Le temps a passé, et il n’y a pas encore eu d’intervention. Face aux violences de masse dans les rues des villes de Biélorusse, on a un temps pu penser que le régime répressif allait se stabiliser. Mais il est rapidement devenu évident que la situation de ce dernier était en train de se dégrader et que rien ne sauverait le dictateur biélorusse.
Une opération réclamée par les propagandistes russes
Moscou semblait prêt à une intervention qui allait avoir lieu dans les prochaines heures, mais cela n’a pas été le cas. Personne ne croit à la volonté de paix du Kremlin. De plus, les propagandistes des chaînes russes appellent à l’action d’une seule et même voix. Margarita Simonian, la rédactrice de la chaîne de télévision RT, au courant des moindres rumeurs du Kremlin, a ouvertement réclamé le déploiement des “petits hommes verts” en Biélorussie pour rétablir l’ordre. Il paraît douteux qu’elle ait exprimé là son avis personnel.
Il est probable que l’envergure de la contestation ait été une surprise désagréable non seulement pour Loukachenko, mais aussi pour Poutine, qui entretenait le mythe que la violence peut obliger le peuple à rentrer chez lui. En Ukraine en 2013, ce sont les brutalités policières censées disperser les étudiants qui manifestaient qui ont été à l’origine de Maïdan, et le même phénomène s’est répété à Minsk.
Ce n’est pas la falsification des élections qui a déterminé l’envergure de la contestation politique, mais les violences et les arrestations. Ils voulaient tuer la révolution, ils ont obtenu une formidable réaction contraire.
L’idée d’une intervention en Biélorussie ne suscite pas vraiment d’engouement au Kremlin. On peut dire que, dans une certaine mesure, l’agression contre l’Ukraine dans le Donbass et l’annexion de la Crimée ont épuisé les capacités de la Russie à intervenir en Biélorussie.
Trois raisons pour ne pas intervenir
Tout d’abord, l’armée biélorusse, avec ses effectifs d’environ 45 000 hommes, est capable d’opposer une résistance suffisamment acharnée pour qu’une agression ne se transforme pas en promenade de santé. Poutine ne souhaite pas essuyer de lourdes pertes. Non parce qu’il est un grand philanthrope, ce n’est pas là sa principale qualité, mais à cause de l’attitude très négative de sa population, pour laquelle ces jeux stratégiques sont incompréhensibles. Une éventuelle victoire militaire en Biélorussie n’entraînerait pas une montée en flèche du patriotisme russe, comme cela avait été le cas après l’intervention en Crimée.
Ensuite, la situation économique et financière de la Russie, pour tout dire, n’est pas brillante. Le revenu de l’exportation des carburants a chuté de manière catastrophique, il n’y a pas de perspective de reprise dans un avenir proche, le budget est dans le rouge, et du fait des sanctions internationales il devient difficile d’obtenir des financements extérieurs.
L’argent, c’est le nerf de la guerre. Pas d’argent, pas de guerre. En cas d’invasion de la Biélorussie, Moscou n’aurait pas les moyens de consolider sa conquête. Les régions de Russie se plaignent déjà de manquer de ressources. Le centre aide comme il peut, mais cela ne suffit pas. Les dépenses gigantesques qu’impliquent une agression et ses conséquences ne sont pas envisageables. Sans parler du coût des aventures en Syrie et en Libye. Le Kremlin ne peut pas renoncer à ces dernières, mais elles engloutissent des moyens financiers exorbitants.
Enfin, l’agression pourrait provoquer une réaction internationale négative. De plus, Trump serait obligé de réagir très sévèrement pour ne pas faire preuve de faiblesse face à ses électeurs. En cas de victoire de Biden en novembre, les sanctions seraient encore plus importantes, une idée qui fait souffler un vent de panique dans les rangs des oligarques russes.
Moscou a une autre solution
Bien sûr, ce n’est pas parce qu’il renonce à la possibilité d’une agression directe que le Kremlin ne va pas tout faire pour garder son allié le plus proche dans son orbite. L’idée démente d’une réunification des trois ex-républiques slaves d’URSS est toujours en vogue chez les patrons du Kremlin. S’ils refusent d’avoir recours à des moyens militaires, ils ne s’en interdisent pas d’autres.
Le Kremlin applique donc deux stratégies qui sont liées. Il lui faut retarder la chute de Loukachenko, afin de tirer parti de la fragmentation de l’opposition et de reprendre la main. Pour pouvoir, à terme – et c’est le plus important –, amener au premier plan un politicien prorusse, et l’aider à remporter l’élection qui sera annoncée après l’élimination de Loukachenko.
Le Kremlin a effectivement en réserve des personnalités de ce genre, et il a déjà commencé à travailler avec elles de façon intensive. Il semble aujourd’hui que ce soit là le plus grand danger qui plane au-dessus de la Biélorussie. Et il ne faut pas le sous-estimer.
Iouri Raykhel
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