rattikoune, etc. – sans oublier des personnalités à part entière, des « bras de fer » qui tiennent leur puissance de leur fidélité à l’idéal américain : le général Soutchay, chef de la IVe région militaire, côté lao, et, côté méo, le général Vang Pao...
De quelle influence réelle disposent ces grandes familles ? Déjà, bien avant le cessez-le-feu, leur hégémonie était remise en cause. Lors des élections législatives du début janvier 1972, une dizaine de représentants des « clans » Sananikone et Champassak ont été battus. Phoui Sananikone, le président de l’Assemblée, n’a dû sa réélection qu’à un apport de deux mille voix à la dernière minute, dans des circonstances obscures. A Champassak, le fief du prince Boun Oum, il est notoire qu’en cas de nouvelles élections les deux députés de la ville seront des hommes proches du Front patriotique...
« Nous devons violer le cessez-le-feu »
L’accord de Vientiane détériore encore la position de la droite. En effet, il est clair, tant pour le Pathet-Lao (qui insiste, à juste titre, sur le respect de l’accord signé) que pour ses adversaires, que le retour à la paix et le retrait américain ne pourraient qu’entraîner, à plus ou moins longue échéance, une évolution de la situation en faveur des forces patriotiques. Le sentiment d’échec qui s’est emparé de la droite s’est encore aggravé de la conviction qu’elle allait « faire les frais du lâchage américain ».
« Le cessez-le-feu était inévitable, reconnaît Sisouk mais pourquoi cette précipitation ? La décision a été prise par deux personnes seulement ; je n’en ai été avisé que le 16 février. Nous avons été placés pratiquement devant un fait accompli, sans aucune garantie. L’accord global signé n’a pas été bien préparé. » (Sous-entendu : à nous de le parfaire.)
Tandis que le ministre de la défense exprimait ainsi son ressentiment personnel, d’autres se montraient plus agressifs et ne s’embarrassaient d’aucune circonlocution superflue : « Nous devons violer le cessez-le-feu », aurait déclaré, le lendemain de l’accord de Vientiane, le général Oudone Sananikone, qui présidait à Louang-Prabang une réunion du conseil d’état-major mixte régional (autorités militaires et civiles). M. Pheng Pongsovan, signataire pour le « côté de Vientiane » de l’accord de février, reçut pendant quelques jours – ainsi qu’il nous l’a confirmé personnellement – des menaces dans son courrier, insultes et balles non explosées notamment...
Tout en partageant la même frustration et la même amertume, la droite s’est cependant divisée sur la politique à suivre. Certains (des généraux en particulier), dont la prospérité est directement liée à l’effort de guerre américain, et qui ne parviennent pas à comprendre les implications du changement de l’équilibre mondial en cours, n’ont eu qu’une réaction de rejet, et ils continuent de ruminer des projets de coup d’Etat. Ainsi, lors de la Journée nationale de l’armée à Vientiane, le 23 mars (par une coïncidence sans doute fortuite, le gouvernement bipartite aurait dû être formé ce jour-là), on s’attendait généralement à un coup de force de la part du général Oudone Sananikone – toujours lui ! – prêt à masser deux bataillons dans la capitale. Un entretien téléphonique avec l’ambassade américaine et le refus du maître de la place de Vientiane, le général Kouprasith Abhay, d’emboiter le pas, l’en auraient dissuadé. D’autres, plus madrés, pencheraient pour une solution moins spectaculaire mais tout aussi dangereuse, qui passerait notamment par l’élimination physique des ministres du Front patriotique une fois le gouvernement bipartite en place...
L’ambassadeur américain, le tout-puissant George McMurtrie Godley III (23), a clairement fait comprendre, en tout cas, que pour l’instant il ne saurait être question de remettre en cause le statut actuel du régime ni de compromettre la position du prince Souvanna Phouma, seul homme politique de Vientiane oyant une stature internationale, seul interlocuteur acceptable pour tous.
Le bombardement de Paksong
Pour faire admettre leurs objectifs à leurs alliés laotiens, les Américains ont procédé à une démonstration spectaculaire, le lendemain même de l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, en envoyant leurs B-52 bombarder la ville de Paksong, dans le Bas-Loos, reprise par le Pathet-Lao quelques heures avant l’arrêt des hostilités.
La droite, « cocue, battue et mécontente », s’efforçait alors d’obtenir la démission du prince Souvanna Phouma, tout en lancant une contre-offensive majeure sur le terrain, destinée à forcer la main au prince et à entrainer la rupture du cessez-le-feu et l’abrogation de l’accord. Elle réclamait l’intervention de l’aviation américaine, en prétextant une « agression communiste majeure ». Le prince Souvanna Phouma a repris à son compte cette revendication, ce qui lui a permis d’étouffer l’offensive politique ; si les B-52 sont intervenus, ils auraient, selon une source digne de foi, largué leurs bombes dans la campagne autour de Paksong, loin de l’objectif (la ville est en fait restée entre les mains des forces patriotiques). Par ce geste, les Américains faisaient d’une pierre deux coups : ils rassuraient leurs alliés de Vientiane sur leurs intentions, en montrant qu’ils n’avaient pas renoncé à faire usage de la force, mais leur signifiaient aussi, discrètement, d’avoir à se rallier au prince, seul dépositaire de leurs intérêts.
Ainsi, la majeure partie de la droite s’est peu à peu persuadée que si Washington ne pouvait tolérer de sa part un défi direct aux « communistes », son « làchage était plus apparent que réel et qu’il n’était pas prêt pour autant à abandonner le pays au Pathet-Lao. Elle a pris conscience que son meilleur espoir consistait à recourir à la tactique qui lui réussit si bien, à plusieurs reprises, à la fin des années 50 et au début des années 60 : faire obstruction systématiquement et, par le biais de provocations voilées et d’exigences inacceptables pour l’adversaire, amener ce dernier à des concessions de plus en plus substantielles, ou l’acculer à la rupture. En d’autres termes, « reconquérir dans le détail ce qui vient d’être perdu sur les principes », selon la formule d’un diplomate de Vientiane.
« La tâche de la droite est claire, nous a déclaré à Bangkok le général Phoumi Nosavan, se faisant le porte-parole du courant pro-américain « éclairé » : attendre que le projet de gouvernement bipartite oit fait la preuve de son inefficacité ; rien ne peut être fait sans notre consentement. »
Les semaines qui ont suivi le bombardement de Paksong ont montré non seulement le double jeu de la politique américaine, mais aussi l’adhésion croissante de la droite à cette politique, où chacun, finalement, trouve son compte. D’une part, les Etats-Unis manifestent en public leur volonté de respecter les accords, tout en encourageant en sous-main la droite à bloquer systématiquement leur application ; d’autre part, ils n’hésitent pas, lorsque l’adversaire réagit ou menace de réagir à cette volonté de blocage, à faire usage de leur force.
Définir la neutralisation
Bien d’autres manipulations sont en cours sur le plon politique, en particulier en ce qui concerne le sort des réfugiés et, à un autre niveau, la neutralisation, prévue dans l’accord de février, des capitales laotiennes.
« Nous sommes prêts à continuer d’aider les réfugiés, même s’ils décident de rentrer en zone Pathet ; la question est de savoir si l’ “ autre côté ” nous y autorisera jamais », nous a assuré un expert de l’USAID. Ce libéralisme affiché jure cependant avec les déclarations que font en privé les responsables tant Américains que Laotiens, d’autant moins résolus à laisser échapper cette immense réserve de « votes potentiels » qu’il ne fait de doute pour personne que les réfugiés n’ont qu’une hâte : retourner dans leur région d’origine dès que les circonstances le leur permettront.
Quant à la neutralisation de Vientiane (question particulièrement importante si l’on se souvient que l’insécurité de la capitale a forcé les représentants du Front patriotique à retourner dans les maquis en 1963), nul mieux que le prince Souvanna Phouma ne peut résumer le point de vue officiel sur la question.
« Allez-vous neutraliser Vientiane en désarmant votre police et votre armée ? lui avons-nous demandé.
– Non.
– En autorisant alors l’armée et la police du Front patriotique à épauler les vôtres ?
– Non plus. – Dans ce cas, qu’est-ce que cela signifie ?
– Neutraliser Vientiane, a-t-il précisé en tirant sur son cigare d’un air un peu excédé, consiste à assurer la sécurité individuelle des membres du futur gouvernement, voilà tout. »
M. Soth Petrasy, le représentant du Pathet-Lao à Vientiane, à qui nous avons rapporté ces propos, ne s’en est pas ému : « Ce monologue de sourd est typique de la tactique gouvernementale : affirmer hautement un but louable en soi, tout en niant les moyens de l’atteindre. Nous ne cessons de nous heurter à ce barrage au cours de nos entretiens bi-hebdomadaires. »
Une clé de la péninsule
Le second aspect de la politique américaine est devenu évident avec l’interruption du retrait des conseillers présents au Laos puis, une semaine plus tard, avec le bombardement de Tha-Vieng, où les combats au sol se poursuivaient depuis le cessez-le-feu. L’explication de ce durcissement public de la position américaine tient moins aux péripéties sur le terrain qu’à l’évolution globale de la situation en Indochine.
Vientiane a toujours été une plaque tournante diplomatique et un poste d’observation privilégié : l’ambassade américaine voisine avec la représentation chinoise et la délégation du Pathet-Lao. Les Soviétiques sont un peu à l’écart, les Nord-Vietnamiens exilés en banlieue, mais ils sont présents. L’aérodrome de Vientiane présente le spectacle singulier de C-123 anonymes d’Air America voisinant avec des Ilyouchine de l’Aeroflot, quand ce ne sont pas des Antonov-12 en escale technique convoyant du rovitoillement à Hanoï, l’ « envahisseur » du Laos...
Plus important : le Laos détient, avec la piste Ho-Chi-Minh, une des clés du conflit indochinois, dont l’issue doit déterminer le nouvel équilibre des pouvoirs en Asie du Sud-Est. Toute modification de l’équilibre dans un des pays concernés peut entraîner un changement de l’équilibre dans l’ensemble de la péninsule. Il ne peut donc être question pour Washington d’accepter que s’installe à Vientiane (pas plus, du reste, qu’à Saigon ou à Phnom-Penh) un régime qui ne respecterait pas l’idée très particulière qu’il se fait de la neutralité et de l’indépendance. En outre, on le sait, la droite pro-américaine laotienne (ou vietnamienne, ou cambodgienne) ne saurait survivre à un arrêt complet de l’intervention américaine. En laissant le champ libre à cette droite pour qu’elle suscite toutes sortes d’obstacles à l’application des accords signés, les Etats-Unis disposent d’autant de prétextes à la poursuite de leur présence, voire à son renforcement éventuel.
« Trouver le moyen de rester »
Au Laos, comme dans les deux autres pays indochinois, la stratégie américaine apparaît clairement, derrière le rideau de fumée d’un certain « dégagement ». Il s’agit pour Washington d’opérer une refonte de son infrastructure d’intervention, de rechercher de nouvelles modalités de contrôle – notamment par le biais des projets régionaux de développement économique ou, demain, de l’aide à la reconstruction de l’Indochine, – ce qui passe par le renforcement des régimes en place, ainsi que par l’installation ou la consolidation de nouveaux « relais » (rôle déterminant de la Thaïlande dans la région). « Le problème qui se pose à nous, reconnaissait récemment le sous-secrétaire américain à la défense, Marshall Green, dans une interview accordée à un correspondant d’ « Associated Press », ce n’est pas de savoir comment se retirer de l’Asie, mais plutôt de savoir comment trouver un moyen adéquat pour y rester. »
C’est dans le contexte de cette stratégie qu’il faut comprendre, d’une part, le soutien tacire accordé par Washington aux multiples violations du cessez-le-feu au Vietnam et au sabotage de l’accord de février par le régime de Vientiane, et, d’autre part, le maintien des « conseillers » et le recours aux B-52 à Tha-Vieng. Si le bombardement de Paksong fut un avertissement aux ultras laotiens, l’épisode de Tha-Vieng est une mise en garde adressée à l’ensemble des révolutionnaires indochinois, au moment où l’accumulation des violations délibérées des accords de cessez-le-feu remet en cause non seulement le respect global de ces accords, mais l’équilibre même qu’ils tendaient à concrétiser, et risque de susciter une riposte d’envergure de la part des forces populaires. Les Etats-Unis pratiquent l’art dangereux du « brinkmanship » : pousser l’adversaire jusqu’au bord de la rupture, quitte à frapper s’il menace de répliquer. En somme, l’attitude du mauvais joueur qui n’a pas renoncé à imposer sa volonté.
Washington sait-il vraiment jusqu’où il peut ne pas aller trop loin ? Toutes les puissances impliquées dans le conflit indochinois suivent avec attention son déroulement. Pour les Soviétiques, la poursuite de la guerre en Indochine est un obstacle sérieux à leur politique de détente mondiale, par ailleurs en bonne voie. Mais ils ne sauraient accepter, pour des raisons évidentes, que la paix se fasse aux dépens de leurs alliés vietnamiens et laotiens. Ils seraient assurément favorables à une neutralisation de la péninsule qui leur permettrait d’établir leur influence économique (au besoin en collaboration avec les Etats-Unis) et qui pourrait contribuer à tenir les Chinois à distance. Pékin, pour sa part, accepte une neutralisation de l’Indochine, pour autant qu’elle signifie un rejet tant de l’infuence soviétique que de la présence américaine.
La neutralisation effective de la région passe donc par le respect scrupuleux des accords signés. A trop encourager ses alliés à tricher pour conserver le maximum d’atouts, Washington est en train de compromettre la partie dont il avait contribué à fixer les règles. Ce faisant, il accroît la probabilité d’une reprise des hostilités à grande échelle dans toute l’Indochine et rend de p’us en plus pertinente l’analyse du prince Norodom Sihanouk, selon laquelle « la troisième guerre d’Indochine est déjà commencée ».
Marcel Barang
Journaliste et traducteur.
(1) « Ceasefire Agreement explained to the Population », article extrait de Vientiane News, 18 mars 1973.
(2) Le général Vang Pao a cinq femmes : une sixième est morte dans un accident de la circulation.
(3) Admission faite au cours d’une réunion du Comité pour la pacification et la réconciliation, organisation de généraux laotiens qui a pour but affiché d’ « assurer l’autodéfense » du régime, et qui a envoyé plusieurs missions à Saigon pour éudier les techniques et les méthodes qu’emploient les officiers de Thieu pour « pacifier et réconcilier »...
(4) Minorité d’origine proto-indochinoise, qui vit à mi-hauteur, par opposition aux Laos Lum (ou Laos des plaines) et aux Laos Soung (Laos des hauteurs : Hmongs et Miens) dans la terminologie gouvernementale. Les Lao Theung, souvent appelés « khâs » (mot péjoratif signifiant esclave), se subdivisent en Lavens, Sos, Khmous...
(5) Les forces armées neutralistes sont constituées de ce qui reste des forces du capitaine Kong Le. Vientiane les a toujours distinguées sur le papier au moins, des forces armées royales ne serait-ce que pour renforcer son argumentation concernant l’existence de « neutralistes gouvernementaux ».
(6) USAID : United States Agency for International Development : USIS : United States information Service ; ADO : Agricultural Development Organisation ; A.D.B. Asian Development Bank.
(7) « Quelle est votre réaction aux allégations selon lesquelles l’AID sert de couverture aux opérations de la C.I.A. au Laos ? » M. Hannah : « Je dois admettre tout simplement que c’est vrai. La décision remonte à 1962, elle a été renouvelée par toutes les administrations américaines jusqu’à présent, et c’est le seul pays où ce soit le cas... » Interview de M. John Hannah, directeur de l’USAID, réalisée le 7 juin 1970 par deux journalistes américains. Rapporté in Laos : War and Révolution, ouvrage collectif, sous la direction de Nina Adams et Alfred McCoy, 1970, Harper Colophon Books, New-York et Londres.
(8) Les informations relatives à l’engagement clandestin de mercenaires thaïlandais au Cambodge ont reçu confirmation quelques jours plus tard, avec l’arrivée, dans un hôpital de Bangkok, des premiers blessés thaïlandais en provenance du champ de bataille khmer.
(9) Le Monde, daté du 10 avril 1973.
(10) Officiellement, le nombre de militaires américains est passé de trente-neuf mille en octobre dernier à quelque cinquante-quatre mille actuellement (les estimations privées actuelles varient entre soixante-cinq mille et quatre-vingt mille hommes).
(11) In Rapport sur la situation économique et financière du Laos, 1971-1972, rédigé par deux coopérants français. Commissariat général au plan, Vientiane.
(12) In Rapport sur la situation économique et financière, op. cit.
(13) In « Laos, un exemple d’économie « déformée », par Emmanuel Gabey et Yves Hardy, Politique aujourd’hui, janvier 1973.
(14) Gabey-Hardy, op. cit.
(15) Vingt-sept pour cent de la population de Vientiane, 15 % de celles de Paksé et de Savannakhet, 10 % de celle de Louang-Prabang, sont composés d’étrangers, Chinois, Vietnamiens, Indiens, etc.
(16) Chez les Hmongs, où la pression sociale est très forte, il est mal vu de fumer l’opium avant l’âge de quarante ans, ou de s’y adonner au point d’en devenir l’esclave.
(17) Contributions au FOC en 1970, en millions de dollars : Etas-Unis, 16,1 ; Japon, 2 ; France, 1,7 ; Royaume-Uni, 1,7 ; Australie, 0,7 ; gouvernement royal laotien, 0 (sa seule contribution remonte à 1965). Total : 22,2 Source : Facts on Foreign Ad to Laos, USAID, Mission to Laos, avril 1971.
(18) Données extraites de la version censurée de Laos : April 1971, rapport préparé par une sous-commission de la commission des affaires étrangères du Sénat américain, dit « Rapport Symington ».
(19) Don Ronk, in « America in Asla », supplément à la Far Eastern Economic Review, 2 juillet 1972, Hongkong.
(20) National Development of Laos, System of Priorities, ministère laotien du Plan et de la coopération, 1970.
(21) Contributions au fonds géré par la BIRD pour la construction du barrage de la Nam-Ngun (source : Facts on Foreign Aid to Laos, 1971) : Etats-Unis, 15 565 000 dollars ; Japon : 4 962 000 ; Pays-Bas, 3 770 000 ; Canada, 2 000 000 ; Danemark, 780 000 ; Australie, 628 000 ; France, 600 000 ; Nouvelle-Zélande, 350 000. En outre, prêt de la Thaïlande : 1 250 000 dollars (sous forme de ciment) ; Japon : 315 000 dollars (frais d’étude).
(22) Careth Porter, Dispatch News Service, mai 1971.
(23) L’ambassadeur américain au Laos a quitté le pays le 23 avril 1973.