La fin des guerres d’Indochine invite à s’interroger sur la politique et la présence françaises dans la région. Traditionnellement, l’Indochine était une sorte de « chasse gardée » des intérêts français, au point que le reste du Sud-Est asiatique était en grande partie ignoré de nos industriels sinon de nos banquiers. Les investissements français au Vietnam du Sud atteignaient plus d’un milliard de francs ; c’est une banque française qui recueillait la quasi-totalité des dépôts vietnamiens. Les intérêts français étaient pratiquement les seuls intérêts étrangers tant au Cambodge qu’au Laos, en dépit d’une forte présence américaine orientée vers l’effort de guerre.
Aujourd’hui, biens étrangers et échanges commerciaux avec l’Occident sont – provisoirement – gelés au Vietnam ; la nationalisation de tous les intérêts étrangers a été proclamée au Cambodge, et l’évolution de la situation au Laos pourrait remettre en question la présence française dans le royaume. En outre, Paris a eu la douteuse satisfaction de conserver à Phnom-Penh la dernière ambassade ouverte et de voir ses ressortissants mieux traités que les diplomates du camp soviétique – avant l’expulsion de tous les étrangers. A Saigon, les tardifs bons offices de l’ambassadeur de France, M. Mérillon, n’ont pas eu la récompense escomptée. En revanche, les autres pays de la région répondent favorablement, semble-t-il, aux avances françaises.
Les récents événements dans la péninsule indochinoise ne se sont effectués ni au rythme ni dans la direction que l’on prévoyait. Les initiatives (faut-il dire plutôt : l’absence d’initiative ?) de notre diplomatie ont suscité des critiques. Alors que M. Etienne Manac’h met en avant l’héritage pompidolien pour justifier l’action du président Giscard d’Estaing qui a, selon lui, « pris un virage nécessaire mais tardif » (1), M. Couve de Murville fustige publiquement, bien que tardivement, l’attitude du gouvernement français dans la question cambodgienne. M. Michel Jobert parle d’une « politique floue », « donnant le spectacle de l’indécision ». D’autres, d’une politique « qui se rallie aux faits accomplis ». Les milieux d’opposition dénoncent l’inféodation aux intérêts américains, tandis qu’un interlocuteur gaulliste regrette que, « depuis la disparition du général, la France ait été absente d’Indochine »...
Les contradictions de la thèse officielle
Sans doute les « bavures », les « erreurs », les « petites gaffes » que l’on s’est plu à dénoncer dans l’attitude des responsables français ces derniers mois pèseront-elles moins lourd dans nos futures relations avec les trois pays indochinois que les positions adoptées par la France tout au long du conflit. A cet égard, Paris escompte recueillir l’usufruit de la politique gaulliste, telle qu’elle s’est exprimée dans le fameux discours de Phnom-Penh. Il est toutefois remarquable que, si les responsables actuels affirment se situer dans le droit fil de cette doctrine, ce sont précisément les gaullistes qui en dénoncent le plus vivement la « trahison ». « Pensez-vous que le général eût toléré le coup d’Etat de mars 1970 au Cambodge ou, à tout le moins, qu’il n’eût pas aussitôt rompu avec le régime Lon Nol ? », nous ont demandé, de façon purement rhétorique d’ailleurs, certains de nos interlocuteurs gaullistes.
Le discours du général de Gaulle à Phnom-Penh en 1966 proposait une neutralisation des « balkans » du Sud-Est asiatique sous la garantie des grandes puissances, idée apparemment empruntée à Nehru. La condition en était le départ des Américains de la région. Le discours en lui-même, le lieu et l’occasion choisis pour le prononcer, étaient une manifestation d’antiaméricanisme en même temps qu’une affirmation de la grandeur sinon de la puissance de la France.
Ironie de l’histoire : les Américains ne donnèrent raison à de Gaulle qu’à la fin de son règne, lorsqu’ils se déclarèrent enfin décidés à quitter l’Indochine, et c’est la nécessité de ne pas gêner ce retrait qu’ont invoquée les successeurs du général pour justifier une politique qui avait cessé d’être antiaméricaine et qui, à tout le moins, préférait les témoignages de conciliation aux gestes de défi. Avec le renversement du prince Sihanouk, la doctrine de la neutralisation avait bel et bien vécu. Le discours de Phnom-Penh était vidé de son contenu. Les références incessantes à ce discours devenaient formelles, rituelles : sans doute a-t-on cherché à ne pas tout perdre du prestige qu’avait valu à la France un tel geste, tout en poursuivant une politique foncièrement différente. « C’est la Chine qui sera dans le droit fil du discours de Phnom-Penh », nous a dit M. Michel Jobert, qui, lui-même, du temps où il était ministre des affaires étrangères, n’a pourtant guère contribué à renverser le courant.
Côté officiel, toutefois, on se défend d’avoir changé de ligne. L’argumentation est double, et lourde de contradictions. D’une part, on s’efforce de démontrer que la balance fut tenue égale entre le GRUNC et le gouvernement républicain – ce qui évite de se poser la question de savoir si la balance devait être tenue égale. D’autre part, on met en avant des considérations juridiques : la France reconnaît les Etats et non les gouvernements – principe qui souffre pourtant des exceptions... Une fois accompli le coup d’Etat, la France « n’avait pas à se poser la question de la reconnaissance du régime de Lon Nol », qui « allait de sol ». Toutefois, le 12 avril 1975, soit quatre jours avant la fin effective de ce régime (mais, il est vrai, quelques heures après le départ des derniers Américains du Cambodge...), Paris reconnaissait le GRUNC. Pourquoi cette entorse à la théorie de la reconnaissance des Etats ? C’est que, nous a-t-on expliqué au Quai d’Orsay, la France a, ce jour-là, « pris en considération une situation de fait et constaté que le pouvoir était exercé par le GRUNC ». De deux choses l’une : ou bien les responsables ignoraient depuis cinq ans que la « situation de fait » évoluait en faveur du GRUNC, ou bien le recours à la théorie de la reconnaissance des Etats n’était qu’une façade.
Le Quai d’Orsay certifie également que, dans le conflit cambodgien, le gouvernement français était « très convaincu qu’il n’existait pas de possibilité de compromis, que la position du GRUNC de refus de toute négociation était fondamentale, qu’il fallait écarter la solution du dialogue ». Il en était si convaincu qu’aussi tard que décembre 1974, dans le communiqué conjoint publié à l’issue du « sommet » de la Martinique, M. Giscard d’Estaing invitait – par inadvertance, devait-il expliquer quelques jours plus tard (2) – les deux parties cambodgiennes à négocier... Si convaincu que les milieux proches du GRUNC continuent de s’interroger sur le rôle joué par la France dans les dernières heures du Phnom-Penh républicain (voir encadré page 3).
Le second type d’argumentation consiste à souligner certains « gestes » du gouvernement français : dès le lendemain du coup d’Etat, il gelait le prêt accordé un mois plus tôt au gouvernement royal ; il conservait le contact avec le prince Sihanouk et son entourage à Pékin par l’intermédiaire de l’ambassadeur Etienne Manac’h (3) ; il autorisait l’installation d’une mission du GRUNC à Paris ; en juillet 1971, il décidait de ne pas renvoyer d’ambassadeur à Phnom-Penh et de refuser l’agrément de l’ambassadeur de Lon Nol en France ; plus récemment, le chef de l’Etat demandait au vice-consul Dyrac de rester en place...
« Nous avons pensé, nous a-t-on expliqué au ministère des affaires étrangères, que le maintien de la présence française pouvait être utile au Cambodge ; nous ne voulions pas laisser la place à d’autres et, de toute façon, notre coopération n’était pas une coopération avec le régime mais avec le Cambodge ». Pourtant, la coopération avec l’entité Cambodge se traduisait bien, dans la pratique, par une coopération avec un régime artificiellement créé (soutenu par les Américains), et dont l’autorité réelle se réduisait comme une véritable peau de chagrin.
La résistance cambodgienne en a tiré les conclusions. Ainsi s’explique, pour une bonne part, l’impasse où se trouvent à l’heure actuelle les relations franco-cambodgiennes. Il fallait choisir entre le Cambodge de la résistance et le Cambodge du coup d’Etat. Le choix fut fait. Ce n’était pas le bon.
Ambiguïtés au Vietnam et au Laos
Au Vietnam aussi, un choix s’imposait. Le jeu de la France fut plus subtil, et les explications données aujourd’hui sont sans doute moins confuses, sinon plus satisfaisantes. Passons sur l’assertion d’un porte-parole qui, confessant qu’il ne possédait pas à fond ce dossier, expliquait par la difficulté de localiser géographiquement le G.R.P. le fait que la France ne se fût pas préoccupée de l’aider autant que le régime Thieu... Une voix plus autorisée devait nous déclarer : « Le reproche qui peut être fait concerne la différence du statut accordé par la France à Saigon et au G.R.P. : remarquons qu’un traitement sur un pied d’égalité ne résulte pas des accords de Paris ; que tous nos intérêts économiques et culturels étaient dans la zone de Saigon ; qu’après les négociations de Paris, un accord a permis l’établissement d’une mission permanente du G.R.P. en France en mai 1974. »
L’argument de la présence des intérêts français dans la zone de Saigon est fondé. Mais fallait-il pour autant, comme y invitait M. Missoffe au lendemain de sa tournée indochinoise en 1974, convier les industriels à investir dans le Vietnam de M. Thieu pour en faire la « rampe de lancement de notre expansion en Asie du Sud-Est » ? Fallait-il pour autant prêter la main aux manœuvres visant à étayer l’économie d’un régime que les Etats-Unis n’arrivaient plus seuls à tenir à bout de bras ? Fallait-il – tout en prenant bien soin, certes, de tenir la balance égale avec Hanoi par un échange d’ambassadeur – rétablir les relations diplomatiques avec le régime Thieu ? Comment, dès lors, ne pas paraître lui apporter une caution que la France, pourtant garante de l’application des accords signés, n’a jamais assortie d’une exigence de respecter ces accords ? D’autant plus que Paris, en 1968 puis début 1969, avait repoussé les demandes de normalisation de Saigon. Plus récemment, lorsque le départ des Américains et la démission de Thieu furent acquis, les diplomates français sur place ont tardé d’abord à intervenir alors que le régime Thieu s’effondrait, pour miser ensuite sur le général Minh, retardant peut-être ainsi le dénouement saigonnais. S’agissait-il uniquement, comme l’a affirmé le chef de l’Etat français, d’éviter un bain de sang ou bien de tenter tardivement de tirer les marrons du feu ? Le Quai d’Orsay ne fournit aucun élément de réponse à ces questions : « Il faut laisser à la presse sa part de spéculations », dit-il...
La même attitude ambiguë se manifeste en ce qui concerne le Laos. A la fin de l’année dernière, le ministre de l’économie, membre du Front patriotique, M. Soth Petrasy, a entrepris une tournée des pays « amis », parallèlement à celle de M. Sisouk na Champassak, alors ministre de la défense et pilier de la droite, afin d’obtenir une aide pour le Laos. La France est le seul pays où le représentant du Front n’a pas été reçu en visite officielle (4). D’autre part, alors que, voilà quelques semaines seulement, avant que le Pathet-Lao ne s’installe plus fermement aux commandes, Paris se disait prêt à accroître son aide à Vientiane, le Quai d’Orsay déclare aujourd’hui que, si la France est prête à maintenir sa contribution au Fonds d’opération des changes (FOC), qui soutient la monnaie laotienne, tout accroissement de sa part serait sujet à négociations... Si l’on n’y prend garde, on risque, là encore, de se préparer des déconvenues. Des manifestations populaires à Vientiane ont déjà contesté une coopération culturelle française qui n’a guère évolué depuis l’époque coloniale.
Ouvrier de la onzième heure au Cambodge et au Vietnam, le gouvernement français a donc observé vis-à-vis des trois pays indochinois une attitude qu’il tente désormais de faire oublier, en mettant opportunément l’accent sur le respect d’une doctrine reniée et sur certaines mesures qui passent aujourd’hui pour favorables aux régimes vainqueurs mais qui, dans le contexte de l’époque, n’étaient guère que de prudentes précautions pour « réserver l’avenir ».
Une attitude nouvelle à l’égard de Washington
Il reste à expliquer les fondements et les cheminements de cette diplomatie. Certains de ses artisans, et non des moindres, affirment que c’est d’abord affaire d’incompétence et de désintérêt. « Les grands asiates ont disparu, à quelques exceptions près », note l’un d’eux. « La conférence de Paris en cours, le Cambodge plongé dans la tourmente, le dossier indochinois avait cessé d’être prioritaire », dit un autre. « Nous nous sommes réveillés trop tard, entre les petites phrases malheureuses de M. Jobert et les petites gaffes calamiteuses de M. Sauvagnargues », affirme un troisième.
Toutefois, de même qu’il serait trop facile de considérer comme un simple lapsus calami les termes du communiqué de la Martinique relatifs au Cambodge, de même le reproche d’incompétence ne saurait tout expliquer. Faut-il alors incriminer, comme l’ont fait certains de nos interlocuteurs, les structures et les méthodes de fonctionnement du pouvoir ? Le ministère des affaires étrangères, nous a-t-on fait remarquer, a changé plusieurs fois de titulaire, ce qui n’était pas fait pour assurer la continuité et la cohérence de notre diplomatie. Mais, selon un autre point de vue, le Quai d’Orsay n’est, en tout état de cause, que l’exécutant des grandes orientations tracées par l’Elysée. D’aucuns croient pouvoir constater une rupture entre services économiques et services diplomatiques, un cloisonnement nuisible entre ministères, entre services ministériels. Les diplomates sont relativement tenus à l’écart des décisions économiques ; inversement, les services économiques n’accordent pas toujours aux considérations politiques l’importance qu’elles méritent. « Vous devriez lire certains rapports de nos missions commerciales », nous a dit, d’un ton accablé, un haut fonctionnaire d’un de ces services.
Mais rien de tout cela ne suffit à expliquer certaines options. Or la diplomatie française s’inscrit dans un contexte plus vaste, hier la vision anti-Yalta du général de Gaulle, aujourd’hui ce qu’on est convenu d’appeler le « mondialisme » giscardien, notion à vrai dire encore mal élucidée et qui se définit surtout a contrario (5).
Qu’on la loue ou qu’on la déplore, la diplomatie gaullienne était dynamique. Heurtant au besoin la puissance américaine, elle était prête à sacrifier certains intérêts immédiats à des desseins plus vastes et plus payants à long terme — ainsi de la reconnaissance de la Chine, ainsi du discours de Phnom-Penh. Sauf peut-être dans certains secteurs prioritaires, les successeurs du général ont été plus passifs. En ce qui concerne l’Indochine, l’absence d’un grand dessein régional comme le souci reconnu de préserver les intérêts en place favorisaient les visées de groupes économiques précis et les « calculs à courte vue ». Au niveau international, le régime Pompidou s’est rapidement écarté du flamboyant nationalisme de son prédécesseur et a mis en sourdine son anti-américanisme. D’une politique de prestige, il est passé à une politique de négoce : les impératifs économiques ont pris le pas sur d’autres considérations. La priorité accordée à l’expansion, et à l’expansion par le commerce extérieur, exigeait que l’on transigeât dans certains domaines, voire que l’on composât avec les intérêts américains. La défense du franc, les Etats-Unis le firent comprendre, passait par la défense du dollar ; la pénétration de nouveaux marchés, par des accords de gré à gré avec la puissance dominante. Cette orientation s’est accentuée, depuis un an, avec le régime de la technocratie triomphante, où le chef du gouvernement se fait lui-même commis voyageur.
En tout cas, l’Indochine prenait place parmi les « dossiers sacrifiés » : la volonté déclarée des Américains de se dégager du bourbier indochinois permettait de justifier, on l’a vu, que la France s’abstint de gêner Washington dans sa difficile opération de retrait ; en même temps, elle ouvrait la perspective d’un renforcement éventuel des positions françaises sur place. En somme, il aurait suffi de ne pas mécontenter les Etats-Unis pour, le moment venu, s’engouffrer dans le vide qu’ils laisseraient, en arguant de relations demeurées « relativement bonnes » avec les forces révolutionnaires et patriotiques indochinoises. C’était compter sans l’accélération de l’histoire, sans l’effondrement des régimes proaméricains de la péninsule.
En prônant la neutralisation des « balkans » asiatiques, en accueillant la conférence sur le Vietnam, la France s’était clairement placée en position d’arbitre. Toutefois, par la suite, elle allait tout aussi clairement se situer dans l’orbite américaine, bien qu’elle se soit efforcée de continuer à jouer les « utilités » diplomatiques. Dans la mesure où la préservation de ses intérêts propres requerrait un minimum d’autonomie, il serait excessif de penser que la France s’est, tout du long, mise au service de la puissance américaine. Cependant le virage pris après de Gaulle a donné plus d’importance à une complicité de fait qu’à la concurrence avec les Etats-Unis. C’est ce que les régimes indochinois actuels ne sont peut-être pas disposés à oublier, le nouveau régime cambodgien en particulier, qui multipliait depuis des années ses mises en garde à l’adresse de Paris. D’autant que les initiatives diplomatiques récentes de Paris, autour d’abord de la rencontre Ford-Giscard à la Martinique (avec un échange préalable de correspondance entre les deux présidents – et M. Kissinger – et un séjour à Hanoi de M. Missoffe, ostensiblement occupé à négocier des questions économiques de deuxième ordre...) n’ont guère servi à se démarquer par rapport à la ligne suivie du temps du président Pompidou. Faute d’explications officielles satisfaisantes, on a pu voir dans ce ballet diplomatique une ultime consultation entre Paris et Washington pour la répartition des rôles dans ce qui allait être les derniers mois de l’Indochine dépendante. On a pu, à l’inverse, estimer qu’il s’agissait de l’amorce d’un retour à une position diplomatique originale, de la réaffirmation de la singularité de la diplomatie française – mais les interventions suivantes, sur le terrain, tant au Cambodge qu’au Vietnam, tendent à atténuer une telle impression.
Second souffle des pétroliers et des planteurs
Quel sera l’avenir des relations de la France avec les trois pays indochinois ? Sur le Cambodge, les milieux officiels français évitent de se prononcer. Manifestement, les conclusions des événements récents n’ont pas été tirées.
Quant au Vietnam, « normalement, au Sud, nous allons entrer dans une phase intermédiaire, explique M. Missoffe, chargé de mission aux affaires étrangères. Plantations et autres vont être fatalement socialisées. Reste à savoir dans quels délais. Il nous faudra définir avec les Vietnamiens comment gérer nos intérêts sur place dans la période intermédiaire. Sans doute y aura-t-il des indemnisations, avant de déboucher sur la phase ultime, celle des échanges avec un pays socialiste : et ça, nous connaissons », souligne notre interlocuteur, en spéculant sur le fait que Saigon, à la différence de Hanoi, acceptera peut-être, par nécessité, une aide multilatérale.
Dans l’immédiat se posent la question de l’affectation de l’aide 1974, non répartie par le régime Thieu (il s’agit d’une aide-projet liée de 100 millions de francs) – ce sera le préalable à l’attribution d’une nouvelle tranche d’aide, affirme-t-on (6), – et celle du règlement du contentieux avec le Vietnam du Sud pour les biens et les investissements « gelés ».
Le contentieux avec Hanoï – bien plus modeste – n’a-t-il pas jadis servi au ministère des finances à repousser un certain nombre d’accords avec le Vietnam du Nord ? « Giscard, nous a dit un ancien ministre gaulliste, bloquait tout ce dont il ne s’occupait pas directement »... A l’évidence, le passif servira de levier de manœuvre pour la France, même si l’on convient communément que « les intérêts français sur place se sont plusieurs fois remboursés ».
Les principaux investisseurs français en Indochine n’ont pas perdu de temps pour sonder leurs nouveaux partenaires. Les représentants du GRUNC à Paris ont opposé une fin de non-recevoir aux sollicitations des planteurs. Début mai, un représentant des Pétroles d’Aquitaine (S.N.P.A.) tentait auprès du G.R.P. à Paris une démarche collective, au nom du consortium Elf-Erap, Mobil Oil et Sunningdale (société canadienne), présent au Vietnam du Sud, pour négocier une reprise des activités. Les milieux pétroliers français manifestaient alors un certain optimisme. Ils s’estimaient en effet les mieux placés, compte tenu de leur expérience indochinoise, de leurs capacités technologiques et du fait même qu’ils sont Français, c’est-à-dire plus « acceptables » pour les révolutionnaires vietnamiens que les compagnies liées à l’impérialisme américain. Toutefois, si le Vietnam du Nord a fait appel à des conseillers de l’Institut français des pétroles, le G.R.P. vient de réserver son premier contrat à la société algérienne Sonatrach.
Si l’idée est répandue dans les milieux industriels occidentaux que les considérations économiques vont primer, que le « réalisme » finira par l’emporter, et si les Vietnamiens, plus encore sans doute que les Cambodgiens et les Laotiens, mettent l’accent sur leur volonté de faire appel à l’aide étrangère (non liée) et de témoigner de souplesse en faisant table rase du passé, il est évident que les considérations d’ordre politique ne sont pas absentes de leur démarche. Quoi de plus « réaliste » et en même temps quoi de plus politique en effet que la priorité qu’ils viennent d’accorder à la Sonatrach ! On semble sous-estimer ici ce que peut signifier l’orientation des régimes indochinois en faveur du non-alignement, leur défense des intérêts du tiers-monde, etc. On sait que les Vietnamiens sont de redoutables négociateurs ; on s’est résigné à l’idée que les nouveaux contrats n’offriront assurément plus les avantages de jadis. Mais, comme le souligne un représentant du patronat français : « A côté des anciens, qui ont connu l’Indochine de papa et ne cessent de critiquer les conditions nouvelles, il y a des jeunes qui sont prêts à faire alliance avec le diable. » Les planteurs font savoir qu’ils restent prêts à reprendre du service. Quant aux pétroliers, les forages off-shore se sont révélés trop prometteurs pour qu’ils n’envisagent pas de revenir rapidement à pied d’œuvre. Car, pense-t-on, passée la période de remise en ordre, l’Indochine offrira de nouvelles chances. Et c’est avec satisfaction que l’on constate que la forte colonie française au Vietnam semble avoir bénéficié d’égards exceptionnels, compte tenu des circonstances. « Il est étonnant de voir à quel point nous avons réussi notre second souffle en Indochine » : cette réflexion d’un industriel reflète une opinion largement partagée.
Efforts considérables, maigres résultats
« Avant la seconde guerre mondiale, l’Asie, pour nous, c’était l’Indochine ; depuis le choc psychologique de Dien-Bien-Phu, nous sommes absents d’Asie », constate, un peu rapidement, M. Missoffe. Traditionnellement, la diplomatie asiatique de la France s’est effectivement centrée sur l’Indochine, puis également sur la Chine. Toutefois, depuis quelques années, on assiste à un élargissement du champ d’action. Les autorités françaises tentent de favoriser une implantation vigoureuse dans l’ensemble de l’Asie. Ce redéploiement a pratiquement coïncide avec la signature des accords de Paris. Toutefois, si la liquidation graduelle du conflit indochinois n’a pu que le favoriser, elle ne l’a pas motivé : il répondait aux nouvelles orientations économiques fondamentales de la France. Il n’en reste pas moins que l’on peut penser, selon la formule d’un porte-parole d’Elf-Erap, que « l’attitude du gouvernement français vis-à-vis de l’Indochine nous a rendu service dans le reste de la région ».
L’« absence d’Asie » dont parle M. Missoffe se traduit par une faible implantation des intérêts français hors d’Indochine et par le niveau encore peu élevé (mais en hausse) des échanges commerciaux avec les pays de la région. Le commerce extérieur a pris un rôle croissant dans l’économie française. En quelques années, il est passé de 8 % à 14 % du P.I.B. Toutefois, il s’effectue pour près des deux tiers avec les voisins immédiats de la France, et ne concerne que marginalement l’Asie du Sud-Est. « Les exportations en direction (des pays de la zone) sont inférieures à 1 % du total de nos ventes tandis que nos importations ne sont guère plus brillantes. Inversement, la part de la France dans les importations (de ces pays) comme dans (leurs) exportations reste très faible dans bien des cas et se situe la plupart du temps autour de 1 % » (7).
L’implantation des intérêts français dans la région est surtout le fait des grandes firmes « indochinoises » (groupes bancaires, entreprises de traitement du latex, industrie minière) et des « grands » de l’industrie française (Pechiney-Ugine-Kuhlmann, Alsthom-C.G.E., Thomson-C.S.F., Spie-Batignolles, etc.). Si la venue des seconds date essentiellement de la fin des années 60, la présence des premières est souvent bien antérieure : la Banque d’Indochine s’est implantée dans la région dès la fin du siècle dernier ; la guerre française d’Indochine a facilité cet ancrage (8). Un examen des importations françaises en provenance d’Asie du Sud-Est montre que ses points forts sont le caoutchouc, l’étain et le bois – activités traditionnelles des « anciens d’Indochine » (9).
Riches en matières premières, les pays concernés ont souvent de grosses possibilités financières et pratiquent des conditions intéressantes pour les investisseurs étrangers, auxquels ils ouvrent largement leur économie. Ces atouts, le gouvernement français ne se fait pas faute de les relever. Il n’a pas épargné ses efforts pour intéresser les industriels français à la région, précisément dans le cadre de la relance du commerce extérieur, désormais pourvu d’un ministère à part entière. Son titulaire, M. Norbert Segard, a repris la formule des voyages commerciaux inaugurée par M. Guichard en Indonésie en 1967, en invitant une poignée de chefs d’entreprises à le suivre dans ses déplacements. Fin novembre 1973, ce fut M. Valéry Giscard d’Estaing en personne, alors ministre des finances, qui inaugura la foire industrielle et technique française de Kuala-Lumpur, en Malaisie. Celle-ci vient d’être suivie d’une exposition à Singapour ; une troisième doit avoir lieu l’an prochain à Djakarta. La région a été sillonnée ces dernières années par de multiples missions parlementaires, commerciales ou financières. Ainsi, dans le courant du mois de mars dernier, tandis que M. Segard se rendait en Malaisie, deux délégations parlementaires (de la commission des finances de l’Assemblée et de la commission des affaires culturelles du Sénat) se succédaient en Indonésie, M. Missoffe visitait les Philippines et M. Stirn, secrétaire d’Etat aux départements et territoires d’outre-mer, parcourait l’Australasie (10). Inversement, des délégations de haut niveau des pays du Sud-Est asiatique se sont rendues en France. La prochaine visite attendue est celle de M. Radius Prawiro, ministre indonésien des finances.
Tandis que les compagnies aériennes françaises étudient une formule de « voyages à crédit » pour les investisseurs potentiels français désireux de se rendre dans la région, les pouvoirs publics s’efforcent de mettre en place des organismes bilatéraux de coopération économique et de multiplier avec les gouvernements locaux les conventions destinées à encourager les investissements français. Une commission mixte franco-indonésienne, fonctionnant sur le modèle de celle qui existe pour l’Inde, devrait se réunir dans quelques mois pour examiner l’évolution des échanges et de la coopération industrielle. Les conventions visent à éviter la double imposition ; elles fournissent aussi, aux industriels prêts à prendre des risques, la garantie de l’Etat pour des opérations à court terme quand toutes les assurances financières traditionnelles ne paraissent pas réunies. La garantie de la COFACE (Compagnie française pour le commerce extérieur) à 80 % est de plus en plus souvent complétée intégralement par des opérations de crédit de banques françaises actives localement, notamment en ce qui concerne l’Indonésie. Des crédits exceptionnels à l’exportation ont été dégagés...
Toutefois, ces efforts considérables sont loin, semble-t-il, d’avoir eu jusqu’à présent les résultats attendus. « Les entreprises implantées depuis longtemps dans la région n’ont guère besoin de nous, souligne-t-on dans les services économiques officiels, et les petites et moyennes entreprises ne sont que médiocrement intéressées. » « L’intendance est là, mais l’infanterie ne suit pas », note plus rondement M. Sampiero Mancini, chef du service développement et coopération industrielle et économique du Conseil national du patronat français.
« Les industriels, précise-t-il, ont manifesté un certain engouement pour la foire de Kuala-Lumpur, un intérêt moindre pour la foire de Singapour, et en manifestent moins encore pour la prochaine, à Djakarta. L’industrie française n’est pas mûre pour faire des efforts dans ce secteur. En dehors des sociétés déjà implantées – et dont les ressources d’investissement ne sont d’ailleurs pas illimitées – les chefs d’entreprise français convoitent plutôt la Chine, marché hypothétique mais fascinant (11) ou s’orientant vers les grands secteurs tels que l’U.R.S.S., le Brésil et, bien sûr, le Marché commun. Si bien que, comme le note un responsable de la Direction des relations économiques extérieures (D.R.E.E.), « la part du marché français dans ces pays varie entre 0,5 et 2,5 % depuis dix ans, alors que l’Allemagne fédérale par exemple atteint 7 à 10 % pour la même période, avec les mêmes moyens financiers ». Deux industriels français présents en Indonésie et en Malaisie nous ont confirmé ces observations.
Garanties, culture et commerce
Les raisons d’un tel désintérêt relatif sont connues. D’abord, les aléas de la conjoncture économique française, qui incitent les exportateurs à la prudence. Ensuite, l’éloignement, la méconnaissance de ces pays d’un abord difficile ; l’obstacle de la langue (on cite volontiers le cas d’entreprises « incapables de publier leurs brochures en anglais », qui est la langue de travail des hommes d’affaires de la région) ; la relative inexpérience exportatrice française ; la priorité accordée à d’autres secteurs et les « obligations liées à la zone d’influence française en Afrique » ; l’insuffisance de l’implantation et des dimensions des sociétés de commerce, qui ne leur permettent pas de brasser le volume d’affaires de leurs concurrents ; un réseau bancaire encore faible, mal relié au tissu industriel français ou sclérosé (c’est notamment le reproche que l’on adresse communément à la Banque d’Indochine)... D’autres considérations interviennent aussi : outre la « non-compétitivité » des prix français, le comportement même de certaines firmes qui « n’ont pas tout le sérieux voulu » pour le respect des termes du contrat, en ce qui concerne les délais en particulier.
Ces carences ou ces limites se retrouvent au niveau du mode d’intervention. « L’industriel français, note M. Mancini, est un exportateur anarchique ». Pas de calcul de haut vol. Peu ou pas d’investissements de pointe, dans des joint ventures à participation minoritaire de contrôle. Le cas de ce jeune courtier maritime qui s’efforce de mettre en place en Malaisie une société à capitaux mixtes où il détiendrait une participation minoritaire lui permettant toutefois d’« occuper le marché » reste, semble-t-il, exceptionnel. « Les Français, note également le représentant du C.N.P.F., ne sont pas prêts à des opérations trilatérales. Ils cherchent des clients, non des partenaires industriels ». Sans doute cela vaut-il surtout pour les petites et moyennes entreprises. Les grandes sociétés ne reculent pas devant les joint ventures. Les compagnies pétrolières tendent à s’associer pour partager les risques. Certains responsables souhaiteraient encourager cette tendance. Ainsi M. Missoffe, qui fut ambassadeur de France au Japon et qui a gardé des liens avec les milieux d’affaires japonais, écrivait-il récemment que la France « peut chercher à convaincre les Japonais de l’intérêt de camoufler leur présence économique derrière une participation européenne et de favoriser les joint ventures européo-japonaises »... M. Jean-Pierre Brunet, ambassadeur de France à Tokyo depuis mars 1975, aurait précisément été chargé d’intervenir en ce sens (12).
S’est-on interrogé sur les conséquences politiques que pourrait avoir, dans les pays visés, une telle orientation ? Le patronat, il est vrai, la considère comme improbable. Il critique par ailleurs certaines initiatives gouvernementales et qualifie, par exemple, de « farce » la vogue des « groupes de consultation réciproque » et autres commissions mixtes intergouvernementales qui, suscitées pour développer les échanges, se borneraient à « photographier la situation ». De même, si l’on qualifie volontiers M. Segard de « démarcheur hors de pair » et d’ « étonnants » les efforts récents des pouvoirs publics pour la pénétration des marchés du Sud-Est asiatique, on ne manque pas de rappeler, au siège du C.N.P.F., que, sauf en ce qui concerne la vente du procédé SECAM ou de l’Airbus, qui relève de la politique de prestige, « ce sont les industriels qui font les affaires ». « Que le ministre fasse du bruit, c’est bien, car cela suscite un certain intérêt, de la curiosité. Mais cela change-t-il les termes et le volume des contrats ? » C’est également l’avis qu’on peut recueillir dans les missions commerciales françaises à l’étranger, où tout le monde n’apprécie pas forcément que tel ou tel ministre s’attribue le mérite de contrats négociés par ailleurs... et qu’il appartiendra aux industriels d’honorer à leur mesure.
Reproches mineurs, qui s’alourdissent parfois de rivalités personnelles... A l’inverse, les services gouvernementaux s’inquiètent de la tendance des exportateurs français à ne s’intéresser « qu’aux possibilités de ventes d’ensembles industriels, auxquelles des financements exceptionnels permettent d’éviter la confrontation avec la concurrence étrangère (...), tendance localement encouragée par des maisons de commerce françaises encore marquées par leur hérédité (sic) coloniale » (13). Ils tentent d’y remédier, non seulement à l’aide des garanties et des crédits exceptionnels à l’exportation, mais aussi en invitant à une participation accrue aux adjudications de la Banque mondiale et autres organismes spécialisés. D’où une contribution renforcée de l’Etat français au budget de ces organismes (14). En même temps, les pouvoirs publics encouragent les groupements locaux (une représentation permanente pour plusieurs entreprises...) pour une meilleur pénétration des marchés. Mais, en l’état actuel des choses, c’est avant tout la présence française, plutôt que la seule industrie, que l’on cherche à acclimater en Asie du Sud-Est pour « assurer un matelas à une implantation plus permanente », selon la curieuse formule d’un haut fonctionnaire.
Qu’entend-on exactement par la promotion de la présence française ? Il s’agit de diffuser non seulement l’image de marque de la France du cognac et des parfums, du Concorde et du SECAM, mais aussi la culture et la langue françaises, par le biais de la coopération culturelle sur laquelle vient se greffer la coopération technique. On s’efforce d’encourager la vente de la formation professionnelle à l’exportation, les échanges de techniciens et de stagiaires. En Indonésie, le programme culturel de la France, apparemment hors de proportion avec ses intérêts économiques immédiats, doit faciliter l’essor de la présence économique permanente : dans les neuf centres provinciaux de l’Alliance française et les deux centres culturels de Surabaya et Djakarta, quelque deux mille cinq cents Indonésiens s’initieraient aujourd’hui à la langue de Molière et de Poincaré. Cet effort ne se retrouve pas avec la même intensité dans les autres pays de la région. C’est que la France est encore à la recherche de ses points d’ancrage dans le Sud-Est asiatique.
Choisir de bonnes bases
La crise de l’énergie, en 1973-1974, a entraîné une redéfinition des priorités. En mars 1974, le ministre de l’économie et des finances annonçait que, pour rééquilibrer son commerce extérieur, la France allait concentrer ses efforts de prospection des marchés étrangers sur quatre groupes de pays : les pays pétroliers du tiers-monde ; les grands producteurs de matières premières ; les pays développés et les pays de l’Est. En Asie du Sud-Est, les deux premiers critères s’appliquent à l’Indonésie et à la Malaisie, c’est-à-dire au monde malais, à l’Asie musulmane. Ces deux pays sont les nouveaux marchepieds de la France dans la région. En ce qui concerne la Malaisie, les pouvoirs publics fondent de grands espoirs sur l’assistance apportée notamment par des experts de l’Institut français du pétrole à la jeune compagnie nationale pour l’énergie, Petronas, fondée en octobre dernier. Elf-Aquitaine est présente en Malaisie et en Indonésie, mais c’est la Compagnie française des pétroles (C.F.P.) qui a marqué les points décisifs dans ce dernier pays, où elle est présente depuis 1967. Le pétrole qu’elle a découvert dans l’est de Kalimantan commencera d’être exploité en 1976. La France joue un rôle très actif au sein du consortium d’aide à l’Indonésie (15).
Un groupe de trois banques, dont une française (16), vient de se substituer à la Banque mondiale dans le rôle de conseiller auprès de la Banque nationale indonésienne et de Pertaminas, la tentaculaire compagnie pétrolière indonésienne. En mai dernier, les industriels français des télécommunications ont décroché plusieurs contrats d’un montant global de 370 millions de francs. La présence sur ces marchés a été « préparée » par de substantielles ventes d’armements ou de matériels stratégiques (17).
Pourtant, un haut fonctionnaire estime que, faute de cadres et de formation professionnelle, un « goulet d’étranglement » sera rapidement atteint dans ce pays « riche d’avenir », selon la formule du ministère des finances, et qu’il faut y « prendre des options à long terme », quels que soient par ailleurs les risques d’instabilité politique. En fait, note cet interlocuteur, « c’est en Malaisie (et en Corée du Sud) qu’il faut investir maintenant ». Ce point de vue ne fait pas l’unanimité. La Malaisie est en balance avec Singapour. Ces deux Etats se livrent une concurrence effrénée pour attirer les investisseurs étrangers et offrent quasiment les mêmes avantages. « Singapour, rendez-vous compte, le seul pays sans droit de grève ! », s’exclame un directeur de la Banque d’Indochine... Singapour, rétorque le patronat, a une fiscalité contraignante. Ses avantages sont temporaires. Sa « fuite en avant » technologique inquiète ou laisse perplexe. « A tout prendre, Hongkong vaudrait mieux : c’est la liberté totale, les salaires de 1 dollar par jour, ça existe encore ! »
Il semble, en tout état de cause, que l’on se dirige vers une diversification des activités : on encourage l’implantation dans les secteurs de pointe à Singapour et dans les secteurs intermédiaires en Malaisie. Pour leur part, les milieux bancaires s’inquiètent des effets de la récession qui doit, selon eux, frapper de plein fouet la plupart des pays de la région dans les prochains mois. Ils n’en sont pas moins attirés par le projet philippin – encore incertain – de création d’un marché financier off-shore sur le modèle de celui de Singapour. Dans la foulée de la visite de M. Missoffe, les Philippines – où Pennaroya vient de signer un contrat portant sur l’achat en dix ans de 240 000 tonnes de cuivre philippin – vont-elles susciter un engouement plus ou moins momentané ? Le patronat retiendra sans doute que « les salaires et charges sociales (y) semblent bien en général les plus bas de toute la région » (18). Mais la Thaïlande ? Mais la Birmanie ? Ces pays n’ont jamais été évoqués spontanément par nos interlocuteurs. Il est clair que « les faiblesses de l’économie et les incertitudes politiques » (19) de l’un, l’isolement et la pauvreté relative de l’autre, découragent les investisseurs soucieux de stabilité et de rentabilité. Il y a quelques exceptions, notamment l’industrie touristique dans le cas de la Thaïlande, mais c’est en Malaisie que le Club Méditerranée s’apprête aujourd’hui à s’implanter.
Bien que la région soit riche en matières premières, largement ouverte aux investisseurs étrangers, les industriels français, sollicités par ailleurs, peu motivés ou trop traditionnels, préfèrent vendre plutôt que s’implanter comme le leur conseillent les pouvoirs publics. Ceux-ci s’efforcent de prendre des options à moyen ou long terme, et les avantages financiers consentis profitent en premier lieu aux grands groupes industriels et financiers. Le mode de pénétration de la région repose à la fois sur la promotion de l’image de marque traditionnelle de la France, sur l’expansion d’une présence culturelle et linguistique à caractère fonctionnel et sur le recours à toute la gamme des procédés commerciaux et financiers connus, à l’exception – du fait du traditionalisme du capitalisme français – des participations triangulaires systématiquement pratiquées par les sociétés multinationales. Sans doute n’est-ce là qu’une question de temps. En dehors des dons alimentaires souvent symboliques (20), l’aide française est une aide liée, c’est-à-dire qu’elle s’accompagne de l’obligation d’acheter des produits français. En même temps, l’accroissement de l’aide multilatérale, soit par les organismes relevant de l’ONU, soit surtout par des institutions bancaires telles que la Banque asiatique de développement, la Société financière internationale, la Banque mondiale ou l’Association internationale de développement, représente une participation accrue de la France au concert occidental. Les critères d’intervention retenus sont purement économiques. La nature des régimes avec lesquels s’établissent des relations et des échanges ne paraît être prise en considération que pour s’assurer qu’ils jouissent d’une stabilité rassurante ou, dans le cas contraire, pour conseiller des interventions relativement modestes et qui puissent être rapidement amorties... Peu d’attention est accordée aux données politiques. Tant pour l’Indochine que pour le reste de la région, on se rassure en affirmant que le fait d’être français ne peut que susciter la sympathie ; que la présence française dans ces pays est « plutôt bien vue des Chinois », sans pour autant être menaçante pour les Américains et les Japonais ; qu’en tout état de cause, la fin de la guerre d’Indochine se traduit certes par une période d’incertitude dans la péninsule, mais sera propice à une relance économique à laquelle la France se doit de prendre part et que, dans la recherche de débouchés européens des pays de l’ASEAN, Paris doit être l’interlocuteur de choix, du fait notamment de ses « liens privilégiés avec le monde arabe »...
A-t-on cherché à tirer les leçons des déboires en Indochine ? S’interroge-t-on sur ce que pourrait être une politique d’expansion régionale qui tiendrait compte des aspirations politiques des nouveaux régimes de la péninsule et qui chercherait à favoriser un authentique non-alignement des pays du Sud-Est asiatique ? Il ne le semble pas. Modestement, la France devrait s’efforcer de ne pas aggraver les contradictions sociales, économiques et politiques dans lesquelles sont pris les régimes de la région et qui portent en germe les conflits de demain.
Marcel Barang
Journaliste et traducteur.
Notes
(1) Dans Croissance des jeunes nations, juin 1975 : « Giscard a pris un virage nécessaire mais tardif. Le gouvernement de Georges Pompidou lui avait, c’est vrai, laissé une situation embarrassante... »
(2) « Alors le communiqué, je le dis très franchement, reflète imparfaitement ce que j’avais dans l’esprit, concernant en particulier le Cambodge. (...) L’expression qui a été utilisée dans le communiqué au fond ne reflète pas, je vous le dis, ma pensée : cette négociation entre les parties est une hypothèse particulière, mais n’est pas, à l’heure actuelle, semble-t-il, adaptée à la situation. Il y a d’autres formes d’évolution politique qu’il faut rechercher, qui sont d’un type différent, et que nous jugeons personnellement souhaitables ». Valéry Giscard d’Estaing, conférence de presse du 21 décembre 1974.
(3) Le prince Sihanouk, pour sa part, laisse entendre qu’il s’agissait d’une initiative personnelle de M. Manac’h : « Je suis reconnaissant à votre ambassadeur à Pékin, M. Etienne Manac’h, d’avoir eu le courage personnel de rester en contact étroit avec le GRUNC... » Norodom Sihanouk, L’Indochine vue de Pékin, Entretiens avec Jean Lacouture, Le Seuil, 1972, p. 165.
(4) Les autorités françaises affirment que, dans la mesure où M. Sisouk na Champassak avait déjà été reçu à titre officiel, il n’y avait pas lieu de réserver le même traitement à M. Soth Petrasy.
(5) « Le mondialisme, cela ne consiste pas à être bien avec tout le monde, encore que, d’une façon générale, si on le peut, il vaut mieux être bien avec tout le monde. Ce n’est pas une espèce de politique à l’eau de rose, dans laquelle on distribue partout les bonnes paroles, sans tenir compte des réalités du monde contemporain. Le mondialisme, c’est le fait, à mes yeux, qu’un certain nombre de problèmes, qu’on le veuille ou non, sont des problèmes de nature mondiale. » Valéry Giscard d’Estaing, « déjeuner de presse » du 21 mai 1975.
(6) La question pourtant ne se posait pas du temps du régime Thieu, puisqu’on s’apprêtait à lui attribuer l’aide 1975 sans préalable.
(7) Rapport d’Yves Le Go, Les possibilités offertes à nos exportations dans le Sud-Est asiatique, 6 février 1974, p. 49, Conseil économique et social.
(8) Cf. le livre de Jacques Despuech, le Trafic des piastres, récemment réédité, La Table ronde, Paris, 1974.
(9) D’aucuns arguent de la reconversion de ces industries et banques dans le reste de la région et du monde pour estimer que les intérêts économiques français n’ont pas fortement orienté la politique française. C’est oublier que, dans l’Indochine « chasse gardée » de la France, les intérêts français sur place sont considérables et éminemment profitables, que les banques et les entreprises implantées sont extrêmement concentrées et qu’elles ont traditionnellement joui d’une forte influence sur la politique française.
(10) Il y faut ajouter, outre une mission du C.F.C.E. en mai-juin 1973 au Japon, à Taiwan, Hongkong et en Thaïlande, et une mission Sudreau (C.N.P.F.), des missions telles que celles de M. Georges Picot, alors président du Comité France-Extrême-Orient, fin 1971 puis fin 1973, ou encore des études de marché, en particulier celle réalisée en 1973 par M. Bernard Paris, délégué en Asie du Sud-Est de la Fédération des industries mécaniques et du Syndicat général de la construction électrique.
(11) Les importations françaises en Chine en 1974 se montaient à 878 millions de francs, les exportations à 769 millions de francs, soit environ cinq et trois fois moins respectivement qu’avec le Japon.
(12) Eurasie-Echanges, n° 100 2 avril 1975.
(13) Le conseiller financier pour l’Asie, direction du Trésor, relations avec l’étranger, ministère de l’économie et des finances (non daté).
(14) La part du financement de la Banque mondiale par la France est de 1 269 millions de dollars (dont seulement 10 % ont été appelés) ; en 1974, la Banque a investi 715 millions de dollars en Asie du Sud-Est (sur 3 218 millions de dollars) (Philippines : 156 millions : Thaïlande : 142 millions ;Malaisie : 123 millions). L’IDA, filiale de la BIRD, a consacré au Sud asiatique 646 millions de dollars sur 1 095 millions (dont 84 millions à l’Indonésie). Soit 45 % du total des crédits accordés par les deux organismes (la proportion était de 15 % dans la période 1964-1968). En ce qui concerne le S.F.I. (203 millions de dollars d’investissements en 1974, dont 19 millions en Asie), la France contribue pour 5,8 millions de dollars, soit plus de 5 % de la participation des Etats (une partie des activités du S.F.I. est assurée par le recours direct aux divers marchés financiers). Pour ce qui est de l’IDA, la quatrième reconstruction (1974-1976) s’élève à 4,5 milliards de dollars ; la France y participe pour 255 millions, soit 5,66 % (contre 5,17 % à l’origine) alors que, à titre indicatif, les Etats-Unis fournissent 1 500 millions de dollars, la R.F.A. 514 millions, le Japon 495 millions, le Royaume-Uni 499 millions, ce qui est significatif quand on considère le P.N.B. respectif de ces pays. Source : ministère des finances, Paris.
(15) Le consortium d’aide est une sorte de club de créanciers, dont le siège se trouve aux Pays-Bas. La France y joue un rôle relativement important dans la consolidation de la dette indonésienne. En 1972 (Philippe Simonnot, le Monde daté du 16 novembre 1972) « le Trésor français supportait environ 100 millions de dollars pour le seul capital de la dette et 150 millions si on ajoute les intérêts. (...) En outre, l’aide financière a presque doublé en quatre ans, passant de 55 millions de francs en 1968 à environ 100 millions en 1972 ».
(16) Il s’agit de la Warburg de Londres, de Kuhn et Loeb de New-York et de Lazard Frères de Paris.
(17) Dans le cas de l’Indonésie, par exemple, la France a déjà fourni des chars AMX-13, des Alouette II et III et escompte de nouveaux contrats d’ici à la fin de l’année. (Eurasie-Echanges, n° 108, 28 mai 1975.)
(18) François Missoffe, compte rendu de mission aux Philippines, du 15 au 25 mars 1975, p. 6.
(19) François Missoffe, compte rendu de mission en Thaïlande, 30 octobre-6 novembre 1974, p. 1.
(20) Selon les pays, 5 000 à 15 000 tonnes de blé pour le Bangladesh, le Pakistan, l’Inde, Sri-Lanka et l’Indonésie.
• « Pénétration économique et équilibres politiques ». Le Monde diplomatique. Août 1975, pages 2, 3 et 4 :
https://www.monde-diplomatique.fr/1975/08/BARANG/33297
Troubles relations franco-cambodgiennes
Mars 1970, avril 1975 : deux dates cruciales de l’histoire contemporaine du Cambodge, mais aussi des relations franco-cambodgiennes. Comment, en effet, ne pas se demander dans quelle mesure les autorités françaises étaient au courant des préparatifs du renversement du prince Sihanouk ?
Nul ne saurait contredire le prince Norodom Sihanouk lorsqu’il relève que « la France disposait, dans l’armée par sa mission militaire puissante, dans l’administration par ses nombreux experts, (...) de postes d’écoute incomparables » (1). Comment ces « postes d’écoute » n’ont-ils pas perçu les intrigues qui se nouaient ? « S’agissant du rôle de la France et des Français, note le prince, on peut distinguer entre groupes privés français du Cambodge et représentants de l’Etat français à Paris et à Phnom-Penh. Les premiers, ou du moins un fort courant parmi eux, étaient depuis longtemps irrités par ma politique de contrôle de l’économie et de réduction du secteur privé. »
Le chef du FUNK critique le comportement aussi bien du comte Jean de Beaumont, directeur de la Compagnie du Cambodge (principale société française d’hévéa-culture dans le royaume) et « porte-parole des intérêts des planteurs », que « du principal représentant de la France à Phnom-Penh » : l’un et l’autre, à son avis, savaient parfaitement à quoi s’en tenir sur le complot et s’étaient tus. Du moins, « ni à Grasse où j’étais soigné, ni à Paris, ni à l’Elysée, où j’étais, le 10 mars, l’hôte à déjeuner du président Georges Pompidou, ni à Orly où je pris l’avion le surlendemain (...), je ne fus le moins du monde prévenu », alors même que « la déclaration conjointe de 1966 (...) impliquait des consultations entre nous en cas de crise » (2).
Est-ce à dire que Paris ignorait tout de ce qui se tramait ? Si tel est le cas, on peut s’étonner d’un tel désintérêt (par le passé, les services français avaient aidé le prince à déjouer d’autres complots) comme de l’absence de sanctions à l’encontre de ceux qui se seraient abstenus de transmettre leurs informations. Un des responsables de la politique indochinoise de l’époque nous a assuré que le gouvernement fut « réellement choqué » d’apprendre la déposition du prince. Le choc ne fut sans doute pas insurmontable et, en tout cas, n’empêcha pas Paris de s’accommoder du régime Lon Nol, qui restaurait la libre entreprise et permit aux intérêts français en place de continuer de prospérer.
Ces intérêts étaient considérables. Le Quai d’Orsay chiffre les investissements français à environ 600 millions de francs, « amortis depuis longtemps ». Outre les monopoles du secteur secondaire (brasseries, industrie pharmaceutique, oxygène et acétylène (Air Liquide), tabacs) et, dans le secteur tertiaire, la forte présence d’U.T.A. et d’Air France (3), les cinq sixièmes de ces investissements concernaient les plantations d’hévéas (et de caféiers). En 1970, les 47 000 hectares exploités produisaient 50 000 tonnes de caoutchouc. Les cinq principales plantations étaient contrôlées par trois groupes financiers : la Banque de l’Indochine, la Société d’investissements métropolitains et d’outre-mer (SIMER) et le groupe Rivaud.
La plupart des plantations, situées dans l’est du pays, se trouvèrent très rapidement en zone libérée. L’exploitation, interrompue en avril 1970, n’en reprit pas moins en décembre. Elle se poursuivit jusqu’au 20 juillet 1974, date de la nationalisation des plantations par le GRUNC, puis de nouveau d’octobre 1974 à avril 1975. Les documents officiels français parlent, pour cette dernière période, d’« arrangements avec la résistance » ; le GRUNC soutient, pour sa part, qu’il s’agissait d’une transaction commerciale pure et simple. Alors que précédemment l’ensemble de la production était payée en monnaie locale (riel), les planteurs versaient désormais les trois quarts du prix en devises. Le latex recueilli en zone libérée était acheminé vers Phnom-Penh, traité dans des usines à la périphérie et exporté.
Le général Sosthène Fernandez, ancien chef d’état-major des forces républicaines, aujourd’hui réfugié en France, nous a déclaré que « le maréchal Lon Nol avait autorisé ces échanges avec l’autre camp parce qu’ils étaient profitables, mais à la condition expresse que les planteurs refusent à l’autre côté les produits stratégiques qu’il leur réclamait en échange »... La production des usines de Phnom-Penh, nulle en 1971, atteignait 8 365 tonnes de caoutchouc l’année suivante, 21 371 tonnes en 1973 et 15 780 tonnes en 1974 (4). Pour les planteurs, les « accommodements » passés, en temps de guerre, avec la résistance cambodgienne, laissaient bien augurer de l’avenir. D’autant que, en mars 1975, un directeur de plantation de caféiers aurait passé deux semaines dans sa plantation en zone libérée... La libération de Phnom-Penh allait mettre un terme à ces espoirs.
La France était également bien placée dans le domaine, pétrolier. La compagnie Elf-Cambodge, filiale d’Elf-Erap (5), avait obtenu, avant mars 1970, une zone de prospection off shore (6). En outre, Elf-Erap détient 35 % des parts de la société khmère de raffinage de pétrole de Kompong-Som. La raffinerie, inaugurée en 1969, fut partiellement endommagée lors des premiers affrontements de 1970 et complètement détruite par un bombardement américain lors de l’affaire du Mayaguez (7). En 1972, Elf-Cambodge entreprenait des « recherches prometteuses », dans lesquelles elle investissait quelque 15 millions de francs.
Du pétrole a-t-il été découvert au large du Cambodge ? Un représentant d’Elf-Cambodge, interrogé, a formellement démenti que ce fût le cas. Toutefois, selon d’autres sources pétrolières françaises et de source cambodgienne, Elf-Cambodge aurait fait un forage positif en août dernier dans la zone contestée au large du Cambodge et du Vietnam, à la hauteur des îles de Way (Kho Way). Alors que la société procédait à un second forage, Saigon adressait le 29 août une note diplomatique à Phnom-Penh lui demandant de mettre fin aux activités de prospection d’Elf-Erap dans la zone contestée. Saigon laissait à la compagnie quinze jours pour retirer ses installations de forage de cette zone. « J’étais prêt à riposter en faisant donner la marine et l’aviation contre Saigon, nous a dit le général Fernandez. Mais nous avons subi de fortes pressions américaines et l’affaire s’est réglée au plus haut niveau à l’amiable. » Elf-Cambodge a retiré sa plate-forme de forage de la zone contestée (8).
La préservation et la promotion des intérêts français dans le pays (auxquels il faut ajouter la présence culturelle, demeurée importante alors que la mission militaire s’était très vite amenuisée) allaient justifier une diplomatie à tout le moins attentiste. Mais quel fut le rôle joué par la France dans les dernières semaines du Phnom-Penh républicain ? Pourquoi Paris a-t-il attendu le départ du dernier Américain pour reconnaître une « situation de fait » ?
Les milieux proches du FUNK s’interrogent sur l’existence d’un plan des « puissances occidentales qui sont parties prenantes au Cambodge ». Ce plan, peut-être évoqué lors du « sommet » Ford-Giscard à la Martinique, aurait cherché à diviser les forces de la résistance en essayant de convaincre les « sihanoukistes » de reprendre la lutte contre les « Khmers rouges » (selon une distinction chère à certains Occidentaux mais que le FUNK, pour sa part, récuse totalement et, semble-t-il, non sans raison) (9).
Quel que soit le bien-fondé de telles suspicions, il convient de noter la campagne – surtout radiodiffusée et télévisée – contre un régime qui, certes, ne fait guère d’efforts de relations publiques ; en outre, le gouvernement français tolère les activités en France d’associations telles que le FRANK (Front républicain d’action nationale du Kampuchea) qui se flatte de ses liens avec l’extrême droite de divers pays et prône la lutte armée contre le nouveau régime cambodgien ; de surcroît, des pressions discrètes seraient exercées par l’administration française et par les organismes d’aide aux réfugiés, qui suggéreraient aux ressortissants cambodgiens actuellement en France de se faire naturaliser français ou de demander le statut de réfugiés politiques... Tout cela laisse, semble-t-il, mal augurer de l’évolution des relations entre la France et le nouveau Cambodae.
(1) Norodom Sihanouk, l’Indochine vue de Pékin. Entretiens avec Jean Lacouture, le Seuil, 1972, p. 101.
(2) Ibid, pp. 101 et sq.
(3) Air France et U.T.A. disposaient d’importants intérêts dans l’industrie hôtelière (28 % du capital de la Société hôtelière du Cambodge) et dans la compagnie Air Cambodge (45,34 % du capital).
(4) Chiffres fournis par la Compagnie du Cambodge.
(5) Elf-Erap possédait 80 % du capital d’Elf-Cambodge. Cf. John Howell et Michael Morrow, Asia, Oil Politics and the Energy Crisis, I.D.O.C., New-York, 1974, p. 74.
(6) Exxon a acquis 35 % de la concession en 1972.
(7) On a rapproché cet acte de la destruction systématique des plantations d’hévéas de Chup au Cambodge lors de l’offensive américano-sud-vietnamienne en avril 1970, voire du bombardement de l’ambassade de France à Hanoi qui devait coûter la vie à M. Susini.
(8) L’existence éventuelle de pétrole contribuerait à expliquer certains aspects de l’affaire du Mayaguez, en particulier la présence sur les lieux d’un fort contingent de la marine khmère. Les nouveaux régimes cambodgien et vietnamien ont hérité du différend frontalier maritime. Le G.R.P. s’est empressé d’occuper les îles contestées.
(9) A l’appui de cette « thèse », on fait valoir notamment la reconnaissance « prématurée » du GRUNC par la France ; les appels réitérés de Phnom-Penh et de Washington au prince Sihanouk ; la confiance manifestée jusqu’à la dernière minute par le premier ministre républicain, Long Linret ; le refus de celui-ci et de Sisowath Sirik Matak, deux des sept « super-traitres » désignés par la résistance à la vindicte populaire, de quitter le pays ; l’obscure odyssée des deux cents membres du « MONATIO » qui « libérèrent » Phnom-Penh sans coup férir quelques heures avant le FUNK et qui, selon le général Fernandez, ne seraient autres que les hommes de main de Lon Non, le frère cadet du maréchal Lon Nol...
Marcel Barang
Journaliste et traducteur.
• Le Monde diplomatique. Août 1975, pages 2, 3 et 4 :
https://www.monde-diplomatique.fr/1975/08/BARANG/33299